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04/10/2022 | FRANCE | N°22DA00875

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 04 octobre 2022, 22DA00875


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 26 novembre 2019 par laquelle le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1910646 du 5 avril 2022, le tribunal administratif Lille a annulé cette décision, a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'ar

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 26 novembre 2019 par laquelle le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1910646 du 5 avril 2022, le tribunal administratif Lille a annulé cette décision, a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2022, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer un non-lieu à statuer.

Il soutient que :

- le courriel du 26 novembre 2019 adressé au conseil de M. A... précisait le motif de la décision implicite de rejet, à savoir l'irrecevabilité de sa demande de titre de séjour adressée par voie postale ;

- les conclusions de M. A... étaient sans objet devant le tribunal administratif dès lors qu'il s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ".

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2022, M. A..., représenté par Me Emilie Dewaele, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 8 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 27 juin 2022, à 12 heures.

M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant sénégalais né le 1er février 2000, serait selon ses déclarations entré en France en avril 2017. En qualité de mineur isolé, il a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) jusqu'à sa majorité par une décision du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Lille du 29 septembre 2017. Il a été mis en possession d'une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant, valable du 25 juin 2017 au 24 juin 2018 puis d'une carte de séjour pluriannuel portant la mention " étudiant " du 25 juin 2019 au 24 octobre 2020. Il a sollicité le 1er juillet 2019 la délivrance d'un titre de séjour portant mention " vie privée et familiale " en raison de son état de santé ou, à défaut, " entrepreneur / profession libérale ". Une décision implicite de rejet est née le 1er novembre 2019 du silence gardé par l'administration sur sa demande. Par un courrier du 1er novembre 2019, M. A... a demandé la communication des motifs de ce refus. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 5 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé sa décision implicite de rejet.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 ".

3. Contrairement à ce que soutient le préfet du Nord, la circonstance que M. A... s'est vu délivrer, en cours d'instance devant les premiers juges, une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans le cadre d'une admission exceptionnelle au séjour, valable du 19 août 2021 au 18 août 2022, ne rendait pas sans objet sa requête dirigée contre la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour présentée au titre de la " vie privée et familiale " dès lors que le titre de séjour ainsi délivré n'emporte pas des effets équivalents à ceux du titre demandé. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient omis de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. A... doit être écarté.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

4. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : / 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ; / (...) ". Aux termes de l'article R.* 311-2 du même code : " Le silence gardé par l'administration sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ". Aux termes de l'article R. 311-12-1 du même code : " La décision implicite mentionnée à l'article R.* 311-12 naît au terme d'un délai de quatre mois ".

5. Il résulte de ces dispositions que, pour introduire valablement une demande de titre de séjour, il est nécessaire, sauf si l'une des exceptions définies à l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité est applicable, que l'intéressé se présente physiquement à la préfecture. À défaut de disposition expresse en sens contraire, une demande de titre de séjour présentée par un ressortissant étranger en méconnaissance de la règle de présentation personnelle du demandeur en préfecture fait naître, en cas de silence gardé par l'administration pendant plus de quatre mois, délai fixé par l'article R. 311-12 du même code, une décision implicite de rejet susceptible d'un recours pour excès de pouvoir. En pareille circonstance, le préfet n'est pas en situation de compétence liée pour rejeter la demande de titre de séjour et peut, le cas échéant, procéder à la régularisation de la situation de l'intéressé. Toutefois, lorsque le refus de titre de séjour est fondé à bon droit sur l'absence de comparution personnelle du demandeur ce dernier ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de la décision de rejet de sa demande de titre de séjour, de moyens autres que ceux tirés d'un vice propre de cette décision.

6. Les dispositions de l'article R. 311-1 en vigueur jusqu'au 30 avril 2021 ne faisaient pas obstacle et celles de l'article R. 431-3 ne font pas davantage obstacle aujourd'hui, à ce que le préfet permette aux étrangers concernés de demander un rendez-vous en préfecture par voie électronique. En revanche, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, le préfet, s'il pouvait autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, ne pouvait déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services énumérés à l'article R. 311-1 précité pour effectuer sa demande.

7. En l'espèce, une décision implicite de rejet est née le 1er novembre 2019 du silence gardé par le préfet du Nord sur la demande de titre de séjour adressée le 1er juillet 2019, par M. A... par voie postale. En réponse à la demande de communication des motifs de cette décision, un agent de la préfecture, par un courriel du 26 novembre 2019, a indiqué à M. A... que sa demande de titre de séjour a été rejetée comme étant irrecevable en précisant que les usagers doivent se connecter sur le site de la préfecture afin de prendre rendez-vous et formaliser leur demande en suivant un lien qui a été mentionné, s'agissant d'une première demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Le préfet n'a ainsi pas opposé à M. A... l'absence de présentation personnelle et les moyens soulevés par M. A... à l'encontre de la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour sont opérants.

8. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ; ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".

9. Il ressort de la teneur du courriel du 26 novembre 2019, énoncé au point 7 que le préfet n'a fait état d'aucun motif de droit en se bornant à indiquer que le dépôt des demandes de demande de titre de séjour est strictement encadré et en renvoyant au lien du site de la préfecture. Par suite, le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé sa décision implicite de rejet du 1er novembre 2019 née du silence gardé sur la demande de titre de séjour de M. A....

Sur les frais liés à l'instance :

10. M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Dewaele, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dewaele de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Dewaele une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dewaele renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et à Me Emilie Dewaele.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 20 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.

Le président-assesseur,

Signé : M. C...

La présidente de chambre,

présidente-rapporteure,

Signé : G. BorotLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

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N° 22DA00875

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00875
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : DEWAELE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-10-04;22da00875 ?
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