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11/05/2022 | FRANCE | N°21DA02392

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 11 mai 2022, 21DA02392


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B..., agissant en qualité de tuteur de Mme A... B..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de prescrire une expertise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, portant sur l'origine et les conséquences des désordres résultant de l'inondation survenue le 31 mai 2016 sur le territoire de la commune de Bruay-la-Buissière.

Par une ordonnance n°2104462 du 30 septembre 2021, la juge des référés du tribunal administr

atif de Lille a désigné un expert à cette fin.

Procédure devant la cour :

I. Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B..., agissant en qualité de tuteur de Mme A... B..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de prescrire une expertise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, portant sur l'origine et les conséquences des désordres résultant de l'inondation survenue le 31 mai 2016 sur le territoire de la commune de Bruay-la-Buissière.

Par une ordonnance n°2104462 du 30 septembre 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a désigné un expert à cette fin.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n°21DA02392 le 12 octobre 2021, la commune de Bruay-la-Buissière, représentée par Me Laurent Frölich, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 30 septembre 2021 ;

2°) de rejeter la demande d'expertise de M. B... ;

3°) en tout état de cause, de la mettre hors de cause ;

4°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif.

Elle soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en s'abstenant de prendre parti sur la question de la prescription quadriennale soulevée devant lui ;

- la créance invoquée par M. B... est prescrite ;

- la mesure d'expertise ne présente pas de caractère utile dès lors que l'action au fond à laquelle elle se rattache est prescrite.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2021, M. B..., agissant en qualité de tuteur, pour le compte de Mme A... B..., et représenté par Me Valéry Gollain, conclut au rejet des conclusions présentées par la commune de Bruay-la-Buissière et demande que soit mise à sa charge le versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les travaux réalisés par l'Etat, le département du Pas-de-Calais et la commune de Bruay-la-Buissière au titre des années 2015 et 2016 ont constitué une cause aggravante de l'inondation survenue le 31 mai 2016 quartier Wéry ;

- la prescription quadriennale n'a pas encore commencé à courir dès lors que la réalité et l'étendue des préjudices consécutifs à cette inondation ne sont pas encore exactement connues ;

- la mesure d'expertise ordonnée conserve son utilité dès lors qu'elle se rattache à une action au fond qui n'est pas prescrite.

II. Par une requête enregistrée sous le n°21DA02439 le 18 octobre 2021 et un mémoire enregistré le 9 novembre 2021, le département du Pas-de-Calais, représenté par Me Laure Thierry, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 30 septembre 2021 ;

2°) de rejeter la demande d'expertise de M. B... ;

3°) en tout état de cause, de le mettre hors de cause.

Il soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en s'abstenant de prendre parti sur la question de la prescription quadriennale soulevée devant lui ;

- la créance invoquée par M. B... est prescrite ;

- la mesure d'expertise ne présente pas de caractère utile dès lors que l'action au fond à laquelle elle se rattache est prescrite ;

- en tout état de cause, la mesure d'expertise ne présente pas de caractère utile en l'absence de lien de causalité entre son intervention au droit du pont Lamendin et les conséquences de l'inondation survenue le 31 mai 2016.

Par des mémoires en défense enregistrés les 2 et 15 novembre 2021, M. B..., agissant en qualité de tuteur, pour le compte de Mme A... B..., et représenté par Me Valéry Gollain, conclut au rejet des conclusions présentées par le département du Pas-de-Calais et demande que soit mise à sa charge le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les travaux réalisés par l'Etat, le département du Pas-de-Calais et la commune de Bruay-la-Buissière au titre des années 2015 et 2016 ont constitué une cause aggravante de l'inondation survenue le 31 mai 2016 quartier Wéry ;

- la prescription quadriennale n'a pas encore commencé à courir dès lors que la réalité et l'étendue des préjudices consécutifs à cette inondation ne sont pas encore exactement connues ;

- la mesure d'expertise ordonnée conserve son utilité dès lors qu'elle se rattache à une action au fond qui n'est pas prescrite ;

- il existe un lien de causalité entre les travaux effectués par le département au droit du point Lamendin en avril 2016 ayant eu pour effet d'augmenter le débit de l'ouvrage et l'inondation survenue le 31 mai 2016.

La procédure a été communiquée à la ministre de la transition écologique qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de la commune de Bruay-la-Buissière et du département du Pas-de-Calais sont dirigées contre la même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. La commune de Bruay-la-Buissière, située dans le département du Pas-de-Calais, est traversée par la rivière Lawe. En raison de risques d'inondation sur le territoire communal, des travaux de mise en sécurité de la Lawe et de renforcement de la digue gauche au droit du pont Lamendin ont été entrepris depuis 1999 et poursuivis notamment au cours des années 2015 et 2016. Le département du Pas-de-Calais ayant réalisé des travaux de transformation du Pont Lamendin afin d'élargir la chaussée et les trottoirs y attenant, l'Etat quant à lui a procédé au renforcement du système de batardeaux amovibles installés en rive gauche dans les années 2008-2009. Enfin, la commune de Bruay-la-Buissière a entrepris des travaux de réfection du pont Cail et de mise en conformité de ses trottoirs. Postérieurement à l'exécution de ces travaux, le 31 mai 2016, le quartier Wéry, situé en rive droite, a été inondé consécutivement au débordement de la Lawe. M. B..., en qualité de tuteur de Mme A... B... qui est propriétaire d'un bien, situé dans ce quartier au 9005 rue Arthur Lamendin, qui a été affecté par cet événement climatique, soutient que les divers travaux réalisés au droit des ponts Lamendin et Cail au cours des années 2015 et 2016 ont aggravé les conséquences de cette inondation et ont participé aux préjudices invoqués. Il a donc sollicité la prescription d'une expertise destinée à décrire les désordres constatés, déterminer leur imputabilité à l'inondation du 31 mai 2016, et apprécier l'étendue des préjudices subis et les responsabilités éventuellement encourues. Par ordonnance du 30 septembre 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a désigné un expert à cette fin et a prescrit l'expertise demandée au contradictoire de l'Etat, du département du Pas-de-Calais et de la commune de Bruay-la-Buissière. La commune de Bruay-la-Buissière ainsi que le département du Pas-de-Calais demandent à la cour d'annuler cette ordonnance ou, à tout le moins, de les mettre hors de cause.

3. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ".

4. L'utilité d'une mesure d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise si cette dernière est formulée à l'appui de prétentions indemnitaires dont il est établi qu'elles sont irrecevables ou prescrites et, dans l'hypothèse où est opposée une forclusion ou une prescription, il lui incombe de prendre parti sur ces points. Le juge des référés ne peut non plus faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne.

5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement (...) ". Il en résulte que lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Il en résulte également que le point de départ de cette prescription est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration.

6. Au cas d'espèce, les droits de créance invoqués par M. B... en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices que Mme B... a subis doivent être regardés comme acquis à la date du 31 mai 2016, date de l'inondation à laquelle il a nécessairement eu connaissance de l'existence et de l'importance de ces préjudices, comme en attestent les articles de presse qu'il produit lui-même et qui ont été publiés dans la Voix du Nord à cette même date : " Inondations à Bruay-la-Buissière : jusqu'à deux mètres d'eau dans plusieurs rues " et " Béthunois-Bruaysis : après une nuit de déluge, l'heure est au constat et au nettoyage ". Ainsi, le délai de la prescription quadriennale, qui a commencé à courir à compter du 1er janvier 2017, s'est éteint le 31 décembre 2020. Il en résulte que les demandes préalables indemnitaires adressées à la commune de Bruay-la-Buissière et au département du Pas-de-Calais le 1er mars 2021, soit après l'extinction de ce délai, n'ont eu aucun effet interruptif au sens des dispositions précitées. Par conséquent, les prétentions indemnitaires de M. B... à l'encontre de la commune et du département sont frappées par la prescription.

7. Toutefois, peuvent être appelées à participer à une expertise ordonnée sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 précité non seulement les personnes dont la responsabilité est susceptible d'être engagée par l'action qui motive l'expertise, mais aussi toute personne dont la présence est de nature à éclairer les travaux de l'expert.

8. En l'espèce, l'Etat, au contradictoire duquel ont été ordonnées les opérations d'expertise, n'a pas produit d'observations dans la présente instance et n'a pas contesté l'ordonnance litigieuse, de sorte que l'expertise est en toute hypothèse maintenue à l'égard de l'Etat. Il convient donc de déterminer si, en dépit de la prescription mentionnée au point 6, la participation aux opérations d'expertise du département du Pas-de-Calais et de la commune de Bruay-la-Buissière est de nature à éclairer les travaux de l'expert.

9. Or, il est constant que le département est intervenu au droit du pont Lamendin en 2015 et a entrepris des travaux de transformation de cet ouvrage en vue d'élargir la chaussée et les trottoirs attenants. En l'état, et même s'il ressort des pièces du dossier que ces travaux ont eu pour effet de permettre en principe l'écoulement d'un débit plus important, eu égard à son office, le juge des référés ne saurait considérer qu'il n'existe pas manifestement de lien de causalité entre l'intervention du département sur l'ouvrage public et les préjudices subis par Mme B.... Par suite, dès lors que l'expertise a pour objet de déterminer les causes des désordres consécutifs à l'inondation du 31 mai 2016 et de fournir au tribunal tous éléments de nature à lui permettre de déterminer les responsabilités éventuellement encourues, la participation du département du Pas-de-Calais aux opérations d'expertise est utile alors même que l'action indemnitaire à son égard apparaît prescrite. Dans ces conditions, les conclusions du département du Pas-de-Calais tendant à sa mise hors de cause doivent être rejetées.

10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent et alors qu'il ressort des pièces du dossier que la commune de Bruay-la-Buissière est intervenue au droit du pont Cail en 2016 pour y effectuer des travaux de réfection, sa participation aux opérations d'expertise est utile, alors même que l'action indemnitaire à son égard apparaît prescrite. Dans ces conditions, les conclusions de la commune de Bruay-la-Buissière tendant à sa mise hors de cause doivent être rejetées.

11. Il résulte de ce qui précède que la mesure d'expertise ordonnée en première instance au contradictoire de l'Etat, du département du Pas-de-Calais et de la commune de Bruay-la-Buissière, qui tend à apprécier l'étendue des préjudices subis et à déterminer le rôle éventuel des ouvrages publics cités dans l'aggravation de l'inondation, présente le caractère d'utilité exigé par l'article R. 532-1 du code de justice administrative. Par suite, le département du Pas-de-Calais et la commune de Bruay-la-Buissière ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a ordonné l'expertise sollicitée.

12. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... présentées au titre de l'article L. 671-1 du code de justice administrative. Celles présentées par la commune de Bruay-la-Buissière, partie perdante dans la présente instance, doivent également être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : Les requêtes 21DA02392 et 21DA02439 sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de M. B... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la ministre de la transition écologique, à M. D... B..., à la commune de Bruay-la-Buissière, au département du Pas-de-Calais et à M. C..., expert.

Fait à Douai le 11 mai 2022.

La présidente de la cour,

Signée

N. Massias

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière en chef adjointe

Sylviane DUPUIS

2

Nos21DA02392, 21DA02439


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Numéro d'arrêt : 21DA02392
Date de la décision : 11/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GOLLAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-11;21da02392 ?
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