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02/02/2023 | FRANCE | N°22DA01357

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 02 février 2023, 22DA01357


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... qui a repris l'instance engagée par son époux, M. B... A..., décédé le 12 mai 2021, a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 mai 2019 par laquelle le directeur général du travail a refusé l'inscription de l'établissement d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), transféré ensuite à Bourbourg (Nord), de la société Ponticelli Frères sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travaill

eurs de l'amiante pour la période allant de 1956 à 1997, d'enjoindre à l'administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... qui a repris l'instance engagée par son époux, M. B... A..., décédé le 12 mai 2021, a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 mai 2019 par laquelle le directeur général du travail a refusé l'inscription de l'établissement d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), transféré ensuite à Bourbourg (Nord), de la société Ponticelli Frères sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période allant de 1956 à 1997, d'enjoindre à l'administration d'inscrire cet établissement sur cette liste dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1905275 du 27 avril 2022 le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 6 mai 2019 du directeur général du travail en tant qu'elle refuse l'inscription de l'établissement d'Hénin-Beaumont, transféré ensuite à Bourbourg, de la société Ponticelli Frères sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1960 à 1997, enjoint à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion de procéder à l'inscription de l'établissement d'Hénin-Beaumont, ensuite transféré à Bourbourg, de la société Ponticelli Frères sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période allant de 1960 à 1997 dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, mis à la charge de l'Etat le versement à Mme D... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juin 2022, la société Ponticelli Frères, représentée par Me Lagrenade, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de Mme D... ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... les dépens.

Elle soutient que :

- son activité, qu'elle soit principale ou accessoire, ne s'inscrit pas dans les opérations tendant à réaliser l'isolation thermique, elle n'entre donc pas dans le cadre du dispositif instauré par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; or le tribunal n'en a pas tiré les conséquences de droit ;

- le jugement est entaché d'erreurs de fait en ce qu'il estime que les activités exercées par les salariés de l'établissement du Nord (Hénin-Beaumont puis Bourbourg) entrant dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 doivent être regardées comme présentant un caractère significatif ;

- le tribunal a inversé la charge de la preuve et a commis une erreur de droit et de fait car il n'a pas caractérisé les activités de la société Ponticelli Frères susceptibles de correspondre à l'application du dispositif légal pas plus que le caractère significatif de celles-ci.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2022, Mme D..., représentée par Me Quinquis, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'établissement du Nord (Hénin-Beaumont puis Bourbourg) exerçait une activité accessoire mais significative de calorifugeage à l'amiante ;

- les salariés de l'établissement au sein de l'atelier avaient des activités de calorifugeage à l'amiante, et ils intervenaient, dans le cadre de contrats de maintenance industrielle, sur des sites extérieurs comportant un nombre important d'éléments calorifugés à l'amiante ; les interventions nécessaires dans le cadre de ces contrats de maintenance impliquaient l'émission de fibres d'amiante et des opérations de pose et dépose des calorifuges ;

- un nombre significatif de salariés de cet établissement a été exposé aux poussières d'amiante.

Par ordonnance du 1er décembre 2022, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 20 décembre 2022 à 12 heures.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, par courrier du 10 janvier 2023, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dès lors qu'elles sont dirigées contre " toute partie succombante " et ne peuvent être regardées comme dirigées contre une partie clairement identifiée.

Mme D... a produit des observations en réponse le 11 janvier 2023 tendant à ce que soit mis à la charge de la société Ponticelli Frères le versement de la somme de 3 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 notamment son article 41 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Lagrenade, représentant la société Ponticelli Frères, et de Me Quinquis représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., salarié de l'entreprise Ponticelli Frères du 6 mars 1989 au 31 mai 2019, affecté dans l'établissement de Bourbourg, a sollicité, par courrier du 9 mars 2016 adressé à la direction générale du travail, l'inscription de cet établissement sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Le directeur général du travail a refusé de faire droit à cette demande par une décision du 6 mai 2019, dont Mme D..., venant aux droits de M. B... A... décédé, a demandé l'annulation. Par un jugement du 27 avril 2022 le tribunal administratif de Lille a notamment annulé la décision du 6 mai 2019 en tant qu'elle refuse l'inscription de l'établissement d'Hénin-Beaumont, transféré ensuite à Bourbourg, de la société Ponticelli Frères sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1960 à 1997 et enjoint à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion de procéder à l'inscription de l'établissement d'Hénin-Beaumont, ensuite transféré à Bourbourg, de la société Ponticelli Frères sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période allant de 1960 à 1997 dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. La société Ponticelli Frères relève appel de ce jugement.

2. Aux termes du I de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, dans sa rédaction alors en vigueur : " Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés (...) des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante (...), sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que les salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales peuvent bénéficier d'une allocation de cessation anticipée d'activité. La liste des établissements donnant droit à une telle allocation est fixée par arrêté interministériel. Peuvent seuls être légalement inscrits sur cette liste, les établissements dans lesquels les opérations de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de calorifugeage ou de flocage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté, sur la période en cause, une part significative de l'activité de ces établissements.

4. Les opérations de calorifugeage à l'amiante doivent, pour l'application des dispositions de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, s'entendre des interventions qui ont pour but d'utiliser l'amiante à des fins d'isolation thermique. Ne sauraient par suite ouvrir droit à l'allocation prévue par ce texte les utilisations de l'amiante à des fins autres que l'isolation thermique, par exemple à des fins d'isolation phonique ou aux fins de colmater des fuites de gaz, alors même que, par l'effet de ses propriétés intrinsèques, l'amiante ainsi utilisée assurerait également une isolation thermique.

5. Il ressort des pièces du dossier que la société Ponticelli Frères a pour activité principale l'entretien et la maintenance de sites industriels et la fabrication de modules de plates-formes pétrolières " offshore ".

6. Il ressort du rapport établi le 9 juillet 2018, au contradictoire de la société Ponticelli Frères, par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) du Nord-Pas-de-Calais Picardie, relatif à la demande d'inscription sur la liste " ACAATA " (allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante) de l'établissement Ponticelli Frères de Bourbourg ainsi que des attestations de salariés ou de retraités de l'établissement concerné, suffisamment circonstanciées et dont l'absence de caractère sincère n'est pas établie, à l'exception de trois d'entre elles émanant de salariés ayant rejoint la société respectivement en 2000, 2008 et 2011, que les soudeurs et les tuyauteurs étaient amenés à effectuer, à partir de 1960, date à laquelle l'activité de la société s'est développée, et jusqu'en 1997, lors de la fabrication d'éléments de tuyauterie en atelier, des opérations de soudure. Si la fabrication de tuyaux n'était pas susceptible, par elle-même, d'exposer les salariés à l'amiante, les opérations de soudure effectuées une fois les tronçons réalisés pouvaient conduire les soudeurs et tuyauteurs à être exposés à des fibres d'amiante. Par ailleurs et surtout, il ressort du même rapport et des nombreux témoignages d'anciens salariés de l'établissement que ceux-ci intervenaient quasi-quotidiennement pour des opérations de maintenance sur des canalisations à l'extérieur de l'établissement chez l'ensemble des entreprises clientes et procédaient à la dépose puis à la pose de vannes lesquelles étaient recouvertes par un calorifugeage d'amiante. Ainsi, les salariés de l'établissement du Nord de la société appelante réalisaient des opérations de calorifugeage à l'amiante, quand bien même celles-ci ne constituaient pas l'activité principale de cet établissement, de sorte que ce dernier entrait dans le champ d'application des établissements pouvant être inscrits sur la liste prévue par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 précitée.

7. Si la société soutient qu'elle faisait appel à des entreprises spécialisées en cas de présence d'amiante, elle n'apporte aucun élément probant à l'appui de cette assertion alors qu'il ressort des conclusions du rapport mentionné ci-dessus que tel n'était le cas que lors de changements de canalisation ou de " grands arrêts " programmés, opérations moins fréquentes que celles, mentionnées plus haut, de dépose et pose de canalisations. Il ressort en outre des pièces du dossier et du même rapport qu'en raison de la polyvalence des salariés, l'ensemble des métiers était concerné par cette exposition à l'amiante, la production de fiches de postes par la société n'étant pas de nature à remettre en cause ce constat. Par ailleurs, si la société Ponticelli Frères indique que des calorifuges pouvaient être constitués d'autres matériaux que l'amiante et que ce matériau pouvait être utilisé à d'autres fins, elle n'apporte aucun élément de nature à l'établir alors que le rapport de la DIRECCTE mentionne uniquement la présence d'amiante sur des matériaux utilisés à fin d'isolation thermique sans jamais évoquer la présence d'autres matériaux de calorifugeage ou l'utilisation d'amiante à d'autres fins qu'à fin d'isolation thermique.

8. En outre, il ressort du rapport mentionné ci-dessus que de 1960 à 1972, 52,80 % des salariés ont travaillé en chantiers extérieurs, cette proportion passant à 21,50 % entre 1973 et 1983 puis s'élevant à 56,80 % entre 1984 et 1997.

9. Enfin, la circonstance invoquée que seulement quatre maladies professionnelles aient été reconnues imputables à l'amiante au sein de l'établissement est sans incidence dès lors que l'inscription d'un établissement sur la liste prévue à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1999 n'est pas subordonnée au constat de maladies professionnelles liées à l'amiante dans l'établissement concerné.

10. Dans ces conditions, compte tenu de la fréquence des opérations concernées et de la proportion des salariés qui étaient affectés aux opérations de calorifugeage à l'amiante situés sur les chantiers extérieurs à l'établissement d'Hénin-Beaumont transféré ensuite à Bourbourg de la société Ponticelli Frères, celles-ci représentaient une part significative de l'activité de cet établissement justifiant son inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ponticelli Frères n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 27 avril 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 6 mai 2019 du directeur général du travail en tant qu'elle refuse l'inscription de l'établissement précité sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période de 1960 à 1997.

Sur les frais d'instance :

12. Les conclusions de Mme D... qui tendent au remboursement des frais exposés, présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont dirigées contre " toute partie succombante " et ne sont ainsi dirigées contre aucune des parties à l'instance. Si, en réponse à la mesure d'information des parties du 10 janvier 2023, Mme D... a demandé, par ses observations en réponse du 11 janvier 2023, que le versement de la somme de 3 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, soit mis à la charge de la société Ponticelli Frères, ces conclusions ont été déposées le 11 janvier 2023, soit après clôture de l'instruction intervenue le 20 décembre 2022, même si elles ont été produites dans le délai de réponse imparti par la lettre d'information des parties. Par suite, ces conclusions doivent être rejetées comme irrecevables. Enfin, en l'absence de dépens, les conclusions présentées sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative sont dépourvues d'objet.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Ponticelli Frères est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme D... au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., à la société Ponticelli Frères et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience publique du 17 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. E...La présidente,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : C Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 22DA01357


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01357
Date de la décision : 02/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-02-02;22da01357 ?
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