La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/2019 | FRANCE | N°17DA01356

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 15 octobre 2019, 17DA01356


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Infinivent a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 26 février 2014 par lesquels le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer des permis de construire pour la construction de cinq éoliennes E1, E2, E3, E5 et E6 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Nuncq-Hautecôte et d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, sous astreinte, de procéder à un nouvel examen de ses cinq demandes de permis de construire.

Par

un jugement n° 1402780 du 10 mai 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Infinivent a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 26 février 2014 par lesquels le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer des permis de construire pour la construction de cinq éoliennes E1, E2, E3, E5 et E6 et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Nuncq-Hautecôte et d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, sous astreinte, de procéder à un nouvel examen de ses cinq demandes de permis de construire.

Par un jugement n° 1402780 du 10 mai 2017, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2017, la société Infinivent, représentée par la SELARL Horus avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 26 février 2014 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de procéder à un nouvel examen des demandes de permis de construire ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Claire Rollet-Perraud, président-assesseur,

- les conclusions de M. Charles-Edouard Minet, rapporteur public,

- et les observations de Me A... B..., représentant la société Infinivent.

Considérant ce qui suit :

1. La société Infinivent a déposé, le 25 février 2003, des demandes de permis de construire cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Nuncq-Hautecôte pour la réalisation d'un parc éolien comprenant cinq éoliennes. Par des arrêtés du 30 décembre 2009, le préfet du Pas-de-Calais a refusé les permis de construire sollicités par la société pétitionnaire. Par un jugement du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Lille a annulé ces arrêtés et a enjoint au préfet de procéder au réexamen de ces demandes. A la suite du refus d'accord du ministre de la défense en date du 24 février 2014, le préfet du Pas-de-Calais a à nouveau rejeté les demandes par des arrêtés du 26 février 2014. La société Infinivent relève appel du jugement du 10 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés du 26 février 2014.

Sur la régularité du jugement :

2. Les arrêtés du 26 février 2014 portant refus de permis de construire reposent sur le double motif tiré, d'une part, de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et, d'autre part, du refus d'accord du ministre de la défense du 24 février 2014.

3. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a estimé que le préfet n'avait pas entaché son appréciation des risques en terme de salubrité et de sécurité publique présentés par le projet d'une erreur au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et qu'il résultait de l'instruction qu'il aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur ce motif qui justifiait à lui seul les refus en litige. Le tribunal a d'ailleurs expressément répondu, de façon motivée, au moyen non inopérant tiré de l'incompétence de l'auteur des refus en litige. En revanche, le tribunal a implicitement mais nécessairement écarté comme inopérants les moyens dirigés contre l'autre motif de refus de permis de construire tenant à l'irrégularité du refus d'accord opposé par le ministre de la défense, ce qui aurait conduit le préfet, selon l'appelante, à s'estimer à tort en situation de compétence liée pour refuser les permis sollicités. Le jugement critiqué n'est donc pas entaché d'une omission à statuer.

4. Si, ce faisant, le tribunal a, ainsi qu'il sera dit ci-après, considéré à tort ces moyens comme inopérants, cette erreur justifie uniquement la censure de ce motif de son jugement et l'examen par la cour, statuant comme juge d'appel dans le cadre de l'effet dévolutif, de ces moyens présentés en première instance. Par suite, la société Infinivent n'est pas fondée à soutenir que le jugement contesté est entaché d'irrégularité, faute d'avoir suffisamment répondu à tous les moyens soulevés devant le tribunal.

Sur la légalité des arrêtés du 26 février 2014 portant refus de permis de construire :

En ce qui concerne la demande de substitution de base légale :

5. Comme indiqué précédemment, les arrêtés du 26 février 2014 portant refus de permis de construire reposent sur le double motif tiré, d'une part, de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme par le projet de la société pétitionnaire et, d'autre part du refus d'accord du ministre de la défense. Ce dernier motif est de nature à placer le préfet en situation de compétence liée pour rejeter les demandes de permis de construire.

6. Aux termes de l'article R. 421-38-13 du code de l'urbanisme, dans sa version abrogée par le décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 pris pour l'application de l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme : " Lorsque la construction est susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne et qu'elle est soumise pour ce motif à l'autorisation du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense, en vertu de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile, le permis de construire ne peut être délivré qu'avec l'accord des ministres intéressés ou de leurs délégués. Cet accord est réputé donné faute de réponse dans un délai d'un mois suivant la transmission de la demande de permis de construire par l'autorité chargée de son instruction. ". Aux termes de l'article R. 425-9 du code de l'urbanisme créé par le même décret du 5 janvier 2007 : " Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d'aménager tient lieu de l'autorisation prévue par l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile dès lors que la décision a fait l'objet d'un accord du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. ". En application de l'article 26 de ce décret : " L'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme et le présent décret entreront en vigueur le 1er octobre 2007 sous réserve des dispositions suivantes : (...) Les demandes de permis de construire et d'autorisations prévues par le code de l'urbanisme déposées avant le 1er octobre 2007 demeurent soumises aux règles de compétence, de forme et de procédure en vigueur à la date de leur dépôt. ".

7. En l'espèce, la société Infinivent a déposé ses demandes de permis de construire le 25 février 2003. Si le tribunal administratif de Lille a annulé, par un jugement du 19 décembre 2013, les arrêtés du 30 décembre 2009 du préfet du Pas-de-Calais refusant la délivrance de ces permis de construire et a enjoint à cette autorité de procéder au réexamen de ces demandes, l'administration s'est trouvée, en raison de ce jugement, à nouveau saisie des demandes initialement présentées par la société Infinivent. Par suite, en application des dispositions précitées de l'article 26 du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007, les dispositions de l'article R. 425-9 du code de l'urbanisme n'étaient pas applicables à ces demandes.

8. Toutefois, le refus d'accord opposé par le ministre de la défense trouve son fondement légal dans les dispositions de l'article R. 421-38-13 du code de l'urbanisme en vigueur jusqu'au 1er octobre 2007, qui peuvent être substituées à celles de l'article R. 425-9 du même code dès lors que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressée d'aucune garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.

En ce qui concerne les moyens tirés de la régularité et du bien-fondé du refus d'accord opposé par le ministre de la défense :

9. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 421-38-13 du code de l'urbanisme que l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire doit, lorsque la construction envisagée est susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, saisir de la demande le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense. A défaut d'accord de l'un de ces ministres, cette autorité est alors tenue de refuser le permis de construire.

10. Toutefois, si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.

11. En premier lieu, si faute de réponse du ministre de la défense à la transmission de la demande de permis de construire présentée par l'autorité chargée de son instruction, un accord tacite favorable est né en application des dispositions de l'article R. 421-38-13 du code de l'urbanisme, le ministre a fait parvenir au préfet du Pas-de-Calais le refus d'accord qu'il a opposé le 24 février 2014 et qui s'est substitué à l'accord tacite. Dès lors, l'appelante n'est pas fondée à se prévaloir de l'existence d'un accord favorable du ministre de la défense.

12. En deuxième lieu, la société requérante, faute d'indiquer les textes législatifs ou réglementaires y faisant obstacle, n'est pas fondée à soutenir que le préfet ne pouvait pas valablement saisir le ministre de la défense d'une nouvelle demande d'accord à la suite de la réitération par le pétitionnaire de sa demande d'autorisation de construire portant sur un parc éolien composé de machines d'une hauteur supérieure à 50 mètres susceptible de constituer un obstacle à la navigation aérienne.

13. En troisième lieu, le refus d'accord du 24 février 2014 procède à l'analyse de l'impact du projet, au regard de sa configuration et de sa situation géographique, sur le fonctionnement du radar militaire situé dans une zone de 5 à 20 kilomètres et en déduit, au regard des recommandations nationales édictées sur le sujet en 2010 et qui sont résumées dans une annexe 2, que l'implantation d'éoliennes supplémentaires dans le cadre du parc éolien envisagé par la société Infinivent " est de nature à augmenter les perturbations existantes et à remettre en cause la mission des forces ". Il ne résulte ni des pièces du dossier ni des termes de ce refus d'accord du 24 février 2014 qu'il n'aurait pas été procédé à un examen circonstancié du projet de la société pétitionnaire. La circonstance que l'intégralité des dossiers de demande de permis de construire constitués par la société Infinivent n'aurait pas été transmise au ministre dans le cadre de cette consultation n'apparaît pas non plus de nature à entacher la procédure d'une irrégularité sur ce point. Par suite, la société Infinivent n'est pas fondée à soutenir que le refus d'accord opposé par le ministre de la défense est intervenu dans des conditions de nature à l'entacher d'illégalité.

14. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que le projet de parc éolien, qui comprend deux machines de 118 mètres et trois machines de 125 mètres de hauteur en bout de pales, est situé à moins de 20 kilomètres du radar militaire TRS 2215 de type " Palmier " intégré au maillage des radars haute, moyenne altitude assurant la défense aérienne de la partie Nord de la France et de ses approches.

15. Si le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'une décision au vu de la situation de fait et de droit qui prévalait à la date de cette décision, il peut toutefois prendre en compte des éléments postérieurs à cette décision qui éclairent cette situation. Par ailleurs, rien ne s'oppose à ce que les éléments de fait contenus dans les écritures de première instance du préfet du Pas-de-Calais soient pris en considération en appel, alors même que le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se borne à renvoyer à ces écritures sans les joindre à son mémoire en défense.

16. D'une part, la société Infinivent soutient que le radar militaire n'était pas en activité à la date des refus de permis en litige. Si l'étude technique réalisée par le ministère des armées en décembre 2018 indique que " le radar TRS 2215 a été mis en place en fin d'année 2014 dans le cadre d'un renforcement de la posture permanente de sûreté en remplacement du radar Palmier en lieu et place ", il ressort des pièces du dossier qu'à la date des refus de permis attaqués, ce radar était installé et en phase de tests techniques, lesquels se sont déroulés entre le 11 mars 2013 et le 29 août 2013, l'exploitation du radar ayant nécessairement débuté après cette dernière date.

17. D'autre part, il résulte des études menées par l'agence nationale des fréquences ainsi que par les services du ministre de la défense dans le cadre d'une campagne de mesure réalisée en 2009, corroborées par l'étude technique spécifique au projet en litige du 10 décembre 2018, et dont les éléments techniques ne sont pas sérieusement contestés par l'appelante, que compte tenu de leur situation au-dessus de l'axe du faisceau radar à zéro degré et à moins de 20 kilomètres de ce dernier, les éoliennes envisagées par la société Infinivent sont susceptibles de créer des effets de masque et des signaux parasites de nature à réduire l'efficacité des matériels servant à la protection du territoire national équivalant, dans certains cas de figure, à une perte de surface de détection de 100 km2 selon l'une des hypothèses de simulation traitée. Le projet serait également de nature à augmenter les risques de désensibilisation impliquant " la création de faux plots et de fausses pistes ". Dans ces conditions, la société Infinivent n'est pas fondée à soutenir que le refus d'accord opposé par le ministre de la défense serait entaché d'erreur de fait ou d'appréciation.

18. Comme indiqué au point 9, à défaut d'accord du ministre de la défense, le préfet du Pas-de-Calais était tenu de refuser les permis de construire sollicités. Il suit de là que les autres moyens dirigés contre les refus de permis de construire en litige, ne mettant pas en cause la situation de compétence liée dans laquelle se trouvait le préfet du Pas-de-Calais, sont inopérants et doivent être écartés.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Infinivent n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 26 février 2014 du préfet du Pas-de-Calais. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Infinivent est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Infinivent et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

N°17DA01356 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17DA01356
Date de la décision : 15/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

29-035 Energie.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: Mme Claire Rollet-Perraud
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-10-15;17da01356 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award