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14/10/2021 | FRANCE | N°21DA01566

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 14 octobre 2021, 21DA01566


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de prescrire une expertise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, portant sur l'origine et les conséquences des désordres résultant d'une inondation survenue le 31 mai 2016 à Bruay-la-Buissière.

Par une ordonnance n° 2101354 du 25 mai 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a désigné un expert à cette fin.

Procédure devant la cour :<

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Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 juillet 2021 et 7 août 2021, la ministre d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de prescrire une expertise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, portant sur l'origine et les conséquences des désordres résultant d'une inondation survenue le 31 mai 2016 à Bruay-la-Buissière.

Par une ordonnance n° 2101354 du 25 mai 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a désigné un expert à cette fin.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 juillet 2021 et 7 août 2021, la ministre de la transition écologique demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 mai 2021 ;

2°) de rejeter la demande d'expertise de M. D....

Elle soutient que :

- son recours est recevable ;

- la juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en s'abstenant de prendre parti sur la question de la prescription quadriennale soulevée devant lui par le préfet du Pas-de-Calais et le département du Pas-de-Calais.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 juillet 2021, un mémoire enregistré le 27 août 2021 et un mémoire récapitulatif enregistré le 30 septembre 2021, M. D..., représenté par Me Valéry Gollain, conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions présentées par le département du Pas-de-Calais et le préfet du Pas-de-Calais, à la condamnation de l'Etat aux dépens, et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête de la ministre de la transition écologique est irrecevable dès lors qu'elle a été signée par une personne n'ayant pas compétence pour le faire et qu'elle ne comporte pas l'exposé des faits et des moyens ;

- la juge des référés du tribunal administratif de Lille n'a pas commis d'erreur de droit ;

- les travaux réalisés par l'Etat, le département du Pas-de-Calais et la commune de Bruay-la-Buissière au titre des années 2015 et 2016 ont constitué une cause aggravante de l'inondation survenue le 31 mai 2016 rue Wéry ;

- la prescription quadriennale n'a pas encore commencé à courir dès lors que la réalité et l'étendue des préjudices consécutifs à cette inondation ne sont pas encore exactement connues ;

- la mesure d'expertise ordonnée conserve son utilité dès lors qu'elle se rattache à une action au fond qui n'est pas prescrite ;

- au regard du principe de bonne administration de la justice et du commencement des opérations d'expertise, il convient de poursuivre l'expertise ordonnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2021, le département du Pas-de-Calais, représenté par Me Laure Thierry, demande, à titre principal, l'annulation de l'ordonnance entreprise et, à titre subsidiaire, à être mis hors de cause.

Il fait valoir que :

- la juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en s'abstenant de prendre parti sur la question de la prescription quadriennale soulevée devant lui ;

- la prescription quadriennale a commencé à courir à la date du 31 mai 2016 ;

- la mesure d'expertise ne présente pas de caractère utile dès lors que l'action au fond à laquelle elle se rattache est prescrite ;

- il n'existe pas manifestement de lien de causalité entre les travaux qu'il a réalisés et les préjudices liés à l'inondation du 31 mai 2016.

Par des observations enregistrées le 16 août 2021, le préfet du Pas-de-Calais s'en rapporte aux conclusions de la ministre de la transition écologique.

Il fait valoir que :

- la juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en s'abstenant de prendre parti sur la question de la prescription quadriennale soulevée devant lui ;

- la prescription quadriennale a commencé à courir à compter du 4 mars 2012, date de la précédente inondation recensée sur le territoire de la commune de Bruay-la-Buissière ;

- la mesure d'expertise ne présente pas de caractère utile dès lors que l'action au fond à laquelle elle se rattache est prescrite.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 septembre 2021, la commune de Bruay-la-Buissière, représentée par Me Laurent Frölich, conclut, à titre principal, à l'annulation de l'ordonnance entreprise, à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause, et dans tous les cas, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que ;

- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en s'abstenant de prendre parti sur la question de la prescription quadriennale soulevée devant lui ;

- la prescription quadriennale a commencé à courir à compter du 31 mai 2016 ;

- la mesure d'expertise ne présente pas de caractère utile dès lors que l'action au fond à laquelle elle se rattache est prescrite.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Bruay-la-Buissière, située dans le département du Pas-de-Calais, est traversée par la rivière Lawe. En raison de risques d'inondation sur le territoire communal, des travaux de mise en sécurité de la Lawe et de renforcement de la digue gauche au droit du pont Lamendin ont été entrepris depuis 1999 et poursuivis notamment au cours des années 2015-2016. Le département du Pas-de-Calais ayant réalisé des travaux de transformation du Pont Lamendin afin d'élargir la chaussée et les trottoirs y attenant, l'Etat quant à lui a procédé au renforcement du système de batardeaux amovibles installés en rive gauche dans les années 2008-2009. Enfin, la commune de Bruay-la-Buissière a entrepris des travaux de réfection du pont Cail et de mise en conformité de ses trottoirs. Postérieurement à l'exécution de ses travaux, le 31 mai 2016, la rue Ernest Wéry, située en rive droite, a été inondée consécutivement au débordement de la Lawe. M. D..., propriétaire d'un immeuble dans cette rue, soutient que ces divers travaux réalisés au droit des ponts Lamendin et Cail au cours des années 2015 et 2016 ont aggravé les conséquences de cette inondation dans ce secteur. Il a donc sollicité la prescription d'une expertise destinée à décrire les désordres constatés, déterminer leur imputabilité à l'inondation du 31 mai 2016, et apprécier l'étendue des préjudices subis. Par ordonnance du 25 mai 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a désigné un expert à cette fin. L'Etat fait appel de cette ordonnance.

Sur l'utilité de la mesure d'expertise :

2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ".

3. L'utilité d'une mesure d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise si cette dernière est formulée à l'appui de prétentions indemnitaires dont il est établi qu'elles sont irrecevables ou prescrites et, dans l'hypothèse où est opposée une forclusion ou une prescription, il lui incombe de prendre parti sur ces points. Le juge des référés ne peut non plus faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne

4. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement (...) ". Il en résulte que lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Il en résulte également que le point de départ de cette prescription est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration.

5. D'une part, le ministre ne peut utilement faire valoir que la prescription quadriennale aurait commencé à courir à l'occasion d'une première inondation survenue le 4 mars 2012 dès lors que M. D... recherche la responsabilité de l'Etat sur le fondement des travaux réalisés en 2015. Si la réalité des préjudices subis par M. D... est nécessairement connue de lui depuis le 31 mai 2016, date de l'inondation, il ressort des pièces du dossier qu'il a, le 28 octobre 2020, saisi le préfet du Pas-de-Calais d'une demande indemnitaire tendant à la réparation du préjudice causé par cette inondation du fait de travaux réalisés par l'Etat au niveau du pont Lamendin. La prescription quadriennale a ainsi été interrompue par cette demande dans le délai de quatre ans qui avait commencé à courir le 1er janvier 2017. Par conséquent, les prétentions indemnitaires de M. D... ne sont frappées d'aucune prescription pour ce qui concerne l'Etat, et l'exception tirée de l'extinction de la prescription quadriennale ne peut être accueillie.

6. D'autre part, M. D... soutient que les travaux réalisés par l'Etat, le département, et la commune tels que décrits au point 1 ont constitué une cause aggravante de l'inondation du 31 mai 2016 dans la mesure où ces personnes publiques, pour la part de travaux qui leur incombe, ont modifié le système anti-crues et la configuration des ouvrages qui bordent cette rivière et qui se situent à proximité du quartier Wéry, notamment les ponts Lamendin et Cail. Si lesdites personnes font valoir que ces travaux n'ont eu aucune incidence, notamment du fait de leur caractère limité ou sans effet sur le régime hydraulique de la Lawe, alors que les inondations sont anciennes dans ce quartier, eu égard à l'appréciation que doit porter le juge des référés, il n'est pas manifeste que la responsabilité de l'Etat n'est pas susceptible d'être engagée en raison de l'ouvrage public en cause.

7. Peuvent être appelées à participer à une expertise ordonnée sur le fondement de l'article R. 532-1 précité non seulement les personnes dont la responsabilité est susceptible d'être engagée par l'action qui motive l'expertise, mais aussi toute personne dont la présence est de nature à éclairer les travaux de l'expert.

8. Le département du Pas-de-Calais demande à être mis hors de cause aux motifs que l'action indemnitaire au fond intentée à son encontre est prescrite et qu'il n'existe pas de lien de causalité susceptible d'engager sa responsabilité. Toutefois, le département est intervenu au droit du pont Lamendin en 2015 et a entrepris des travaux de transformation de cet ouvrage en vue d'élargir la chaussée et les trottoirs attenants. En l'état, et même s'il ressort des pièces du dossier que ces travaux ont eu pour effet de permettre en principe l'écoulement d'un débit plus important, eu égard à son office, le juge des référés ne saurait considérer qu'il n'existe pas manifestement de lien de causalité entre l'intervention du département sur l'ouvrage public et les préjudices subis par M. D.... Par suite, dès lors que l'expertise a pour objet de déterminer les causes des désordres consécutifs à l'inondation du 31 mai 2016 et de fournir au tribunal tous éléments de nature à lui permettre de déterminer les responsabilités éventuellement encourues, la participation du département du Pas-de-Calais aux opérations d'expertise est utile même en admettant que l'action à son égard soit prescrite. Dans ces conditions, les conclusions du département du Pas-de-Calais tendant à sa mise hors de cause doivent être rejetées.

9. La commune de Bruay-la-Buissière demande aussi à être mise hors de cause au motif que l'action indemnitaire au fond intentée à son encontre est prescrite. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent et alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle est intervenue au droit du pont Cail en 2016 pour y effectuer des travaux de réfection, il y a lieu de rejeter sa demande.

10. Il résulte de ce qui précède que la mesure d'expertise ordonnée en première instance, qui tend précisément à apprécier l'étendue des préjudices subis et à déterminer le rôle éventuel des ouvrages publics cités dans l'aggravation de l'inondation, présente le caractère d'utilité exigé par l'article R. 532-1 du code de justice administrative. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par M. D... et sur la recevabilité des conclusions des collectivités locales, la ministre de la transition écologique le département du Pas-de-Calais et la commune de Bruay-la-Buissière ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a ordonné l'expertise sollicitée.

Sur les conclusions relatives aux dépens :

11. En application des dispositions de l'article R. 621-13 du code de justice administrative, il appartiendra au président du tribunal, lorsqu'il liquidera et taxera les frais de l'expertise, de désigner dans l'ordonnance la partie qui les supportera. Les conclusions de M. D... tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens doivent en conséquence être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. D... présentées au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Celles présentées par la commune de Bruay-la-Buissière doivent également être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la ministre de la transition écologique est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du département du Pas-de-Calais, de la commune de Bruay-la-Buissière et de M. D... sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la ministre de la transition écologique, à M. A... D..., à la commune de Bruay-la-Buissière, au département du Pas-de-Calais, au préfet du Pas-de-Calais, et à M. C... B..., expert.

Fait à Douai le 14 octobre 2021.

Le président de la cour,

Signé

Jean-François MOUTTE

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Bénédicte Gozé

N°21DA01566 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Numéro d'arrêt : 21DA01566
Date de la décision : 14/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GOLLAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-10-14;21da01566 ?
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