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10/12/2020 | FRANCE | N°19DA00290

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 10 décembre 2020, 19DA00290


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le département du Pas-de-Calais à lui verser les sommes de 10 000 euros au titre du préjudice financier et de 60 000 euros au titre du préjudice moral, du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice d'agrément pour la période comprise entre le 28 juin 2013 et le 2 novembre 2015 ainsi que les provisions de 10 000 euros au titre du préjudice financier, qui sera évalué par voie d'expertise et de 60 000 euros au titre du préjudice m

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le département du Pas-de-Calais à lui verser les sommes de 10 000 euros au titre du préjudice financier et de 60 000 euros au titre du préjudice moral, du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice d'agrément pour la période comprise entre le 28 juin 2013 et le 2 novembre 2015 ainsi que les provisions de 10 000 euros au titre du préjudice financier, qui sera évalué par voie d'expertise et de 60 000 euros au titre du préjudice moral, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice d'agrément en réparation du harcèlement moral dont elle est victime.

Par un jugement n° 1606845 du 13 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 6 février 2019, le 20 mars 2019 et le 9 novembre 2020, Mme B..., représentée par Me E... G..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le département du Pas-de-Calais à l'indemniser du préjudice subi du fait du harcèlement moral et de l'accident de service dont elle a été victime en lui versant les sommes de 10 000 euros au titre du préjudice financier et de 60 000 euros au titre du préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;

- et les observations de Me A... F... pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B... est assistante socio-éducative principale du département du Pas-de-Calais depuis le 16 novembre 1989. Elle exerçait ses fonctions au pôle accueil de la maison du département pour les solidarités à Saint-Pol-sur-Ternoise. Elle s'estime victime d'agissements répétés de harcèlement moral et d'un accident de service, et a demandé à ce titre, au département, une indemnisation par courrier du 20 avril 2016. Le président du conseil départemental a confirmé le rejet de sa demande par courrier du 12 juillet 2016. Mme B... a alors saisi le tribunal administratif de Lille. Elle relève appel du jugement du 13 décembre 2018 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur le harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

4. En l'espèce, Mme B... fait d'abord état d'une surcharge de travail, d'ordres donnés dans un délai trop court, de pressions et de menaces ainsi que de dénigrements devant des collègues de travail. Toutefois les pièces qu'elle produit ne permettent pas de laisser présumer de tels faits. Elle soutient que l'élément déclencheur a été un courrier électronique de sa supérieure directe, le 26 juin 2013. Elle considère que ce message a été à l'origine d'un stress qui est la cause de l'accident de trajet qu'elle a subi le même jour en regagnant son domicile. Toutefois, ce message qu'elle joint et qui lui est adressé, se borne à lui reprocher sa réticence à prendre l'attache d'un des titulaires de l'autorité parentale pour proposer une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert d'un enfant confié au service. Si ce message marque un certain agacement de la supérieure, responsable de service, il reste courtois et ne comprend ni agressions, ni menaces, ni dévalorisations du travail de l'agent. De même, si la chef de service a transféré ce message au responsable de secteur, elle s'est contentée, lors de cette transmission, d'indiquer qu'elle ne comprenait pas " le mauvais esprit " à l'encontre de l'éducateur chargée de la mesure. Une telle transmission à un responsable hiérarchique ne constitue pas un dénigrement et une dévalorisation de l'ensemble du travail de Mme B..., comme celle-ci a cru le percevoir.

5. Mme B... produit ensuite le compte-rendu de la réunion du pôle accueil tenue le 4 juillet 2013 et un courrier du 1er octobre 2013 de cette équipe qui fait état à l'unanimité du mal-être de l'équipe, dû au comportement de la responsable du service. Sont reprochées à celle-ci, ses méthodes de communication caractérisées par de très nombreux messages électroniques et par son manque de confiance dans l'équipe. Aucun autre élément probant n'est produit sur le comportement inadéquat de la responsable du service, qui au surplus, concernait l'ensemble des agents et n'était donc pas en lien avec la seule personne de l'appelante. De même, les fiches d'évaluation de Mme B... par cette responsable de service depuis 2010 proposent une progression constante de la note chiffrée et ne démontrent pas un dénigrement ou une animosité de la part de cette supérieure hiérarchique. Par ailleurs, le département a pris en compte l'appel de Mme B..., le 5 juillet 2013 pour l'informer de son arrêt de travail. Il a mis en place une cellule prévention qui s'est réunie huit fois à compter du 17 septembre 2013 jusqu'en décembre 2014. Le département n'est donc pas resté inactif, comme le soutient Mme B..., face au malaise au travail qui lui a été signalé. De même, si Mme B... soutient que la réorganisation de son service entreprise en 2010 a été mal vécue par ses collègues et elle-même, le département, conscient de cette difficulté a mis en place un groupe d'expression des agents du service à partir de l'année 2011 jusqu'en juin 2012.

6. Mme B... se fonde enfin sur la reconnaissance de l'imputabilité au service de son accident de trajet par arrêté du président du conseil départemental du 16 mars 2015. Cet élément, s'il démontre le lien direct entre le service et l'accident survenu le 26 juin 2013 que Mme B... attribue à son stress professionnel, ne suffit à laisser présumer qu'il serait constitutif à lui seul, d'agissements répétés de harcèlement moral. Si par les documents qu'elle produits, l'appelante établit par ailleurs une atteinte à son état de santé, ils ne permettent pas non plus de présumer que celle-ci résulte d'agissements répétés de harcèlement moral ayant pour effet la dégradation de ses conditions de travail. Les certificats médicaux, s'ils attestent d'une réelle souffrance que l'intéressée met en relation avec son travail, reposent en effet exclusivement sur les déclarations de l'intéressée.

7. Il résulte de ce qui précède que Mme B... ne produit pas d'éléments laissant présumer d'une dégradation de ses conditions de travail et de ce que le département du Pas-de-Calais serait resté inactif face à ses alertes sur un mal-être au travail . Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille n'a pas retenu que la responsabilité du département du Pas-de-Calais était engagée en raison du harcèlement moral qu'elle aurait subi.

Sur l'entière réparation des préjudices résultant de l'accident de service :

8. L'allocation temporaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Son attribution ne fait pas obstacle pas à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice. Elle ne fait pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

9. Mme B..., qui bénéficie d'une allocation temporaire d'invalidité au taux de 30%, doit être regardée comme demandant une indemnisation intégrale du préjudice qu'elle estime être en lien avec cet accident. Toutefois, Mme B..., d'une part, ne fait pas état d'une faute autre que le harcèlement moral qu'aurait commis le département du Pas-de-Calais. Or, il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'il n'est pas établi que l'intéressée aurait été victime d'agissements de harcèlement moral. D'autre part, sur le terrain de la responsabilité sans faute, si l'appelante évoque un préjudice financier, elle ne démontre pas, en tout état de cause, que ce préjudice serait d'une autre nature que la perte de revenus et l'incidence professionnelle, déjà couvertes par l'allocation temporaire d'invalidité. Enfin si elle fait état d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice moral, elle n'apporte aucun élément pour établir le caractère certain de ces préjudices. Par suite, sa demande d'indemnisation ne peut qu'être rejetée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise pour l'évaluation des préjudices.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Pas-de-Calais, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme B... une somme de 500 euros au titre des frais exposés par le département du Pas-de-Calais et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Mme B... versera, au département du Pas-de-Calais, une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me E... G... pour Mme C... B... et à Me H... D... pour le département du Pas-de-Calais.

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA00290
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales - Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP B. OLIVIER-DENIS - O. MARLIÈRE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-12-10;19da00290 ?
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