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17/07/2020 | FRANCE | N°19DA01684

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 17 juillet 2020, 19DA01684


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 29 janvier 2019 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui accorder le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte, au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d

e quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 29 janvier 2019 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui accorder le renouvellement de son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, d'autre part, d'enjoindre, sous astreinte, au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de cette même date, enfin, de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901897 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 29 janvier 2019 du préfet du Nord, a enjoint à cette autorité de procéder au réexamen de la demande de M. A..., dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de ce jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2019, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant géorgien né le 8 décembre 1967, est entré en France le 26 juin 2007, selon ses déclarations. Il s'est vu délivrer, le 23 avril 2009, une carte de séjour temporaire en raison des difficultés de santé qu'il rencontrait, ce titre ayant été régulièrement renouvelé depuis cette date. Il en a sollicité, en dernier lieu, le renouvellement par une demande du 4 mai 2018, en invoquant également des éléments tirés de sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 29 janvier 2019, le préfet du Nord lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit. Par un jugement du 11 juillet 2019, dont le préfet du Nord relève appel, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Nord de réexaminer la situation de M. A... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. Pour annuler l'arrêté du 29 janvier 2019 du préfet du Nord, les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de ce que cet acte avait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière en ce que l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 16 novembre 2018, au vu duquel le préfet du Nord avait forgé son appréciation, avait été notamment signé par le docteur C. qui ne figurait pas sur la liste des médecins désignés à cet effet par la décision du 8 juin 2017 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration produite par le préfet. Toutefois, le préfet du Nord produit devant la cour la décision, en date du 24 septembre 2018, publiée au bulletin officiel du ministère de l'intérieur, portant désignation au collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, laquelle comporte notamment mention du nom du docteur C. Il s'ensuit que, par la pièce dont il se prévaut en appel, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a estimé, pour annuler la décision de refus de séjour, ainsi que, par voie de conséquence, les autres décisions prises par l'arrêté en litige, que cette décision de refus de séjour avait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.

3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... devant le tribunal administratif de Lille, ainsi que ceux qu'il soulève devant elle.

Sur les conclusions à fins d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de délivrer à M. A... le titre de séjour qu'il sollicitait pour raisons médicales, le préfet du Nord s'est notamment fondé sur l'avis mentionné au point 2, émis le 16 novembre 2018 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Il ressort des termes mêmes de cet avis que le collège de médecins a estimé que l'état de santé de M. A... continuait de rendre nécessaire une prise en charge médicale et que le défaut de celle-ci pouvait entrainer pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Toutefois, ce même avis précise qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé existant dans le pays d'origine de M. A..., vers lequel il peut voyager sans risque, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... souffre d'une hépatite chronique virale B avec lésions de fibrose sous-jacentes initialement associé à un virus Delta, pathologie à raison de laquelle il bénéficie d'un suivi médical semestriel auprès du service des maladies de l'appareil digestif du centre hospitalier régional universitaire de Lille et d'un traitement médicamenteux reposant, à la date de l'arrêté contesté, sur l'administration du Baraclude, un antiviral dont le principe actif est l'entécavir. M. A... soutient qu'il n'est pas établi, en dépit de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qu'il puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Géorgie et produit, à l'appui de cette assertion, des certificats médicaux, établis entre les mois de décembre 2017 et mars 2019, selon lesquels son traitement est " non substituable ". En outre, M. A... produit un certificat médical, émis le 1er mars 2019 par un médecin exerçant au centre hospitalier universitaire de Lille, précisant qu'il est nécessaire de maintenir au long cours le traitement à base de Baraclude, qui a pour but de prévenir l'apparition chez l'intéressé d'une cirrhose ou d'un carcinome hépatocellulaire et qui ne doit en aucun cas être interrompu eu égard au risque d'évolution défavorable sévère susceptible d'en résulter. Par ce même document, le praticien hospitalier précise que ce traitement n'est pas accessible dans le pays d'origine de l'intéressé. Enfin, le requérant produit un courrier, daté du 6 mars 2019, émanant du ministère des déplacés internes originaires des territoires occupés, du travail, de la santé et de la protection sociale de Géorgie, accompagné de sa traduction, indiquant que le Baraclude ne fait pas partie des médicaments répertoriés comme distribués en Géorgie.

7. Il est ainsi attesté par le ministère géorgien chargé de la santé, que le médicament en cause, le Baraclude, ne figure pas parmi les spécialités pharmaceutiques commercialisées dans ce pays. En outre, plusieurs certificats médicaux délivrés à M. A... précisent que ce médicament, qui lui est prescrit, n'est pas substituable. Toutefois, comme le soutient à juste titre le préfet du Nord, la mention du caractère " non substituable " du médicament prescrit à M. A... a pour seul objet d'interdire au pharmacien de substituer à la spécialité prescrite une autre spécialité du même groupe générique, et ne suffit donc pas à exclure qu'un autre principe actif, disponible en Géorgie, puisse constituer un traitement approprié. Pour justifier, face à la contestation argumentée de M. A..., de la possibilité pour ce dernier d'accéder à un tel traitement en Géorgie, le préfet produit au dossier un courrier du 25 mars 2016 adressé au consul de l'ambassade de France en Géorgie, établi par un professeur en urologie, affirmant qu'il " n'y a aucun problème [pour] soigner en Géorgie les hépatites ". Toutefois, ce courrier vise expressément le traitement des hépatites C et ne fait aucune mention spécifique des hépatites B. Par ailleurs, le préfet du Nord se prévaut d'éléments issus de la banque mondiale de données médicales, dénommée MEDCOI (medical country of origin information). Si les données en cause font état des possibilités de prise en charge médicale du VIH et de l'hépatite C, il n'en ressort pas qu'un traitement susceptible d'être administré à M. A... pour la prise en charge de l'hépatite B dont il souffre serait accessible en Géorgie. Le préfet soutient également que le traitement de l'hépatite virale chronique B peut faire appel à un autre principe actif que l'entécavir, à savoir le ténofovir disoproxil. Toutefois, il ne verse au dossier aucune pièce au soutien de cette assertion, tandis qu'aucune des pièces médicales produites par M. A... n'envisage une alternative à son traitement. Enfin, dès lors que, comme il vient d'être dit, il est attesté par des certificats médicaux dont les énonciations ne sont pas contredites, que le Baraclude, qui est prescrit à M. A..., ne peut être substitué par une spécialité générique comportant le même principe actif, le préfet du Nord ne peut utilement se prévaloir d'un document émanant du ministère géorgien de la santé, au demeurant non traduit, confirmant la disponibilité, dans ce pays, de l'entécavir, qui est le principe actif entrant dans la composition du Baraclude. Dans ces conditions, il ne peut être tenu pour établi que M. A... pourrait effectivement accéder dans son pays d'origine à un traitement approprié à son état de santé et de nature à prévenir l'apparition des conséquences d'une particulière gravité susceptibles de résulter de l'évolution prévisible de la pathologie dont il est atteint. Dès lors, l'arrêté contesté, en ce qu'il refuse à M. A... la délivrance d'un titre de séjour, doit être regardé comme méconnaissant les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. La décision de refus de séjour prise à l'égard de M. A... n'est cependant pas fondée sur le seul motif tiré de ce que l'intéressé ne satisfait pas aux conditions requises par le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En effet, il ressort des motifs de cet arrêté que le préfet du Nord a également estimé que la présence de l'intéressé sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public et qu'ainsi, aucun titre de séjour ne pouvait lui être délivré en application des dispositions de l'article L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné par la juridiction répressive à raison de faits de vol aggravé et de violences, ces faits, commis par l'intéressé en 2006, 2007 et 2009, ne peuvent suffire, eu égard à leur ancienneté, même rapprochés de la condamnation de l'intéressé à une amende pour des faits, commis en 2011, de conduite d'un véhicule sans le permis requis, à établir que la présence de M. A... continuait de représenter, à la date de l'arrêté contesté, une menace pour l'ordre public, ce qu'au demeurant le préfet n'avait pas opposé à l'intéressé à l'occasion de précédents renouvellements de son titre de séjour. Enfin, si, au terme de cinq années sans avoir commis d'infraction, M. A... a été de nouveau interpellé en flagrant délit de vol dans un entrepôt en 2016, ce fait, commis près de trois années avant la date de l'arrêté contesté, ne peut, par lui-même, révéler que la présence en France de l'intéressé constituait, à la date de l'arrêté contesté, une menace pour l'ordre public justifiant une décision de refus de séjour, ce que d'ailleurs le préfet du Nord ne soutient pas dans ses écritures contentieuses. Par suite, pour retenir que la présence de M. A... continuait de représenter, à la date de l'arrêté contesté, une menace grave et actuelle pour l'ordre public, le préfet du Nord a méconnu les dispositions de l'article L. 313-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé sa décision, contenue dans l'arrêté du 29 janvier 2019, refusant d'accorder un titre de séjour à M. A..., ainsi que, par voie de conséquence, les décisions obligeant celui-ci à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Le présent arrêt, qui confirme l'annulation de la décision de refus de séjour prise à l'égard de M. A... au motif que cette décision méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles de l'article L. 313-3 de ce code, implique nécessairement que le préfet du Nord délivre à l'intéressé une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu de substituer cette injonction à celle de réexamen prononcée par les premiers juges et d'impartir au préfet du Nord un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt pour procéder à la délivrance de ce titre. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de procédure :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais de procédure exposés par M. A....

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement n° 1901897 du 11 juillet 2019 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet du Nord et à M. B... A....

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N°19DA01684


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01684
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : THIEFFRY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-17;19da01684 ?
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