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17/10/2017 | FRANCE | N°15DA01029

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3, 17 octobre 2017, 15DA01029


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile d'exploitation agricole (SCEA) des Essarts a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 août 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 6ème section de l'unité territoriale de la Somme l'a mise en demeure, d'une part, de mettre immédiatement en place un document de décompte du temps de travail de l'ensemble des salariés qu'elle emploie, lequel devra faire apparaître les heures de début et de fin de chacune de leurs périodes de

travail, d'autre part, de tenir immédiatement ce document à la disposition ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile d'exploitation agricole (SCEA) des Essarts a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 13 août 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 6ème section de l'unité territoriale de la Somme l'a mise en demeure, d'une part, de mettre immédiatement en place un document de décompte du temps de travail de l'ensemble des salariés qu'elle emploie, lequel devra faire apparaître les heures de début et de fin de chacune de leurs périodes de travail, d'autre part, de tenir immédiatement ce document à la disposition des agents de l'inspection du travail pour être à même de le leur présenter en cas de contrôle, ensemble le rejet de son recours administratif préalable et de son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1300520 du 28 avril 2015, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 juin 2015, la SCEA des Essarts, représentée par Me A...D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 28 avril 2015 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 août 2012 en litige, ainsi que les décisions rejetant ses recours administratifs ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me B...C..., substituant Me A...D..., représentant la SCEA des Essarts.

1. Considérant que la société civile d'exploitation agricole (SCEA) des Essarts, dont le siège est situé dans le département de la Somme, exerce notamment l'activité de production de fraises ; qu'elle a fait l'objet d'un contrôle, le 24 juillet 2012, par l'inspectrice du travail territorialement compétente, à la suite d'une réclamation formée par deux des employés saisonniers de la société qui se plaignaient de n'avoir pas perçu une rémunération suffisante en contrepartie de journées de travail effectuées par eux en juin 2012 ; qu'au cours de ce contrôle, l'inspectrice du travail a constaté que les documents afférents à la gestion du personnel saisonnier de l'entreprise ne contenaient aucune comptabilisation des heures de travail réellement effectuées ; qu'elle a, en outre, rappelé à la SCEA des Essarts que, quel que soit le mode contractuellement convenu avec ses salariés en ce qui concerne la rémunération de leur travail, lequel consistait, en l'occurrence, en une rémunération à la tâche, déterminée en fonction des quantités de fruits récoltées, elle ne pouvait rémunérer ceux-ci à un niveau inférieur à celui du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire ; que, compte tenu de ce constat, l'inspectrice du travail a, par une décision du 13 août 2012, mis en demeure la SCEA des Essarts, d'une part, de mettre immédiatement en place un document de décompte du temps de travail de l'ensemble des salariés qu'elle emploie, lequel devra faire apparaître les heures de début et de fin de chacune de leurs périodes de travail, d'autre part, de tenir immédiatement ce document à la disposition des agents de l'inspection du travail pour être à même de le leur présenter en cas de contrôle ; que la SCEA des Essarts relève appel du jugement du 28 avril 2015, par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette mise en demeure du 13 août 2012 de l'inspectrice du travail, ainsi que du rejet, par une décision expresse du 6 septembre 2012, de son recours administratif préalable ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article R. 713-43 du code rural et de la pêche maritime, lorsqu'il constate que la durée du travail enregistrée ou consignée par l'employeur dans les documents en sa possession est inexacte, l'inspecteur du travail peut exiger de celui-ci l'enregistrement des heures effectuées, soit individuellement, par chacun des salariés de l'entreprise, soit collectivement, par référence à un horaire fixe imposé au sein de celle-ci ; que ce texte ajoute que, si l'inspecteur du travail prescrit un enregistrement individuel, il précise alors, dans sa décision, si l'employeur doit enregistrer le nombre d'heures de travail effectué quotidiennement par chaque salarié ou groupe de salariés, ou s'il doit enregistrer les heures de début et de fin de chacune de leurs périodes de travail ; qu'en outre, l'article R. 713-44 du même code prévoyait, dans sa rédaction en vigueur à la date de la mise en demeure du 13 août 2012, que le recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail devait être porté devant le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dernières dispositions qu'en raison des pouvoirs ainsi conférés au directeur régional, la voie de recours qu'elles organisent doit être regardée comme ayant la nature d'un recours préalable obligatoire à la saisine du juge de l'excès de pouvoir ; qu'il s'ensuit que les décisions par lesquelles le directeur régional rejette, implicitement ou expressément, les recours introduits devant lui se substituent à celles de l'inspecteur du travail ; que, par suite, les conclusions à fin d'annulation dirigées, non contre la décision du directeur régional, mais contre la décision initiale prise par l'inspecteur du travail, sont irrecevables ; qu'en l'espèce, les conclusions que la SCEA des Essarts dirige formellement contre la décision initiale prise le 13 août 2012 par l'inspectrice du travail doivent toutefois être regardées comme tendant à l'annulation de la décision du 6 septembre 2012 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Picardie, née de l'exercice du recours, qui s'y est substituée ;

4. Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit au point précédent, à la décision initiale prise le 13 août 2012 par l'inspectrice du travail s'est substituée la décision prise le 6 septembre 2012 par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Picardie sur le recours préalable formée par la SCEA des Essarts ; qu'il suit de là que les vices propres qui entacheraient la première décision sont sans incidence sur la légalité de la seconde ; que, dès lors et en tout état de cause, la SCEA des Essarts ne peut utilement soutenir que la mise en demeure du 13 août 2012 serait entachée d'une illégalité pour ne pas viser l'article R. 713-35 du code rural et de la pêche maritime ;

5. Considérant que, si la SCEA des Essarts soutient que la décision contestée serait " irrégulière " pour ne pas préciser le délai dans lequel la mesure qu'elle prescrit devra être exécutée, il ressort des termes mêmes de cette décision que ce moyen manque en fait, puisque celle-ci impose expressément à cette société de remédier immédiatement aux irrégularités constatées par l'inspectrice du travail en mettant en place, dès réception de la mise en demeure, des registres de décompte du temps de travail de ses salariés et de les mettre aussitôt à la disposition des agents de l'inspection du travail ; que le fait que cette décision prévoit ainsi une exécution immédiate de ces mesures n'entache pas, par lui-même, la régularité, ni même la légalité de celle-ci ; que, par suite, tel qu'il est articulé, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait, pour ce motif, entachée d'illégalité, que la SCEA des Essarts présente sans invoquer l'insuffisance du délai qui lui a ainsi été imparti, ne peut qu'être écarté ;

6. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 713-5, alors en vigueur, du code rural et de la pêche maritime, qui reprennent des dispositions équivalentes du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en vertu des dispositions de l'article R. 713-35 du code rural et de la pêche maritime, tout employeur entrant dans leur champ d'application doit, en vue du contrôle du respect des dispositions légales et conventionnelles relatives à la durée et à l'aménagement du temps de travail, enregistrer ou consigner toutes les heures effectuées ou à effectuer, soit individuellement, par chacun des salariés, conformément à l'article R. 713-36 de ce code, soit collectivement par l'ensemble de ceux-ci, par référence à un horaire fixe imposé au sein de l'entreprise, conformément à l'article R. 713-37 du même code ; que l'inspectrice du travail a, en l'espèce, mis en demeure la SCEA des Essarts de mettre en place un décompte des heures de travail de ses salariés selon la première de ces modalités, prévue à l'article R. 713-36 ; qu'en vertu de cet article, l'employeur doit enregistrer, chaque jour, sur un document prévu à cet effet, le nombre d'heures de travail effectuées par chaque salarié ou groupe de salariés, ou à tout le moins les heures de début et de fin de chacune de leurs périodes de travail, une copie du document étant remise à chaque salarié, en même temps que sa paye ; que ce texte ajoute toutefois que l'employeur peut, sous sa responsabilité, confier à chaque salarié le soin de procéder à cet enregistrement, s'il met à sa disposition des moyens de pointage ou d'autres moyens qui permettent à l'intéressé de contrôler la réalité des indications qu'il enregistre, une copie du document établi dans ces conditions étant remise au salarié qui en fait la demande ;

7. Considérant qu'il n'est pas contesté que les documents tenus par la SCEA des Essarts en ce qui concerne le temps de travail des salariés saisonniers qu'elle emploie pour effectuer la cueillette des fraises dans ses serres de production ne contenaient, à la date du contrôle effectué par l'inspectrice du travail et en méconnaissance des dispositions de l'article R. 713-36 du code rural et de la pêche maritime rappelées au point précédent, aucune comptabilisation des heures de travail réellement effectuées par chacun de ces salariés, ni aucune donnée permettant de les déterminer ; que l'administration compétente était ainsi fondée à lui imposer de mettre en place une telle comptabilisation et d'y faire notamment apparaître, non pas les heures d'arrivée et de départ des salariés sur le site, mais, de la lettre même de la mise en demeure du 13 août 2012, les heures de début et de fin de chacune de leurs périodes de travail ;

8. Considérant, que si la SCEA des Essarts invoque les dispositions de l'article R. 713-40 du code rural et de la pêche maritime, en vertu desquelles l'employeur est dispensé d'appliquer ces dispositions relatives au décompte des heures de travail de ses salariés lorsque ces derniers sont obligés d'organiser eux-mêmes leur activité, notamment parce qu'ils travaillent dans des conditions qui ne permettent pas à l'employeur ou à l'un de ses représentants de contrôler leur présence, elle n'établit pas, en se prévalant des spécificités liées à la nature de son activité, sans apporter aucune précision convaincante tirée d'un mode de fonctionnement ou de contraintes techniques qui lui seraient propres, que ses employés saisonniers organiseraient eux-mêmes leur activité sans se soumettre à ses directives, alors même qu'une grande liberté leur serait laissée en ce qui concerne, d'une part, leur temps de pause, d'autre part, leurs heures d'arrivée et de départ de l'entreprise ; que ce second point est au demeurant contredit par les stipulations des contrats de travail versés au dossier, lesquelles prévoient expressément que la journée de travail commence impérativement à cinq heures, sauf avis contraire ou modification signifiée en temps utile par la direction, et qu'elle s'achève, sous réserve d'événements imprévus liés notamment aux conditions climatiques, entre dix et douze heures ; que l'appelante ne démontre pas davantage qu'elle se trouverait confrontée à une impossibilité de décompter le temps de travail effectif de ses employés saisonniers, alors même qu'aucun personnel d'encadrement n'est constamment présent auprès d'eux, ni, en particulier, qu'elle ne pourrait mettre en place, dans ses serres ou aux abords de celles-ci, des moyens techniques ou même empiriques permettant à ses salariés de faire connaître les date et heure de début et de fin de chacune de leurs périodes de travail effectif ; qu'il n'est ainsi pas établi, dans ces conditions et faute pour la SCEA des Essarts d'assortir son moyen d'éléments plus précis, qu'elle entrerait dans le champ de la dispense de l'article R. 713-40 du code rural et de la pêche maritime qu'elle invoque ;

9. Considérant, enfin, que si la SCEA des Essarts soutient qu'il lui était loisible de rémunérer ses employés saisonniers à la tâche, en déterminant le niveau de cette rémunération en fonction de la quantité de fruits cueillis par chacun et que cette modalité était d'ailleurs prévue par la convention collective dont relèvent ses salariés, la décision contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de remettre en cause une telle modalité de rémunération ; que, toutefois, le recours à celle-ci ne saurait exempter la SCEA des Essarts de son obligation légale de verser à chacun de ses salariés une rémunération au moins égale au salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire, ni la dispenser de mettre en place les modalités de décompte lui permettant de s'en assurer et de pouvoir en justifier ; que cette société ne peut utilement invoquer, à cet égard, les modalités particulières de détermination du temps de travail prévues par les dispositions du 1° de l'article R. 713-41 du code rural et de la pêche maritime, qui, de leur lettre même, ne trouvent à s'appliquer que lorsque l'entreprise considérée se trouve dans le champ d'application de la dispense prévue à l'article R. 713-40 de ce code, ce qui, comme il vient d'être dit au point précédent, n'est pas le cas, en l'espèce, de la SCEA des Essarts ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCEA des Essarts n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 28 avril 2015, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ; que les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCEA des Essarts est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile d'exploitation agricole (SCEA) des Essarts et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée, pour information, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA01029
Date de la décision : 17/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03 Travail et emploi. Conditions de travail.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-10-17;15da01029 ?
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