La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/06/2021 | FRANCE | N°20DA00417

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4e chambre - formation a 3, 17 juin 2021, 20DA00417


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 11 janvier 2020 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa situation e

t de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 11 janvier 2020 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 155 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2000219 du 10 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2020, M. B... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 11 janvier 2020 du préfet du Nord ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord, sous astreinte de 155 euros par jour de retard, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

----------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... D..., ressortissant de la République démocratique du Congo né le 1er décembre 1989 à Kinshasa, est entré en France, selon ses déclarations, au cours du mois de janvier 2012. Il a formé une demande d'asile, qui a été rejetée par une décision du 17 octobre 2012 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée le 26 juillet 2013 par la Cour nationale du droit d'asile. En conséquence, le préfet du Val-de-Marne a, par un arrêté du 13 mars 2014, refusé de l'admettre au séjour au titre de l'asile et lui a fait obligation de quitter le territoire français. S'étant cependant maintenu sur le territoire français, M. B... D... a successivement formé, le 18 août 2016 et le 24 août 2017, deux demandes de réexamen de sa situation au regard du droit d'asile, qui ont été rejetées, respectivement, par des décisions du 23 août 2016 et du 29 août 2017 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides confirmées le 31 janvier 2017 et le 9 novembre 2017 par la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 8 janvier 2018, le préfet du Val-de-Marne a de nouveau fait obligation à M. B... D... de quitter le territoire français. Ayant été interpellé le 11 janvier 2020 dans le cadre d'un contrôle d'identité effectué sur la voie publique aux abords des gares de Lille, M. B... D... a fait l'objet, le même jour, d'un arrêté par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an. M. B... D... relève appel du jugement du 10 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, des décisions contenues dans cet arrêté et à ce qu'il soit fait injonction, sous astreinte, au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de sa situation après l'avoir muni d'une autorisation provisoire de séjour et de travail.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. Il ressort des motifs de l'arrêté du 11 janvier 2020 du préfet du Nord que, pour faire obligation à M. B... D... de quitter le territoire français, cette autorité a notamment retenu que l'intéressé ne justifiait pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine et qu'il s'était maintenu sur le territoire français en dehors de toute procédure réglementaire. M. B... D... estime que ces appréciations, qu'il regarde comme erronées, révèlent un examen insuffisamment sérieux et attentif de sa situation. Toutefois, d'une part, s'il ressort des pièces du dossier que la mère de M. B... D... réside en France, où elle est prise en charge médicalement, de même que les frères et soeurs de l'intéressé, dont certains sont de nationalité française, ni cette situation, ni l'acte attestant du décès, en 2006, du père de M. B... D..., à en supposer même l'authenticité avérée, ne suffisent à établir que l'appelant serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, qu'il a indiqué n'avoir quitté qu'au début de l'année 2012, soit près de six années après ce décès. Par suite, le préfet du Nord ne s'est pas mépris, sur ce point, dans son appréciation de la situation de l'intéressé. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. B... D... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français en dépit, notamment, de l'arrêté du 8 janvier 2018 par lequel le préfet du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, où il a été interpellé le 11 janvier 2020. Si l'intéressé soutient avoir constitué, avec l'aide d'une entreprise du secteur du bâtiment qui l'avait recruté en tant que monteur de nacelles, un dossier de demande d'admission exceptionnelle au séjour et d'autorisation de travail et avoir vainement tenté d'obtenir un rendez-vous sur le site internet de la préfecture du Val-de-Marne, il n'établit pas la réalité des démarches qu'il allègue avoir accomplies en se bornant à produire une copie d'écran du site internet en cause ainsi qu'une copie des documents constituant la demande d'autorisation de travail rédigée par son employeur, et à faire état de la situation d'encombrement que connaît le système de prise de rendez-vous en ligne mis à la disposition des demandeurs à l'admission exceptionnelle au séjour par la préfecture du Val-de-Marne. Par suite, le préfet du Nord, en retenant que M. B... D... s'était maintenu sur le territoire français sans engager aucune démarche administrative en vue d'obtenir la régularisation de sa situation, ne s'est pas mépris dans son appréciation de la situation de l'intéressé. Enfin, si ce dernier fait aussi grief à cette autorité d'avoir retenu, dans les motifs de son arrêté, qu'il ne justifiait pas d'une résidence effective et permanente sur le territoire français, cette considération ne constitue pas un motif de la décision portant obligation de quitter le territoire français, mais de celle portant refus d'accorder un délai de départ volontaire. Dans ces conditions, le moyen tiré par M. B... D... de ce que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français n'aurait pas été précédée d'un examen suffisamment sérieux et approfondi de sa situation doit être écarté.

3. S'il n'est pas contesté que M. B... D..., entré en France, selon ses déclarations, au cours du mois de janvier 2012, pouvait se prévaloir d'un séjour habituel de huit années à la date à laquelle l'arrêté contesté a été pris, il ressort des pièces du dossier que cette durée n'a été rendue possible que par la soustraction de l'intéressé aux deux mesures d'éloignement dont il a successivement fait l'objet, ainsi qu'il a été dit au point 1. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que M. B... D... est célibataire et sans enfant. S'il fait état de la relation qu'il entretiendrait depuis cinq années avec une ressortissante française, avec laquelle il ne vit pas, la seule attestation établie par cette dernière le 18 janvier 2020, soit à une date postérieure à celle de l'arrêté contesté, ne peut suffire à justifier de la réalité, ni de l'ancienneté de la relation ainsi alléguée. Enfin, si, comme il a été dit au point précédent, la majeure partie des membres de la famille de M. B... D... demeure en France, à savoir sa mère, qui y est prise en charge médicalement, ainsi que ses frères et soeurs, dont certains ont la nationalité française, l'intéressé n'établit pas, en faisant état du décès de son père en 2006, qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, dans lequel il a habituellement vécu jusqu'à l'âge de vingt-deux ans. Dans ces circonstances et eu égard à la durée ainsi qu'aux conditions du séjour de M. B... D... en France et malgré les relations sociales et amicales nouées par lui depuis son arrivée sur le territoire français, notamment dans le cadre d'une association cultuelle protestante, dans laquelle il est investi en tant que musicien, le préfet du Nord, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cet acte a été pris. Par suite, cette décision n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les décisions portant refus de délai de départ volontaire et fixant le pays de destination :

4. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est entachée d'aucune des illégalités invoquées. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision refusant d'accorder à M. B... D... un délai pour se soumettre volontairement à cette mesure ainsi que la décision fixant le pays de destination devraient être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peuvent qu'être écartés.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

5. En vertu du III de l'article L. 511-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, des circonstances humanitaires pouvant toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. Ce même III précise que la durée de l'interdiction de retour est décidée par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.

6. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour fixer la durée de l'interdiction de retour qu'elle prononce à l'encontre de l'étranger soumis à une obligation de quitter le territoire français, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères que ces dispositions énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que l'étranger puisse, à sa seule lecture, en connaître les motifs.

7. Pour faire interdiction à M. B... D... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an, le préfet du Nord a, selon les motifs mêmes de l'arrêté contesté, pris en compte les conditions d'entrée et de séjour en France de l'intéressé, le fait que celui-ci alléguait sans l'établir être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, le fait qu'il s'était soustrait à deux précédentes mesures d'éloignement, enfin, le fait que l'intéressé ne démontrait l'existence d'aucune circonstance humanitaire de nature à justifier qu'il ne soit pas prononcé d'interdiction de retour à son encontre. Toutefois, ces motifs ne révèlent pas que le préfet se serait prononcé, pour fixer à un an la durée de cette interdiction, sur la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, en prenant en compte, notamment, les attaches familiales dont il y disposait. Par suite, le préfet du Nord a insuffisamment motivé en fait sa décision. En conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à son encontre, cette décision doit, pour ce motif, être annulée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre la décision, contenue dans l'arrêté du 11 janvier 2020 du préfet du Nord, portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. L'annulation de cette décision n'appelant, par elle-même, aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par M. B... D... doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme à la charge de l'Etat au titre des frais exposés par M. B... D... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000219 du 10 février 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. B... D... tendant à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du 11 janvier 2020, par laquelle le préfet du Nord lui a fait interdiction de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an.

Article 2 : La décision, contenue dans l'arrêté du 11 janvier 2020, par laquelle le préfet du Nord a fait interdiction à M. B... D... de retour sur le territoire français avant l'expiration d'un délai d'un an est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

1

2

N°20DA00417


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4e chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 20DA00417
Date de la décision : 17/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-Francois Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : PERINAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-06-17;20da00417 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award