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10/01/2023 | FRANCE | N°22DA00982

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 10 janvier 2023, 22DA00982


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... et Mme A... E... épouse C... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés du 12 janvier 2022 par lesquels la préfète de la Somme a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a interdit à M. C... le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par deux jugements n° 2200468 et 2200469 du 7 avril 2022, le tribunal administratif d'Amien

s a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et une piè...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... et Mme A... E... épouse C... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés du 12 janvier 2022 par lesquels la préfète de la Somme a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a interdit à M. C... le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par deux jugements n° 2200468 et 2200469 du 7 avril 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et une pièce, enregistrées sous le n° 2200982 le 7 mai 2022 et le 27 juin 2022, M. D... C..., représenté par Me Antoine Tourbier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200468 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Somme de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) subsidiairement, d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il ne peut bénéficier de soins adéquats en Arménie ;

- l'arrêté méconnaît le droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors notamment que les deux enfants majeurs du couple bénéficient de la protection subsidiaire ;

- subsidiairement, l'interdiction de retour sur le territoire le mettrait ainsi que sa femme dans l'impossibilité de voir leurs enfants pendant un an ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2022, la préfète de la Somme conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

En application de la décision du Conseil d'Etat du 28 juillet 2022 n° 441481, le greffe de la cour a adressé à l'avocat de M. C... une lettre lui demandant, dans un délai de huit jours, de confirmer la volonté expresse de l'intéressé de lever le secret médical. Cette lettre est demeurée sans réponse.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 2200983 le 7 mai 2022, Mme A... E... épouse C..., représentée par Me Antoine Tourbier, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200469 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Somme de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) subsidiairement, d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté méconnaît le droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors notamment que les deux enfants du couple bénéficient de la protection subsidiaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2022, la préfète de la Somme conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que le moyen soulevé par la requérante n'est pas fondé.

M. et Mme C... ont chacun été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 1er septembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... et Mme E... épouse C..., ressortissants arméniens nés respectivement le 16 janvier 1956 et le 11 avril 1958 à Marmarachen (en actuelle Arménie), sont entrés en France le 7 septembre 2019 munis de visas de court séjour. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides respectivement les 23 et 24 septembre 2020 et par la Cour nationale du droit d'asile le 25 janvier 2021. Le tribunal administratif d'Amiens a rejeté le 29 avril 2021 leurs recours contentieux contre les obligations de quitter le territoire prises à leur encontre le 25 février 2021. Le 20 mai 2021, M. C... a sollicité un titre de séjour en qualité d'étranger malade sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 3 juin 2021, Mme C... a sollicité un titre de séjour en qualité d'accompagnant d'un étranger malade sur le fondement de l'article L. 423- 23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ils relèvent appel des jugements n° 2200468 et n° 2200469 par lesquels le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes d'annulation des arrêtés pris à leur encontre le 12 janvier 2022 par la préfète de la Somme qui leur a opposé une décision de rejet.

2. Les requêtes susvisées n° 2200982 et n° 2200983, présentées pour M. et Mme C..., présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".

4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

5. En l'espèce, le collège de médecins de l'OFII a estimé, par son avis du 6 décembre 2021, que si l'état de santé de M. C... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, son état de santé peut lui permettre de voyager sans risque vers le pays d'origine. Si M. C..., qui n'a pas donné son accord pour la levée du secret médical, produit des certificats médicaux datés des 16 octobre 2019, 7 novembre 2019, 18 mars 2020, 2 juin 2020, 9 juin 2020, 19 octobre 2020, 10 mars 2021 et 16 mars 2021, ces certificats ne comportent pas de mention sur la disponibilité du traitement en Arménie. Si le certificat médical du 4 février 2022 indique l'indisponibilité de deux médicaments (Orozadumol et Ultibro), rien n'indique qu'ils seraient indispensables à M. C... et non substituables. En outre, l'absence d'appareil concentrateur d'oxygène au centre de santé des soins primaires de Marmachen en Arménie ne signifie pas que ces produits et cet appareil seraient indisponibles dans l'ensemble du pays et ne permet ainsi pas d'établir de façon probante que l'intéressé ne pourrait pas bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, où il a vécu jusqu'à l'âge de 63 ans. Si M. C... soutient qu'il ne pourrait pas bénéficier d'une couverture sociale en Arménie, il ne l'établit pas. En outre, le certificat médical du 12 mai 2022, produit le 27 juin 2022, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué, étant postérieur à celui-ci et, en tout état de cause, s'il indique que M. C..., étant sous oxygène, ne pourrait pas supporter le vol de retour, il n'établit pas que M. C... ne pourrait pas prendre un vol de retour avec un équipement médical adapté comme l'indique sans être contestée la préfète en défense. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... n'établissent l'existence d'aucun obstacle à la poursuite de leur vie privée et familiale dans leur pays d'origine où ils ont vécu jusqu'à l'âge de 63 et 61 ans. S'ils ont deux enfants qui bénéficient de la protection subsidiaire en France, ceux-ci étaient âgés de 41 ans à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, nonobstant la circonstance non contestée que les requérants ne constituent pas une menace pour l'ordre public, en prenant les décisions attaquées, la préfète de la Somme n'a pas porté au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces mesures ont été prises. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'aurait commise la préfète de la Somme doivent être écartés.

8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu des conditions de séjour en France de M. C... et de l'absence d'insertion particulière de celui-ci dans la société française, que la préfète de la Somme, en lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an, aurait entaché cette décision d'une erreur d'appréciation, alors même que ses enfants majeurs résident sur le territoire français. Le moyen tiré du caractère disproportionné de la décision litigieuse faisant interdiction de retour sur le territoire français à M. C... doit donc être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes nos 22DA00982 et 22DA00983 de M. et Mme C... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Mme A... E... épouse C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Antoine Tourbier.

Copie sera adressée au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. B...La présidente de chambre,

Signé : A. SeulinLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA00982,22DA00983


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00982
Date de la décision : 10/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : AARPI QUENNEHEN - TOURBIER;AARPI QUENNEHEN - TOURBIER;AARPI QUENNEHEN - TOURBIER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-01-10;22da00982 ?
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