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28/01/2021 | FRANCE | N°18DA00683

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 28 janvier 2021, 18DA00683


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office public pour l'habitat du Nord, dénommé Partenord Habitat, a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 748 434,96 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice matériel résultant de la dégradation des garages lui appartenant situés rue Boileau, rue Godefroy d'Estrades et rue des Cytises, sur le territoire de la commune de Dunkerque, du fait de la présence d'arbres sur le domaine public. En outre,

l'office a recherché la responsabilité, à titre subsidiaire, du grand port mar...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'office public pour l'habitat du Nord, dénommé Partenord Habitat, a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 748 434,96 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice matériel résultant de la dégradation des garages lui appartenant situés rue Boileau, rue Godefroy d'Estrades et rue des Cytises, sur le territoire de la commune de Dunkerque, du fait de la présence d'arbres sur le domaine public. En outre, l'office a recherché la responsabilité, à titre subsidiaire, du grand port maritime de Dunkerque, à titre très subsidiaire, de la commune de Dunkerque, à titre extrêmement subsidiaire, de la communauté urbaine de Dunkerque et, à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité solidaire de l'ensemble des personnes publiques mises en cause.

Par un jugement n° 1505254 du 16 février 2018, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, condamné l'Etat à verser à Partenord Habitat une somme de 1 671 034,96 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2015, lesdits intérêts étant capitalisés au 24 juin 2016 puis à chaque échéance annuelle, d'autre part, mis à la charge de l'Etat les dépens de l'instance d'un montant de 18 820,70 euros ainsi qu'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative. Enfin, le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Partenord Habitat ainsi que celles présentées par la commune de Dunkerque, par la communauté urbaine de Dunkerque et par le grand port maritime de Dunkerque.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 avril 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de Partenord Habitat.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 65-934 du 8 novembre 1965 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Christophe Binand, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- les observations de Me B..., pour Partenord Habitat,

- les observations de Me A..., pour le grand port maritime de Dunkerque,

- les observations de Me D..., pour la commune de Dunkerque,

- et les observations de Me C..., pour la communauté urbaine de Dunkerque.

Considérant ce qui suit :

1. L'office public de l'habitat du Nord, dénommé Partenord Habitat, est propriétaire de cent-trente-deux garages, répartis en deux bandes, situés rue Geoffroy d'Estrades, rue des Cytises et rue Boileau sur le territoire de la commune de Dunkerque. Après avoir constaté, à partir de l'année 2006, l'apparition de désordres affectant la solidité de ces garages, Partenord Habitat a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande d'expertise aux fins de déterminer l'origine de ces désordres, d'évaluer le coût des travaux permettant d'y remédier et de réunir les éléments permettant d'apprécier les responsabilités encourues. Au vu des conclusions du rapport de l'expert, déposé le 30 juillet 2013, dont il résulte que ces dégradations sont imputables à la poussée sur les fondations de ces immeubles des racines des peupliers plantés à proximité de ces derniers, Partenord Habitat a recherché la responsabilité de l'Etat et, à titre subsidiaire, du grand port maritime de Dunkerque, de la commune de Dunkerque, de la communauté urbaine de Dunkerque ou, solidairement, de l'ensemble de ces personnes publiques, afin d'être indemnisé du préjudice matériel et économique subi. Par un jugement du 16 février 2018, dont le ministre de la transition écologique et solidaire relève appel, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à Partenord Habitat une somme de 1 671 034,96 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 juin 2015, ordonné la capitalisation des intérêts échus au 24 juin 2016 puis à chaque échéance annuelle et mis à la charge de l'Etat les dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il résulte des motifs énoncés au point 5 du jugement attaqué que les premiers juges, pour estimer que les peupliers à l'origine des dommages étaient implantés sur le domaine public de l'Etat, ne se sont pas fondés sur l'opinion exprimée par l'expert sur cette question, mais sur le caractère constant de l'appartenance au domaine public de l'Etat du terrain d'implantation des arbres en cause, en s'appuyant ainsi sur l'appréciation qu'ils ont eux-mêmes portée sur les éléments de l'instruction. Par suite, le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait méconnu sur ce point son office.

3. En second lieu, le ministre soutient que le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation, dès lors que les premiers juges n'ont pas indiqué en quoi le préjudice dont Partenord Habitat demandait la réparation présentait un caractère " anormal et spécial ". Toutefois, il ressort des écritures des parties soumises au contradictoire devant les premiers juges, d'une part, que Partenord Habitat avait exposé précisément les considérations tenant à la nature, à l'origine et à la gravité des désordres, pour lesquelles le préjudice qui en résultait présentait selon lui un tel caractère, d'autre part, que le représentant de l'Etat s'était borné en retour, sans soulever de contestation sur ce caractère, à soutenir que les désordres en cause trouvaient leur origine dans la vétusté ou les vices de construction affectant les immeubles en cause. Ainsi, au regard du débat nourri devant lui entre les parties, le tribunal, en précisant au point 3 du jugement attaqué, que Partenord Habitat faisait valoir que le préjudice dont la réparation était demandée présentait un caractère anormal et spécial, et en indiquant au point 4 que ce préjudice, qu'il a décrit, ouvrait droit à ce titre à indemnisation, a suffisamment motivé son jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation doit être écarté.

Sur la responsabilité :

4. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage ou de la collectivité en assurant l'entretien, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

5. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert nommé par le juge des référés du tribunal, rapport dont le caractère contradictoire à l'égard des parties n'est pas contesté, que Partenord Habitat a fait édifier, entre 1962 et 1965, deux ensembles de garages sur des terrains lui appartenant, situés rue Geoffroy d'Estrades, rue des Cytises et rue Boileau à Dunkerque, dont l'arrière donne sur le chemin de halage qui longe le canal exutoire d'évacuation des eaux de wateringues. Quelques années après leur construction, une haie de quatre-vingt-six peupliers a été plantée le long de la rive du canal, à une distance d'environ trois mètres des façades arrières de ces bâtiments. L'expert relève, de manière catégorique, que les désordres subis par les cent trente-deux garages appartenant à Partenord Habitat trouvent leur unique origine dans la poussée des racines des peupliers sur les fondations qu'elles ont fait éclater, provoquant des fissurations plus ou moins importantes sur les murs et les sols et, dans certains cas, une déstabilisation des maçonneries. Il ajoute que ces plantations présentent un défaut, eu égard à la faible distance les séparant des immeubles voisins, compte tenu du développement prévisible de leur système racinaire. Les énonciations du rapport d'expertise ne sont pas sur ce point sérieusement remises en cause par le ministre qui, à l'instar du représentant de l'administration en première instance, n'établit pas davantage en appel la fragilité des immeubles de Partenord Habitat ou le caractère incertain du développement racinaire dont il se prévaut. Dès lors, les premiers juges ont à bon droit tenu pour établi le lien de causalité entre les désordres invoqués et la présence des arbres bordant le canal.

6. D'autre part, il résulte également de l'instruction, et il n'est pas contesté, que les berges du canal exutoire, incluant le chemin de halage, à l'égard desquelles Partenord Habitat a la qualité de tiers, appartiennent au domaine public de l'Etat, compte tenu de leur usage et des aménagements qui y ont été réalisés, leur gestion étant assurée, en vertu de l'article 17 du décret n° 65-934 du 8 novembre 1965, pour le compte de l'Etat par le grand port autonome de Dunkerque. Le ministre n'apporte aucun élément au soutien de ses assertions selon lesquelles, contrairement aux conclusions de l'expert, les peupliers à l'origine des dommages ne seraient pas tous implantés sur l'emprise des berges appartenant au domaine public de l'Etat. Dès lors, ces arbres constituent l'accessoire indissociable de ce domaine, au sens de l'article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques et se trouvent, par suite, sous la garde de l'Etat, maître de l'ouvrage, sans que le ministre ne puisse utilement se prévaloir, ainsi que les premiers juges l'ont relevé à juste titre, ni de ce que ces arbres n'ont pas été plantés par l'Etat ni de ce que celui-ci n'effectue pas leur entretien.

7. Enfin, compte tenu de la nature des désordres qui, affectant la solidité des garages, excèdent ainsi les sujétions normalement inhérentes au voisinage des ouvrages publics, et de leur caractère localisé, le préjudice qui en résulte pour Partenord Habitat présente un caractère grave et spécial. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit, le ministre de la transition écologique et solidaire n'apporte aucun élément de nature à établir que les dégradations subies seraient imputables, même en partie, à la fragilité de ces garages, en raison d'un vice de conception ou de leur vétusté, qui serait de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat.

8. Il résulte des quatre points qui précèdent que le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu la responsabilité de l'Etat, même sans faute, à raison des désordres subis par les garages appartenant à Partenord Habitat et l'ont condamné à réparer l'entier préjudice qui en est résulté.

Sur le préjudice :

9. L'expert a estimé que les quarante garages situés rue Geoffroy d'Estrades pouvaient faire l'objet de réparations ou d'une reconstruction partielle pour un coût évalué à 23 259,21 euros toutes taxes comprises et que les quatre-vingt-douze garages situés rue Boileau et rue des Cytises, constituant un même ensemble construit, présentaient des désordres tels que seule leur démolition et leur reconstruction devaient être envisagées pour un coût chiffré à la somme de 1 620 215,51 euros toutes taxes comprises.

10. En premier lieu, le ministre n'apporte pas d'éléments probants étayant ses assertions selon lesquelles certains des travaux proposés par l'expert, notamment en ce qui concerne les frais d'installation du chantier, ne seraient pas strictement nécessaires, ou encore que les procédés techniques envisagés pour remédier aux désordres, et en particulier le remplacement à neuf des quatre-vingt-douze portes des garages reconstruits, ne seraient pas les moins onéreux parmi ceux susceptibles d'être mis en oeuvre. Il n'établit pas davantage le caractère excessif de l'évaluation que l'expert a faite du montant des honoraires de maîtrise d'oeuvre, du coût global des travaux et des frais de remise en état des abords, ni du préjudice économique résultant de l'indisponibilité à la location, d'une part, de quatre garages, rendus impropres à la location, d'autre part, de l'ensemble des garages durant la durée de six mois correspondant à la réalisation prévisionnelle des travaux, qui a été évaluée comme cela résulte du rapport d'expertise, à partir des justificatifs apportés par Partenord Habitat.

11. En second lieu, contrairement à ce que soutient le ministre, l'amélioration de l'état des garages résultant de leur reconstruction ou réparation, qui est nécessaire au rétablissement de leur usage par l'intimé dans les conditions antérieures aux dégradations subies, ne justifie pas l'application d'un abattement de vétusté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 16 février 2018, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à Partenord Habitat une somme totale de 1 671 034,96 euros en réparation du préjudice matériel et économique subi.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

13. Les premiers juges, en assortissant l'indemnité accordée à Partenord Habitat au titre de la réparation du préjudice subi par celui-ci de l'intérêt au taux légal à compter du 24 juin 2015, date de leur saisine, ont fait une exacte application des dispositions de l'article 1153 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, maintenue en vigueur à la date du jugement, contrairement à ce que soutient le ministre de la transition écologique et solidaire en cause d'appel, en vertu de l'article 9 de cette ordonnance, pour les instances introduite avant le 1er octobre 2016. Par ailleurs, ils ont, par une exacte application des dispositions de l'article 1154 de ce code, fait droit à demande de capitalisation des intérêts pour produire eux-mêmes intérêts à la date du 24 juin 2016, date à laquelle était due une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date, dès lors que cette capitalisation est de droit, sans qu'y fasse obstacle la circonstance, dont se prévaut le ministre, que les parties au litige sont des personnes publiques.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 16 février 2018 du tribunal administratif de Lille. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Partenord Habitat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter les conclusions présentées par la commune de Dunkerque, par la communauté urbaine de Dunkerque et par le grand port maritime de Dunkerque au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et solidaire est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Partenord Habitat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Dunkerque, de la communauté urbaine de Dunkerque et du grand port maritime de Dunkerque présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique, à Partenord Habitat, à la commune de Dunkerque, à la communauté urbaine de Dunkerque et au grand port maritime de Dunkerque.

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N°18DA00683


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA00683
Date de la décision : 28/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03-02 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics. Conception et aménagement de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Christophe Binand
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : LORTHIOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-01-28;18da00683 ?
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