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23/11/2021 | FRANCE | N°20DA01784

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 23 novembre 2021, 20DA01784


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 novembre 2020, et un mémoire, enregistré le 20 mai 2021, la société Parc éolien de l'Epinette, représentée par Me Hélène Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2020 par lequel la préfète de la Somme a refusé de lui délivrer une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien composé de dix machines et trois postes de livraison situé sur le territoire des communes de Coullemelle, Grivesnes et Villers-Tournelle ;

2°)

de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée en l'assortissant le cas échéant des presc...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 novembre 2020, et un mémoire, enregistré le 20 mai 2021, la société Parc éolien de l'Epinette, représentée par Me Hélène Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2020 par lequel la préfète de la Somme a refusé de lui délivrer une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien composé de dix machines et trois postes de livraison situé sur le territoire des communes de Coullemelle, Grivesnes et Villers-Tournelle ;

2°) de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée en l'assortissant le cas échéant des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Somme de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de réexaminer la demande d'autorisation environnementale dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté est entaché d'un défaut de motivation ;

- le projet ne porte pas atteinte au paysage, qui ne présente pas un intérêt particulier, ni aux monuments ;

- le projet ne porte pas atteinte à la commodité du voisinage ;

- le préfet ne démontre pas que les mesures d'évitement, de réduction et de compensation proposées ne pourraient pas prévenir les atteintes alléguées au paysage.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 1er juillet 2021, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Tatiana Boudrot, représentant la Société Parc éolien de l'Epinette.

Une note en délibéré présentée pour la société Parc éolien de l'Epinette a été enregistrée le 27 octobre 2021.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin d'annulation :

1. La société Parc éolien de l'Epinette a sollicité, le 5 juillet 2018, une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien composé de dix machines et trois postes de livraison situé sur le territoire des communes de Coullemelle, Grivesnes et Villers-Tournelle à environ 30 kilomètres au sud d'Amiens. Par un arrêté du 28 septembre 2020, le préfet de la Somme a refusé l'autorisation sollicitée en raison de l'atteinte portée au paysage, au patrimoine et à la commodité du voisinage. La société Parc éolien de l'Epinette demande à la cour d'annuler cet arrêté.

En ce qui concerne la motivation :

2. Le refus d'autorisation litigieux, qui énonce les éléments de fait et de droit sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

3. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement dans sa rédaction alors en vigueur : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique.(...) "

S'agissant de l'atteinte à la commodité du voisinage :

4. La société a réalisé une étude d'encerclement et de saturation visuelle permettant de calculer, d'une part, la somme des angles interceptés par des éoliennes dans les distances de 0 à 5 puis de 5 à 10 kilomètres, d'autre part, l'indice de densité dont le seuil d'alerte est supérieur à 0,10, et le plus grand angle sans éolienne. L'étude précise qu'un angle de 160° à 180° est souhaitable mais que selon l'avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) des Hauts de France, un angle de 90° est acceptable.

5. Il résulte de l'instruction que les angles non pourvus en éoliennes sont respectivement de 65°, 79° et 62° pour les communes de Cantigny, Grivesnes et Villers-Tournelle, étant précisé que Grivesnes est situé à moins de 5 kilomètres du projet. Par ailleurs, et à lui seul, le projet entoure le village à hauteur de 85° dans un champ de 5 kilomètres. Néanmoins, il ressort des photomontages que, depuis Grivesnes, les constructions font office de masque vis-à-vis du projet. Depuis le centre de Villers-Tournelle, quelques éoliennes sont visibles mais sont en partie masquées par la végétation, et, depuis Cantigny, l'encerclement n'est pas davantage établi.

6. Il résulte également de l'instruction que, depuis le centre de Coullemelle, la plupart des éoliennes se trouvent masquées par les constructions qui occultent les alignements. Depuis l'église et le cimetière de Rocquencourt, les éoliennes se trouvent partiellement masquées ou entourées par des éléments d'anthropisation tels que château d'eau et lignes électriques. L'arrêté ne fait pas état d'éléments précis sur la situation de Sérévillers et de Plessiers au regard de la commodité de voisinage.

7. En ce qui concerne les villages plus lointains, il ressort des photomontages concernant les villages d'Aubvillers, de Davenescourt et de Montdidier, que le parc de l'Epinette se superpose ou se juxtapose à un parc déjà existant, et ne crée pas d'effet de saturation visuelle.

S'agissant de l'atteinte aux paysages :

8. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'étude paysagère, que la zone d'implantation du projet est située au sein des grandes unités paysagères de la " vallée de l'Avre et des trois Doms ". Cette vallée se caractérise par un paysage de plaines agricoles cultivées sur de vastes parcelles et le paysage est anthropisé. Il résulte également de cette étude que le paysage emblématique situé au plus près du projet est celui de la vallée de Septoutre. Il s'agit d'une plaine ouverte dont l'horizon est occupé par une frange boisée qui, dans les talwegs humides, présente une atmosphère intimiste caractéristique des vallées encaissées. La silhouette des villages-bosquets est accompagnée d'une frange végétale d'où émergent les clochers. Néanmoins, ce cadre paysager ne présente pas un caractère remarquable, unique ou particulièrement singulier.

Quant à l'atteinte à la vallée de Septoutre :

9. Il résulte de l'instruction, et notamment du photomontage réalisé depuis le hameau de Septoutre, que les éoliennes sont effectivement visibles au-dessus de la cime des arbres. Toutefois, il ne résulte pas de ces photomontages que les éoliennes entraîneraient un effet de prédominance par rapport aux boisements. Par ailleurs, alors même que l'étude paysagère souligne que l'axe de la vallée de Septoutre est un lieu de découverte privilégié, le photomontage réalisé depuis la sortie sud de Sauvillers-Mongival montre que le projet s'inscrit dans la ligne d'horizon et en cohérence avec les autres parcs.

Quant à l'atteinte aux villages les plus proches :

10. Il résulte de l'instruction que si les éoliennes dominent le hameau de Plessier, les éoliennes suivent néanmoins la barrière végétale ce qui favorise leur intégration.

11. En arrivant par le sud dans le village de Villers-Tournelle, les photomontages montrent que les éoliennes surplombent le village et l'impact du projet est fort. Ce rapport d'échelle ne sera toutefois visible que par les automobilistes et il résulte des photomontages que le projet suit les lignes de force du paysage.

12. S'il résulte de l'instruction que, depuis la RD 188 au nord-ouest de Coullemelle, le projet apparaît derrière le village, l'atteinte au paysage, qui ne présente pas un intérêt particulier, n'est pas caractérisée.

13. S'agissant du village de Rocquencourt, si l'étude paysagère fait état d'un impact fort du projet, cette qualification est cependant donnée à partir d'une vue depuis une portion d'une seule route de randonnée. En outre, le paysage ne présente pas d'intérêt particulier et n'est pas dénaturé par l'effet de surplomb des éoliennes.

S'agissant de l'atteinte aux monuments historiques :

14. Dans la ville de Montdidier, émergent trois clochers appartenant à l'Eglise de Saint-Pierre, au Saint Sépulcre et à l'Hôtel de ville. S'il résulte de l'instruction que les éoliennes encadrent l'église avec un rapport d'échelle légèrement défavorable, l'impact reste modéré et celui sur les deux autres édifices n'est pas établi.

15. Il résulte de l'instruction que l'église Saint-Nicolas à Coullemelle bénéficie d'une protection au titre des monuments historiques, non seulement pour sa décoration intérieure néo-romane mais également pour la totalité de l'édifice. Les photomontages n° 55 et 56 montrent que les éoliennes E8 et E9 sont sensiblement plus hautes que le clocher qu'elles encadrent et tendent à l'écraser. Aucune mesure d'évitement, de réduction ou de compensation n'apparaît envisageable pour résorber l'impact de ces deux éoliennes. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la préfète de la Somme a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en tant qu'elle porte sur les éoliennes E8 et E9.

16. Il résulte de tout ce qui précède, que la société parc éolien de l'Epinette est fondée à demander l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Somme du 28 septembre 2020 en tant qu'il porte sur les éoliennes E2 à E7, E10, E11 et les postes de livraison.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 de ce code. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

18. La ministre de la transition écologique ne se prévaut d'aucun autre motif de refus de l'autorisation de construire et d'exploiter les éoliennes du parc litigieux.

19. Eu égard aux motifs d'annulation retenus par le présent arrêt, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation de construire et d'exploiter le parc projeté, en tant qu'il porte sur les éoliennes E2 à E7, E10, E11 et les postes de livraison, et en la renvoyant devant la préfète de la Somme pour fixer les conditions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement qui doivent assortir cette autorisation. Il est enjoint à la préfète de la Somme de fixer ces conditions dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Parc éolien de l'Epinette, et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Somme du 28 septembre 2020 est annulé en tant qu'il porte sur les éoliennes E2 à E7, E10, E11 et les postes de livraison.

Article 2 : L'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation du parc éolien est accordée à la société Parc éolien de l'Epinette, à l'exception des éoliennes E8 et E9.

Article 3 : L'autorisation délivrée à l'article 2 sera assortie des prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement qui seront fixées par la préfète de la Somme, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société Parc éolien de l'Epinette une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de l'Epinette et à la ministre de la transition écologique, et à la préfète de la Somme.

Copie en sera transmise pour information aux communes de Coullemelle, Grivesnes et Villers-Tournelle.

Délibéré après l'audience publique du 26 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2021.

La présidente-rapporteure

Signé : C. BAES-HONORELe président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. SIRE

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine SIRE

N°20DA01784 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01784
Date de la décision : 23/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Energie.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Corinne Baes Honoré
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES ET CGR LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-11-23;20da01784 ?
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