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25/05/2022 | FRANCE | N°21DA00878

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 mai 2022, 21DA00878


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2018 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à compter du 26 novembre 2018 sa mutation dans l'intérêt du service dans la circonscription de sécurité publique (CSP) de, division Sud, en qualité de chef des Unités de secteur, d'enjoindre au ministre de l'intérieur à titre principal, de le réintégrer dans ses fonctions de chef du centre de rétention administrative d', dans un délai de quinze jours à

compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2018 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à compter du 26 novembre 2018 sa mutation dans l'intérêt du service dans la circonscription de sécurité publique (CSP) de, division Sud, en qualité de chef des Unités de secteur, d'enjoindre au ministre de l'intérieur à titre principal, de le réintégrer dans ses fonctions de chef du centre de rétention administrative d', dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de l'affecter dans un poste équivalent à celui qu'il occupait avant la mutation en litige, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte journalière de 1 000 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900726 du 26 février 2021 le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 15 novembre 2018 portant mutation de M. A... dans l'intérêt du service en tant qu'elle prend effet avant la date de sa notification intervenue le 3 janvier 2019 et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 avril 2021 et le 11 mars 2022, M. B... A..., représenté par Me Malet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2018 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à compter du 26 novembre 2018 sa mutation dans l'intérêt du service dans la circonscription de sécurité publique (CSP) de, division Sud, en qualité de chef des Unités de secteur à compter du 26 novembre 2018 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de le réintégrer dans ses fonctions de chef du centre de rétention administrative d', dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de l'affecter dans un poste équivalent à celui qu'il occupait avant la mutation en litige, dans sa circonscription géographique, à savoir et, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte journalière de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier car le tribunal ne s'est pas prononcé sur la légalité de la décision de mutation en tant qu'elle l'affecte sur un poste non comparable en violation des dispositions de l'article 25 du décret du 9 mai 1995 indépendamment de l'intérêt du service ;

- il n'a pas eu accès à la communication intégrale de son dossier alors qu'il a fait l'objet d'une sanction disciplinaire déguisée prise au terme d'une procédure irrégulière ;

- son dossier administratif était incomplet lorsqu'il l'a consulté ;

- l'arrêté en litige constitue une sanction disciplinaire déguisée révélant un détournement de pouvoir ;

- cet arrêté n'a pas été pris dans l'intérêt du service et il est entaché d'erreur d'appréciation ;

- il ne comporte aucune motivation ;

- en reprenant la motivation de l'administration sur un prétendu " dysfonctionnement " du centre de rétention administrative, le tribunal a renversé la charge de la preuve et commis une erreur de droit ;

- il a commis une erreur d'appréciation ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en considérant que les faits dont il faisait l'objet ne constituait pas un harcèlement moral ;

- l'arrêté en litige est entaché d'une rétroactivité illégale, en tant qu'il porte sur une période antérieure à sa notification ;

- le juge des référés a reconnu qu'il était victime de harcèlement moral ce qui empêche l'administration, sauf à en démontrer spécifiquement la nécessité, de le muter dans un autre service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 14 mars 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 30 mars 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 22 avril 1905 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de M. A....

Une note en délibéré, présentée pour M. A..., représenté par Me Malet, a été enregistrée le 19 mai 2022.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., entré dans le corps de commandement de la police nationale le 6 janvier 2003 en qualité d'élève lieutenant, a été titularisé le 6 janvier 2005. Il est capitaine de police depuis le 1er septembre 2012. Il a été affecté à la direction interdépartementale de la police aux frontières du Havre, dans les fonctions de chef du centre de rétention administrative d'. Par un arrêté du 15 novembre 2018, le ministre de l'intérieur a prononcé, dans l'intérêt du service, sa mutation à la compagnie de sécurité publique en qualité de chef d'unités de secteur, à compter du 26 novembre 2018. M. A... a demandé l'annulation de cette décision. Par un jugement du 26 février 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté en tant qu'il prend effet avant la date de sa notification intervenue le 3 janvier 2019 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont relevé que M. A..., qui était chef du centre de rétention d', soit un poste de niveau N4, avait été affecté sur un poste de niveau N3, impliquant de moindres responsabilités d'encadrement, mais que toutefois, il était constant que, préalablement à la décision attaquée, deux postes de niveau N4 lui avaient été proposés, l'intéressé les ayant refusés. Par suite, le moyen tiré par M. A... de ce que le tribunal ne s'est pas prononcé sur la légalité de la décision de mutation en tant qu'elle l'affecte sur un poste non comparable doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée, et statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.

4. Aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ".

5. En vertu de l'article 65 de la loi précitée, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause. Dans le cas où l'agent public fait l'objet d'un déplacement d'office, il doit être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier s'il a été préalablement informé de l'intention de l'administration de le muter dans l'intérêt du service, quand bien même le lieu de sa nouvelle affectation ne lui aurait pas alors été indiqué.

6. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête, font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

7. M. A... a consulté le 13 novembre 2018 son dossier administratif, dans lequel, comme il l'indique, figuraient le courrier du directeur zonal de la police aux frontières Ouest au directeur central de la police aux frontières du 4 juin 2018 portant demande de mutation dans l'intérêt du service et le courrier du directeur central de la police aux frontières du 12 juin 2018 au directeur des ressources humaines demandant la mutation dans l'intérêt du service de l'intéressé. Si le courrier du 4 juin 2018 mentionne un courrier de la préfète de l'Orne et si le courrier du 12 juin 2018 fait mention d'un " rapport du directeur zonal de la police aux frontières demandant la mutation du capitaine A... au titre de l'article 25 ", il n'est pas établi que le dossier auquel a eu accès M. A... ait comporté le courrier de la préfète de l'Orne du 22 mars 2018 au directeur général de la Police Nationale relatif aux incidents survenus au même centre de rétention dans le cadre de la retenue d'un ressortissant marocain sortant de détention, le rapport de synthèse du 24 avril 2018 relatif à l'enquête pré-disciplinaire diligentée au centre de rétention administrative d', ni a fortiori les procès-verbaux des personnes auditionnées pour préparer ce rapport. Si comme l'a relevé le tribunal administratif, M. A... a pu prendre connaissance du courrier de la préfète de l'Orne lors de son audition le 5 avril 2018 dans le cadre du rapport d'enquête, il n'a pas été mis à même, en temps utile, de solliciter la communication du rapport d'enquête du 24 avril 2018 et des procès-verbaux d'audition. Dans ces conditions, cette méconnaissance de ses droits a effectivement privé M. A... d'une garantie et il est fondé à soutenir que la décision en cause a été prise au terme d'une procédure irrégulière et doit être annulée.

8. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner explicitement les autres moyens soulevés, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a seulement annulé la décision du 15 novembre 2018 en tant qu'elle prend effet avant la date de sa notification intervenue le 3 janvier 2019 et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

10. Eu égard aux motifs du présent arrêt, la présente décision n'implique pas nécessairement la réintégration de M. A... dans ses fonctions de chef du centre de rétention administrative d'. Le requérant demande, à titre subsidiaire, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de le réaffecter sur un poste de niveau hiérarchique équivalent à celui qu'il occupait antérieurement à son éviction illégale du service, dans sa circonscription géographique " privilégiée " soit et . Il résulte de l'instruction que M. A... a fait l'objet d'une seconde mutation par une décision du 17 décembre 2020 qui a été annulée par un jugement du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Rouen. Aussi, et alors qu'il ne fait l'objet d'aucune affectation au jour du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'affecter M. A... sur un poste de niveau comparable, au sens de l'article 25 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale, à celui de niveau N4 qu'il occupait en qualité de chef du centre de rétention administrative d', dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte et sous réserve que M. A... soit apte à l'exercice de ses fonctions et qu'aucune décision d'affectation ne soit intervenue à la date du présent arrêt suite au jugement du 29 mars 2022.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900726 du 26 février 2021 du tribunal administratif de Rouen et la décision du 15 novembre 2018 portant mutation de M. A... dans l'intérêt du service à compter du 3 janvier 2019 date de sa notification intervenue sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur d'affecter M. A... sur un poste de niveau comparable à celui qu'il occupait en qualité de chef du centre de rétention administrative de , dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve que M. A... soit apte à l'exercice de ses fonctions et qu'aucune nouvelle décision d'affectation ne soit intervenue suite au jugement du 29 mars 2022.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de

l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience publique du 12 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mai 2022.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 21DA00878


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00878
Date de la décision : 25/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : MALET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-25;21da00878 ?
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