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11/01/2022 | FRANCE | N°20DA01489

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 11 janvier 2022, 20DA01489


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 décembre 2020 et des mémoires enregistrés le 1er septembre 2021 et le 16 septembre 2021, la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme, représentée par Me Yaël Cambus, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2020 par lequel le préfet du Nord a rejeté sa demande d'autorisation environnementale tendant à la construction et à l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Bévilliers, Quiévy et Saint-Hi

laire-lez-Cambrai ;

2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée assortie des prescrip...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 décembre 2020 et des mémoires enregistrés le 1er septembre 2021 et le 16 septembre 2021, la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme, représentée par Me Yaël Cambus, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2020 par lequel le préfet du Nord a rejeté sa demande d'autorisation environnementale tendant à la construction et à l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Bévilliers, Quiévy et Saint-Hilaire-lez-Cambrai ;

2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée assortie des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer l'autorisation sollicitée assortie des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Yaël Cambus représentant la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ferme éolienne du Moulin Jérôme a déposé le 4 mai 2017 une demande d'autorisation environnementale, complétée le 30 novembre 2018, tendant à la construction et à l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs E1 à E4 et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Bévilliers, Quiévy et Saint-Hilaire-lez-Cambrai. Par un arrêté du 9 juillet 2020, annulant et remplaçant un précédent arrêté du 26 juin 2020, le préfet du Nord a rejeté cette demande. Dans la présente instance, la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme demande l'annulation de cet arrêté du 9 juillet 2020.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

2. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. -L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ".

3. Pour rejeter la demande présentée par la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme, le préfet du Nord s'est fondé sur les risques excessifs d'atteinte aux chiroptères, à l'avifaune, aux paysages et à la commodité du paysage.

En ce qui concerne les incidences sur les chiroptères :

4. Il résulte de l'instruction que si l'aérogénérateur E1 n'est pas situé à proximité d'une zone fréquentée par les chiroptères, l'aérogénérateur E2 est situé à proximité immédiate d'une prairie, l'aérogénérateur E3 à 150 mètres d'un chemin enherbé et à 200 mètres d'un axe de déplacement des chiroptères et l'aérogénérateur E4 à 150 mètres de ce même axe et à 100 mètres d'une haie. Pour apprécier l'incidence des aérogénérateurs E2 à E4 sur les chiroptères, le préfet du Nord a pu à bon droit tenir compte, sans leur prêter une valeur réglementaire, des lignes directrices émises en 2014 par l'organisme Eurobats, qui recommandent une distance minimale d'éloignement de 200 mètres entre un aérogénérateur éolien et une zone boisée ou d' " autres habitats particulièrement importants pour les chauves-souris tels que les rangées d'arbres, les haies du bocage, les zones humides ou les cours d'eau (...) ainsi qu'à tout secteur où l'étude d'impact a mis en évidence une forte activité de chauves-souris ".

5. Cependant, il résulte de l'instruction et notamment du compte rendu des écoutes qui ont été réalisées depuis un point mobile au sol et depuis un point fixe en hauteur, sur mât et en ballon, qu'au sein de ces espaces naturels, une activité faible, parfois nulle, a été enregistrée pour l'ensemble des espèces de chiroptères, à l'exception de la pipistrelle commune et, dans une moindre mesure, de la pipistrelle de Nathusius, pour lesquelles une activité faible ou moyenne, pendant certaines périodes de leur cycle biologique, y a été observée. En outre, si ces deux espèces présentent une forte sensibilité aux éoliennes, il résulte de l'instruction que la pipistrelle commune, qui représente 76 % des contacts relevés, est une espèce " commune " cotée 1 sur 4 sur l'échelle de rareté des chiroptères. Enfin, en tenant compte du nombre de contacts par heure enregistrés, de la rareté des espèces et de leur sensibilité à l'éolien, l'étude d'impact conclut, sans être sérieusement contestée, que les aérogénérateurs E2 à E4 sont implantés dans une zone à " faible " sensibilité chiroptérologique, alors même qu'ils sont situés à proximité d'espaces naturels présentant une sensibilité chiroptérologique " moyenne ".

6. Compte tenu de l'intensité en l'espèce des risques d'atteinte aux chiroptères et des mesures d'évitement et de réduction proposées par la pétitionnaire, qui consistent notamment à arrêter le fonctionnement des aérogénérateurs durant certaines périodes de l'année et du jour lorsque les conditions météorologiques sont propices à l'activité des chiroptères, le préfet du Nord ne pouvait, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que le projet présentait un risque résiduel inacceptable pour la protection de ces espèces.

En ce qui concerne les incidences sur l'avifaune :

7. Il résulte de l'instruction que si les aérogénérateurs E3 et E4 ne sont pas situés à proximité de zones fréquentées par l'avifaune nicheuse, l'aérogénérateur E2 est situé à proximité immédiate d'une zone importante pour la nidification et la migration des passereaux et l'aérogénérateur E1 à proximité de l'aire de nidification potentielle du busard Saint-Martin, espèce classée " en danger " dans la liste rouge des espèces protégées du Nord-Pas-de-Calais.

8. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu de leur faible hauteur de vol, ces espèces présenteraient une sensibilité particulière en présence d'un parc éolien. De plus, pour éviter et réduire les risques d'atteinte au busard Saint-Martin, la pétitionnaire a proposé de mettre en œuvre des actions de détection et de préservation des nids dans un rayon de deux kilomètres autour de la zone d'implantation du projet pendant une période de trois ans qui pourra, selon les besoins constatés, être prorogée dans la limite de la durée d'exploitation du parc. Dans ces conditions, en estimant que ces mesures étaient insuffisantes et que le projet présentait un risque résiduel inacceptable pour l'avifaune et en particulier pour la préservation du busard Saint-Martin, le préfet du Nord a entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne les incidences sur paysage et la commodité du voisinage :

9. Il résulte de l'instruction que le projet prend place au sein d'un vaste plateau agricole entouré de plusieurs bourgs dans un rayon de deux kilomètres, au nord par Avesnes-les-Aubert et Saint Hilaire-lez-Cambrai, à l'est par Quiévy, au sud-est par Béthencourt, au sud par Caudry, au sud-ouest par Beauvois-en-Cambrésis et à l'est par Bévillers et Boussières-en-Cambrésis dont l'église est classée au titre des monuments historiques. Dans un rayon de dix kilomètres autour de la zone d'implantation du projet, se trouvent plusieurs édifices remarquables, dont certains sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques, dans les communes de Carnières, Saint-Aubert, Rieux-en-Cambrésis, Préseau et, en lisière de ce rayon, celles de Le Cateau-Cambrésis et de Cambrai.

10. Pour estimer que le projet portait une atteinte excessive au paysage et à la commodité du paysage, le préfet du Nord a relevé que les aérogénérateurs E3 et E4 occuperaient " un espace de respiration paysager situé entre les deux pôles du parc éolien de la Voie du Moulin Jérôme, parc déjà autorisé " en se référant aux photomontages 3, 4, 6, 25 et 30, que le projet augmenterait " l'effet d'encerclement " autour des bourgs de Quiévy et de Bévillers et qu'il participerait à un " effet de mitage " du paysage où 62 aérogénérateurs sont déjà construits ou accordés dans un rayon de 21 kilomètres.

11. Or, s'agissant des vues en sortie nord et est du bourg de Bévillers, il résulte de l'instruction et notamment des photomontages n° 2 à 5 que le projet s'insère dans un paysage agricole ne présentant pas d'intérêt particulier, ponctué de surcroît à l'est par des arbres dispersés ou en alignement qui dissimulent en partie les aérogénérateurs. Comme le montre le photomontage n° 6, à l'approche de ce bourg à l'ouest sur la route départementale n° 113, le projet émerge à l'écart des habitations ou est dissimulé par celles-ci et les arbres qui les entourent. S'agissant des vues en direction d'Avesne-les-Aubert sur la route départementale n° 942, le projet apparaît à l'horizon, dans les photomontages n° 10 et 11, sans concurrencer visuellement les clochers de Boussières-en-Cambrésis et de Carnières. S'agissant des vues à l'approche nord de Saint Hilaire-lez-Cambrai sur la route départementale n° 297, si le projet apparaît en surplomb des habitations dans le photomontage n° 18, il se mêle en grande partie aux aérogénérateurs déjà présents dans la zone.

12. S'agissant des vues en sortie sud de Quiévy sur la route départementale n° 45, comme le montre le photomontage n° 25, les aérogénérateurs E1 et E2 viennent densifier une zone déjà occupée par ceux du parc éolien de la Voie du Moulin Jérôme qui a été autorisé mais pas encore construit. Si les aérogénérateurs E3 et E4 sont situés entre les deux parties de ce parc, ils prennent place dans un espace agricole dénué d'intérêt particulier, à l'écart des habitations. En sortie nord du même bourg de Quiévy sur la route départementale n° 45, si l'aérogénérateur E3 apparaît en surplomb des habitations, il est toutefois en partie masqué par la végétation haute comme le montre le photomontage n° 22. S'agissant des vues en sortie nord-ouest de Béthencourt, si le projet élargit dans le photomontage n° 30 le groupe d'aérogénérateurs formés par le parc éolien de la Voie du Moulin Jérôme, il prend toutefois place dans un espace agricole sans intérêt particulier, marqué par des pylônes de lignes électriques à haute tension. Il ne résulte pas non plus des autres photomontages, notamment de ceux où la pétitionnaire a fait apparaître les autres parcs éoliens autorisés et pas encore construits, que le projet serait susceptible de porter une atteinte excessive aux paysages environnants.

13. Par ailleurs, si le préfet du Nord a fait valoir que les indicateurs de saturation visuelle seront dégradés depuis Quiévy, il résulte de l'instruction que le projet n'aura pas d'incidence sur l'angle de respiration à 5 kilomètres et que l'indice d'occupation de l'horizon ne s'élèvera qu'à 128°, soit à un niveau proche de la valeur de référence fixée à 120° par la méthode de mesure de la saturation visuelle présentée dans l'étude d'impact. S'agissant de l'incidence sur les vues autour de Bévillers, si le projet entraînera une augmentation plus importante de l'indice d'occupation de l'horizon, il résulte de l'instruction que les incidences concrètes du projet seront atténuées par plusieurs écrans visuels environnants, végétaux ou urbains, dont ne tient pas compte l'indice d'occupation de l'horizon mentionné dans l'étude d'impact. Enfin, la pétitionnaire a proposé, au titre des mesures de réduction et de compensation, de réaliser des plantations d'arbres à la demande des personnes résidant à Quiévy, Béthencourt et Saint Hilaire-lez-Cambrai.

14. Enfin, si la ministre fait valoir que des parcs éoliens ont été récemment autorisés dans un rayon de 21 kilomètres autour du projet, elle ne produit pas d'élément précis et circonstancié sur les impacts cumulés avec ces nouveaux parcs, alors que la pétitionnaire a examiné, dans l'étude d'impact litigieuse, les incidences de son projet en tenant compte des effets cumulés avec les parcs éoliens situés à proximité, qu'ils soient construits ou seulement autorisés, et que le préfet du Nord n'a pas considéré que cette étude aurait été lacunaire au regard des prescriptions du 5° de l'article R. 122-5 du code de l'environnement.

15. Il résulte de ce qui précède qu'en estimant que projet entraînerait des risques résiduels inacceptables d'atteinte au paysage et à la commodité du voisinage, le préfet du Nord a entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation.

16. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté attaqué du 9 juillet 2020 doit être annulé.

Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation :

17. Il ne résulte pas de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas allégué en défense que le projet serait susceptible de porter atteinte à d'autres intérêts que ceux analysés ci-dessus parmi ceux mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans une mesure telle que le projet devrait être refusé.

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de délivrer à la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme l'autorisation sollicitée et d'enjoindre au préfet du Nord de définir, dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification du présent arrêt, les mesures appropriées afin de prévenir les dangers et inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, et notamment les mesures de bridage nécessaires à la réduction des impacts prévisibles sur les chiroptères.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par la société Ferme du Moulin Jérôme et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 9 juillet 2020 du préfet du Nord est annulé.

Article 2 : L'autorisation environnementale tendant à la construction et à l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Bévilliers, Quiévy et Saint-Hilaire-lez-Cambrai est accordée à la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme, sous réserve des prescriptions mentionnées à l'article 3 du présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord de définir, dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification du présent arrêt, les prescriptions nécessaires à la prévention des dangers et inconvénients pour l'ensemble des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Article 4 : L'Etat versera à la société Ferme éolienne du Moulin Jérôme une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fermé éolienne du Moulin Jérôme, à la ministre de la transition écologique et au préfet du Nord.

N°20DA01489

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01489
Date de la décision : 11/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-02 Nature et environnement. - Installations classées pour la protection de l'environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES ET CGR LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-01-11;20da01489 ?
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