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22/11/2018 | FRANCE | N°18DA00107

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 22 novembre 2018, 18DA00107


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 6 octobre 2014 par laquelle le président de la communauté urbaine de Dunkerque a prononcé son licenciement et de condamner cette communauté urbaine à lui verser la somme de 146 166,59 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de cette décision.

Par un jugement n° 1500008 du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

P

ar une requête et des mémoires enregistrés les 15 janvier, 31 mai et 5 octobre 2018, M. C...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 6 octobre 2014 par laquelle le président de la communauté urbaine de Dunkerque a prononcé son licenciement et de condamner cette communauté urbaine à lui verser la somme de 146 166,59 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de cette décision.

Par un jugement n° 1500008 du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 janvier, 31 mai et 5 octobre 2018, M. C..., représenté par Me F...B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du président de la communauté urbaine de Dunkerque du 6 octobre 2014 prononçant son licenciement ;

3°) d'enjoindre à la communauté urbaine de Dunkerque de le réintégrer dans ses effectifs, dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de condamner la communauté urbaine de Dunkerque à lui verser la somme de 146 166,59 euros ;

5°) de mettre à la charge de la communauté urbaine de Dunkerque la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu:

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- les observations de Me F...B..., représentant M.C...,

- et les observations de Me D...A..., représentant la communauté urbaine de Dunkerque.

Considérant ce qui suit :

1. M. E...C...a été recruté par la communauté urbaine de Dunkerque le 1er juillet 2008, pour une durée de trois ans, puis, par contrat à durée indéterminée, à compter du 12 mars 2012, en qualité de chargé de mission à la direction générale du développement économique et de l'attractivité du territoire, assimilé au grade d'administrateur territorial hors classe. Par une décision du 6 octobre 2014, le président de la communauté urbaine de Dunkerque a prononcé son licenciement pour faute grave, en lui reprochant de nombreuses absences injustifiées. M. C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler cette décision et de condamner la communauté urbaine à lui verser la somme de 146 166,59 euros, d'une part en réparation des préjudices résultant de cette décision et, d'autre part, au titre de l'indemnité de licenciement, des congés payés et d'indemnités journalières de maladie. Par un jugement du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. M. C...relève appel de ce jugement.

Sur la légalité du licenciement, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

2. Selon l'article 36 du décret du 15 février 1988 susvisé: " Tout manquement au respect des obligations auxquelles sont assujettis les agents publics, commis par un agent contractuel dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions est constitutif d'une faute l'exposant à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le code pénal. ". L'article 37 du même décret dispose : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; / 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. ".

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

4. Le président de la communauté urbaine de Dunkerque s'est fondé, pour prononcer la sanction en litige, sur la comptabilisation de 16 journées et 13 demi-journées d'absence injustifiée de M. C...entre novembre 2013 et mars 2014, sur des anomalies de pointage et sur des récupérations indues d'heures de travail. Il ressort des pièces du dossier, notamment du règlement des horaires variables et des congés de la communauté urbaine de Dunkerque, pris pour l'application de l'article 6 du décret du 12 juillet 2001, que M.C..., en tant qu'agent de catégorie A, était soumis à une obligation de pointage quatre fois par jour. S'il est constant que ses missions, qui consistaient, notamment, à faire de la prospection afin de valoriser les équipements économiques, sportifs ou culturels de la communauté urbaine, ne lui permettaient pas d'effectuer systématiquement ces pointages, il lui appartenait, en cas de déplacement professionnel, d'obtenir préalablement un ordre de mission signé par son supérieur hiérarchique.

5. Les pièces produites par M. C...justifient l'une des absences incriminées, qui s'expliquait par sa participation à un salon professionnel. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le président de la communauté urbaine aurait pris la même sanction en se fondant sur un nombre de jours d'absence injustifiée légèrement inférieur. S'agissant des autres journées ou demi-journées en cause, les attestations produites, émanant notamment du supérieur hiérarchique du requérant et de l'ancien président de la communauté urbaine, établies a posteriori, ne suffisent pas, à elles seules, à justifier les absences. Par ailleurs, M. C...ne peut utilement soutenir que certaines absences correspondaient à la " récupération " d'heures de travail effectuées, selon lui, certains jours fériés ou week-ends, dès lors qu'il ne lui appartenait pas de décider lui-même, en tout état de cause, du nombre et du calendrier de ces " récupérations ". Dans ces conditions, les absences du requérant étaient constitutives d'une faute justifiant le prononcé d'une sanction disciplinaire.

6. Toutefois, il ressort aussi des pièces du dossier que les absences de M. C...avaient été tolérées, aux dates auxquelles elles sont intervenues, par ses supérieurs hiérarchiques. Aucune absence n'est en outre reprochée au requérant pour la période comprise entre le mois d'avril 2014 et le mois de septembre 2014, au cours duquel les poursuites disciplinaires ont été engagées par le nouveau président de la communauté urbaine. Par ailleurs, la communauté urbaine ne précise pas non plus en quoi les absences du requérant auraient gravement perturbé le fonctionnement du service. Dans ces conditions, la sanction de licenciement prononcée à l'encontre de M. C...n'est pas proportionnée à la gravité du manquement de celui-ci à ses obligations professionnelles. Par suite, cette sanction est entachée d'illégalité.

Sur les conclusions indemnitaires :

7. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. L'illégalité de la sanction de licenciement du 6 octobre 2014 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la communauté urbaine. M. C...doit être regardé comme présentant, malgré l'utilisation des termes " à titre subsidiaire ", des conclusions indemnitaires.

8. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due en réparation du préjudice économique subi par un agent irrégulièrement évincé de ses fonctions, il y a lieu de prendre en compte la perte du traitement, ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des revenus d'activité ou de remplacement que l'intéressé a éventuellement perçus au cours de la période d'éviction.

9. Il résulte de l'instruction que M. C...percevait une rémunération mensuelle nette égale à 5 000 euros et qu'à la suite de son licenciement du 6 octobre 2014, il a perçu uniquement des allocations pour perte d'emploi, d'environ 3 000 euros par mois, jusqu'au 12 novembre 2017. Dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation du préjudice correspondant à la perte de revenus en l'évaluant à la somme totale de 72 000 euros. Par ailleurs, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par le requérant en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.

10. Compte tenu de l'indemnisation accordée au point 8 ci-dessus, au titre de la perte de revenus, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. C...tendant à la condamnation de la communauté urbaine de Dunkerque à lui verser l'indemnité de licenciement prévue par l'article 43 du décret du 15 février 1988.

11. M. C...soutient également que la communauté urbaine de Dunkerque lui serait redevable d'une somme de 5 000 euros au titre de congés payés qu'il n'aurait pas pu prendre du fait de son licenciement illégal. Toutefois, il ne conteste pas l'affirmation de la communauté urbaine selon laquelle il aurait soldé son droit à congés payés en août 2014 et n'assortit pas son moyen des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé. De même, s'il fait valoir que la communauté urbaine aurait perçu une somme de 6 166,59 euros au titre d'indemnités journalières de maladie et qu'elle ne lui aurait pas reversé cette somme, il n'assortit pas ce moyen des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...est seulement fondé à demander la condamnation de la communauté urbaine de Dunkerque à lui verser la somme de 77 000 euros.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

13. L'annulation d'une décision évinçant illégalement un agent public implique en principe, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, outre la réintégration juridique rétroactive de cet agent à la date de la décision d'éviction illégale et la reconstitution de sa carrière ainsi que de ses droits sociaux, sa réintégration effective dans l'emploi qu'il occupait avant son éviction illégale ou dans un emploi équivalent à celui-ci. En l'espèce, M. C...a indiqué à la Cour qu' " il devrait bénéficier d'une pension de retraite à compter du 1er novembre 2018 ". Dans ces conditions, le présent arrêt n'implique pas sa réintégration effective dans les effectifs de la communauté urbaine, mais seulement la reconstitution de sa carrière entre le 6 octobre 2014 et la date de son admission à la retraite, ainsi que la reconstitution de ses droits sociaux au titre de cette période. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre à la communauté urbaine de Dunkerque de procéder à ces mesures dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction du prononcé d'une astreinte.

Sur les conclusions de la commune tendant à la suppression de certains passages des écritures de M.C... :

14. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les juridictions administratives peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires. Les termes de la requête de M. C...relatifs aux attaques dont il a été victime sur les réseaux sociaux, pour regrettables qu'ils soient, n'excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse. Dès lors, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif n'a pas fait droit à ses conclusions d'excès de pouvoir et à ses conclusions à fins d'injonction. Il est également fondé à soutenir que c'est à tort que ce jugement a entièrement rejeté ses conclusions indemnitaires. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté urbaine de Dunkerque le versement à M. C...de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la communauté urbaine de Dunkerque au titre des mêmes dispositions ne peuvent en revanche qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 28 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : La décision du président de la communauté urbaine de Dunkerque du 6 octobre 2014 prononçant le licenciement de M. C...est annulée.

Article 3 : La communauté urbaine de Dunkerque est condamnée à verser à M. C...la somme de 77 000 euros.

Article 4 : Il est enjoint à la communauté urbaine de Dunkerque de prendre les mesures mentionnées au point 13 du présent arrêt dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 5 : Les conclusions présentées par la communauté urbaine de Dunkerque au titre des articles L. 741-2 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La communauté urbaine de Dunkerque versera à M. C...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...C...et à la communauté urbaine de Dunkerque.

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18DA00107


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA00107
Date de la décision : 22/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-09-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Suspension.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: Mme Valérie Petit
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SCP MOUGEL - BROUWER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-11-22;18da00107 ?
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