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20/10/2022 | FRANCE | N°21DA01924

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 20 octobre 2022, 21DA01924


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière du Calvaire, Mme E... B..., M. A... B... et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2019 par lequel la préfète de la Somme a mis en demeure cette société d'éliminer les déchets abandonnés sur un terrain situé 4 rue de Gamaches à Béthencourt-sur-Mer.

Par un jugement n° 1902959 du 10 juin 2021, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête

enregistrée le 9 août 2021 et un mémoire enregistré le 2 juin 2022, la ministre de la transition écol...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière du Calvaire, Mme E... B..., M. A... B... et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2019 par lequel la préfète de la Somme a mis en demeure cette société d'éliminer les déchets abandonnés sur un terrain situé 4 rue de Gamaches à Béthencourt-sur-Mer.

Par un jugement n° 1902959 du 10 juin 2021, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 août 2021 et un mémoire enregistré le 2 juin 2022, la ministre de la transition écologique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société civile immobilière du Calvaire, Mme E... B..., M. A... B... et M. C... D... devant le tribunal administratif d'Amiens.

Elle soutient que :

- la société Lephay père et fils, placée en liquidation judiciaire, n'est plus solvable ;

- la société du Calvaire, propriétaire du terrain, a commis des négligences de nature à engager sa responsabilité ;

- la société Lephay père et fils a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 18 février 2022.

Par des mémoires en défense enregistrés les 6 mai 2022 et 29 juin 2022, la société civile immobilière du Calvaire, Mme E... B..., M. A... B... et M. C... D..., représentés par Me Antoine Carpentier, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 30 juin 2022, la clôture de l'instruction a été reportée au 18 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006 ;

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Frédéric Malfoy, rapporteur public,

- et les observations de Me Antoine Carpentier représentant, la société civile immobilière du Calvaire, Mme E... B..., M. A... B... et M. C... D....

Considérant ce qui suit :

1. La société Lephay Père et Fils a exploité, sur un terrain situé rue de Gamaches à Béthencourt-sur-Mer, dont la société civile immobilière (SCI) du Calvaire est propriétaire, une installation de traitement de surface et de revêtement des métaux, autorisée au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, par des arrêtés du 10 octobre 1986 et du 28 juillet 2003 du préfet de la Somme. Cette société a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce d'Amiens du 7 décembre 2012. Lors d'une visite effectuée le 4 septembre 2018, les services de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement ont constaté que des déchets, liés à l'exploitation de la société Lephay père et fils, se trouvaient encore sur le site et présentaient un caractère dangereux Par un arrêté du 4 juillet 2019, la préfète de la Somme a mise en demeure la SCI du Calvaire, sur le fondement de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, d'éliminer les déchets abandonnés sur le site dans un délai de deux mois. Le tribunal administratif d'Amiens, saisi par cette société, ainsi que par Mme B..., M. B... et M. D..., associés, a annulé cet arrêté par un jugement du 10 juin 2021. La ministre de la transition écologique relève appel de ce jugement.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article L. 541-2 du code de l'environnement : " (...) Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers (...) ". Aux termes du I de l'article L. 541-3 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et, après l'avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai d'un mois, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix, peut le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé ". Aux termes de l'article R. 541-12-16 du même code : " Sans préjudice de dispositions particulières, lorsque les dispositions du présent titre s'appliquent sur le site d'une installation classée pour la protection de l'environnement, l'autorité titulaire du pouvoir de police mentionnée à l'article L. 541-3 est l'autorité administrative chargée du contrôle de cette installation ".

3. Le responsable de l'élimination de déchets au sens de ces dispositions, telles qu'interprétées à la lumière des dispositions de la directive du 5 avril 2006 visée ci-dessus, s'entend des seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets. Cependant, lorsque le producteur ou tout autre détenteur des déchets est inconnu ou a disparu, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés les déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ou s'il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d'une part, l'existence de ces déchets et, d'autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations.

4. La responsabilité du propriétaire du terrain ne revêt ainsi qu'un caractère subsidiaire et ne peut pas être recherchée à raison de l'insolvabilité du producteur ou de tout autre détenteur des déchets, lorsque celui-ci est connu et tant qu'il n'a pas disparu. Dans un tel cas d'insolvabilité, la gestion des déchets peut être confiée par l'Etat à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou à un autre établissement public compétent dans les conditions prévues par le V de l'article L. 541-3 du code de l'environnement.

5. Les mesures de mise en demeure prises sur le fondement de l'article L. 541-3 du code de l'environnement par l'autorité titulaire de la police des déchets, qui, dans le cas prévu par l'article

R. 541-12-16 du même code, est celle chargée du contrôle de l'installation classée pour la protection de l'environnement implantée sur le site où ont été abandonnés les déchets, peuvent être contestées devant le juge administratif de l'excès de pouvoir, lequel apprécie leur légalité en considération des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de leur édiction.

Sur le responsable de l'élimination des déchets :

6. Aux termes de l'article 1844-8 du code civil : " (...) La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci (...) ". Aux termes de l'article L. 237-2 du code du commerce : " (...) La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci (...) ".

7. En l'espèce, par l'arrêté attaqué du 4 juillet 2019, la préfète de la Somme a mis en demeure la SCI du Calvaire d'éliminer les déchets abandonnés sur le terrain dont elle est propriétaire, estimant qu'elle devait être regardée comme leur détentrice aux motifs qu'elle " ne pouvait ignorer la présence de ces déchets et produits dangereux " et qu'elle " n'a pris aucune mesure pour assurer la sécurité du site ou l'élimination des déchets, faisant ainsi preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ". Or, conformément aux dispositions précitées de l'article 1844-8 du code civil et de l'article L. 237-2 du code de commerce, la personnalité morale de la société Lephay père et fils, qui est une société commerciale, a subsisté pour les besoins de la procédure de liquidation jusqu'à la clôture de celle-ci. Cette clôture a été prononcée " pour insuffisance d'actif " par un jugement du 18 février 2022 du tribunal de commerce d'Amiens, par l'effet duquel la société Lephay père et fils a pris fin en application du 7° de l'article 1844-7 du code civil. Il s'ensuit que cette société n'avait pas encore disparu à la date d'édiction de l'arrêté attaqué, dont la légalité ne peut être appréciée, ainsi qu'il a été dit, qu'en considération des circonstances de fait et de droit prévalant à cette date.

8. Contrairement à ce que soutient la ministre, dès lors que le producteur des déchets litigieux était connu et n'avait pas disparu à la date de l'arrêté attaqué, la préfète de la Somme ne pouvait, en se prévalant de son insolvabilité, rechercher la responsabilité de la SCI du Calvaire, en tant que propriétaire des terrains où ces déchets ont été abandonnés, dans les conditions rappelées au point 3.

9. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 4 juillet 2019 mettant en demeure la SCI du Calvaire à éliminer les déchets abandonnés sur la parcelle dont elle est propriétaire.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la SCI du Calvaire, Mme B..., M. B... et M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la ministre de la transition écologique est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société civile immobilière du Calvaire, Mme B..., M. B... et M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la société civile immobilière du Calvaire, Mme E... B...,

M. A... B... et à M. C... D....

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 6 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.

Le rapporteur,

Signé: S. Eustache

La présidente de la formation de jugement,

Signé: C. Baes-Honoré

La greffière,

Signé: C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N° 21DA01924 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01924
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Baes Honoré
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Malfoy
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-10-20;21da01924 ?
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