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06/10/2022 | FRANCE | N°21DA02168

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 06 octobre 2022, 21DA02168


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2021 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2105724 du 5 août 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Sylvie Laporte, dem

ande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 8 juillet 2021 ;

3°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2021 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2105724 du 5 août 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Sylvie Laporte, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 8 juillet 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile et de lui remettre un dossier en vue de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 4 du règlement 604/2013/UE du 26 juin 2013 ;

- il méconnaît les dispositions de l'article 5 de ce même règlement ;

- il méconnaît les dispositions de l'article 17 de ce règlement du 26 juin 2013 et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est préjudiciable à son état de santé qui nécessite son maintien en France ;

- il est entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2022 , le préfet du Nord conclut au non-lieu à statuer sur la requête et au rejet des conclusions de M. A... relatives aux frais liés au litige.

Il soutient que l'intéressé a été remis aux autorités belges le 9 novembre 2021.

Par ordonnance du 8 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 26 août 2022 à 12 heures.

M. A... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 23 septembre 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 janvier 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... B..., magistrat administratif honoraire, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen, relève appel du jugement du 5 août 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juillet 2021 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet du Nord :

2. La circonstance, invoquée par le préfet du Nord, que M. A... a été transféré en Belgique le 9 novembre 2021 et que l'arrêté contesté a ainsi été exécuté ne rend pas, par elle-même, sans objet les conclusions de la requête de M. A... tendant à son annulation pour excès de pouvoir, dès lors que cet acte n'est pas sorti de l'ordonnancement juridique et qu'il a emporté des effets sur l'intéressé. Il suit de là que l'exception de non-lieu opposée par le préfet du Nord doit être écartée.

Sur la légalité de la décision de transfert aux autorités belges :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite (...) dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

4. Il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté, qu'en application des dispositions citées au point précédent, le préfet du Nord a remis à l'intéressé les brochures A et B ainsi que le guide du demandeur d'asile en France, qui ont été traduites et expliquées par un interprète en langue soussou, langue comprise et parlée par l'appelant. La seule circonstance que la traduction ait été réalisée par téléphone n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'information de l'étranger. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, par suite, être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. ". Ni ces dispositions, ni aucun principe n'imposent, contrairement à ce que soutient M. A..., que figure sur le compte rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'entretien du 10 juin 2021 avec l'appelant, au cours duquel toutes les informations utiles au traitement de sa demande d'asile ont été recueillies, a été conduit par un agent qualifié de la préfecture du Nord et que l'intéressé a été assisté par un traducteur en langue soussou, qui est intervenu par voie téléphonique. La seule circonstance que la traduction ait été réalisée par téléphone n'est de nature à priver M. A... d'aucune garantie, dès lors que ce dernier ne conteste pas sérieusement que l'intégralité des éléments importants de l'entretien lui a été traduite et expliquée.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

8. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

9. En outre, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre, l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

10. M. A... fait état de craintes pour sa vie lors de son retour dans son pays d'origine en cas d'éloignement de Belgique et fait valoir qu'un transfert en Belgique serait préjudiciable pour son état de santé, qui nécessite une prise en charge médicale. Toutefois, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Belgique des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, notamment pour la préservation de leur santé et lors de l'évaluation par les autorités belges, avant de procéder éventuellement à leur éloignement, des risques auxquels ils seraient exposés en cas de retour dans leur pays d'origine, et alors que l'intéressé ne fait état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait soumis en Belgique à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire à ces stipulations et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ne peuvent qu'être écartés.

11. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 5 août 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juillet 2021 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités belges. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me. Sylvie Laporte.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 22 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. D... B..., magistrat administratif honoraire ;

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 octobre 2022.

Le rapporteur,

Signé: J.-P. B...

La présidente de la formation de jugement,

Signé: C. Baes-Honoré

La greffière,

Signé: S. Cardot

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA02168 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02168
Date de la décision : 06/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Baes Honoré
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre Bouchut
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : LAPORTE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-10-06;21da02168 ?
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