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06/04/2023 | FRANCE | N°22DA00682

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 06 avril 2023, 22DA00682


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé, par deux requêtes distinctes, au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite rejetant son recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a autorisé son licenciement, en tant que cette décision autorise son licenciement et celle du 23 novembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenc

iement et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé, par deux requêtes distinctes, au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite rejetant son recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a autorisé son licenciement, en tant que cette décision autorise son licenciement et celle du 23 novembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement commun n° 1905534, 1909186 du 26 janvier 2022 le tribunal administratif de Lille a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail, annulé la décision du 10 septembre 2019 de la ministre du travail en tant qu'elle a autorisé le licenciement de Mme A..., mis à la charge de l'Etat le versement à Mme A... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté les conclusions présentées par la société Square habitat Nord de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2022, la société Square habitat Nord de France, représentée par Me Balaÿ, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en estimant que le manquement de Mme A... s'agissant de ventes immobilières ne constituait pas une faute suffisamment grave pour justifier l'autorisation du licenciement ;

- le délai de saisine du comité d'entreprise n'a pas, dans ces circonstances, revêtu une durée excessive entachant d'irrégularité la procédure suivie par l'employeur ;

- l'administration a respecté le principe du contradictoire ;

- il n'y a pas eu d'acharnement de son employeur à son encontre ;

- les faits relatifs au manquement à l'obligation de conseil de Mme A... ne sont pas prescrits ;

- il n'existe aucun lien entre l'exercice du mandat de l'intéressée et son licenciement.

Par un mémoire, enregistré le 15 juillet 2022, Mme B... A..., représentée par Me Watel, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à Mme A... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à ce que soit mis à la charge de la société Square habitat Nord de France le versement à Mme A... d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas établi que la décision du 10 septembre 2019 a été prise par une autorité habilitée ;

- la décision du 10 septembre 2019 est entachée d'une insuffisance de motivation en droit ;

- la procédure de licenciement est irrégulière dès lors que l'employeur n'a pas consulté le comité d'entreprise dans un délai de dix jours à compter de la notification de la mise à pied et qu'il n'a pas saisi l'administration dans le délai de 48 heures à compter de la délibération du comité d'entreprise ;

- le principe du contradictoire a été méconnu lors de l'enquête préalable ;

- la décision du 10 septembre 2019 est entachée d'une erreur d'appréciation des faits qui lui sont reprochés ;

- les faits relatifs au manquement à l'obligation de conseil sont prescrits et les griefs qui lui sont faits ne revêtent pas un caractère suffisamment grave pour justifier son licenciement ;

- il existe un lien entre l'exercice de son mandat et son licenciement.

Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a présenté des observations enregistrées le 19 octobre 2022. Il conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués dans la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 5 octobre 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 24 octobre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée, à compter du 19 janvier 1995, par la société à responsabilité limitée Arcadim promotion devenue la société par actions simplifiée Square habitat Nord de France, en qualité de responsable d'une agence immobilière. Elle détenait, par ailleurs, depuis 2016, un mandat de délégué du personnel suppléant. Une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat lui a été notifiée le 3 septembre 2018. Par une décision du 23 novembre 2018, l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire. L'intéressée a formé un recours hiérarchique. Par une décision du 10 septembre 2019, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite de rejet née le 24 mai 2019, a annulé la décision du 23 novembre 2018 de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de Mme A.... Par un jugement du 26 janvier 2022 le tribunal administratif de Lille après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail a, notamment, annulé la décision du 10 septembre 2019 de la ministre du travail en tant qu'elle a autorisé le licenciement de Mme A.... La société Square habitat Nord de France relève appel de ce jugement.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. La société Square habitat Nord de France a demandé l'autorisation de licencier Mme A... pour motif disciplinaire, en mettant en avant qu'elle avait harcelé moralement une de ses assistantes et n'avait pas respecté son obligation de conseiller les clients ni les modes de fonctionnement et les procédures. Pour autoriser le licenciement de Mme A..., la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retenu uniquement le motif tiré du non-respect de l'obligation de conseiller les clients.

Sur la gravité du manquement reproché à Mme A... :

4. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, Mme A... a bénéficié, le 13 septembre 2017, d'un mandat exclusif pour réaliser la vente de deux habitations appartenant aux mêmes propriétaires, dont l'une était donnée en location jusqu'au 31 juillet 2018. Le mandat précisait que l'un des biens était loué et qu'en cas de vente le locataire bénéficiait d'un droit de préemption et qu'un préavis de trois mois devrait alors lui être adressé afin d'éviter que le bail ne soit reconduit par tacite reconduction chaque 31 juillet. Les vendeurs et le futur acquéreur ont signé le 26 septembre 2017, sur proposition de Mme A..., un compromis de vente précisant que l'acte de vente de réitération serait signé le 15 février 2018 chez le notaire. Ce compromis de vente, rédigé sur le conseil de Mme A..., ne prévoyait toutefois pas de condition suspensive de non préemption du locataire. Alors que le bail courait jusqu'au 31 juillet 2018, le congé pour vente n'a été notifié au locataire que le 28 septembre 2017, soit postérieurement à la conclusion du compromis de vente. Les vendeurs se sont vu proposer par Mme A..., ce qu'ils ont été contraints d'accepter, la signature le 29 juin 2018 au profit de l'acquéreur, d'un protocole d'accord prévoyant le versement à ce dernier d'une indemnité égale à un millième du prix de vente par jour de retard, à titre d'indemnité forfaitaire pour l'inexécution de l'obligation contractuelle de mettre les biens vendus à disposition de l'acquéreur à la date convenue. Il ressort de ce qui a été exposé que Mme A... a commis une faute en n'informant pas le locataire du projet de vente des propriétaires et de son droit de préemption, en ne s'assurant pas de ce que le bien serait libre d'occupation au moment de la réitération de l'acte de vente devant notaire et en faisant supporter la charge financière de sa faute à son client.

5. Par ailleurs, les mêmes clients ont signé parallèlement le 30 septembre 2017, toujours par l'intermédiaire de Mme A..., un compromis de vente, ne comportant aucune clause suspensive quant à la revente de leur bien ou quant à l'obtention d'un prêt relais pour l'acquisition d'un autre bien immobilier. Ce compromis de vente devait faire l'objet d'une réitération devant notaire le 15 février 2018. L'un des deux biens qu'ils envisageaient de vendre n'étant pas disponible avant le 31 juillet 2018 comme il a été dit plus haut, Mme A... a mis ses clients en situation de devoir non seulement contracter rapidement un prêt relais, mais aussi de payer aux vendeurs une indemnité importante et enfin de faire signer le 30 juin 2018, un avenant au compromis de vente reportant la date de l'acte de vente. Là encore, Mme A... a commis une faute en manquant à son obligation de conseil envers ses clients et en leur laissant supporter la charge financière de sa faute.

6. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... aurait fait l'objet de quelconques mises en garde ou rappels ou d'antécédent disciplinaire alors même qu'elle

compte vingt-quatre années de carrière au sein de la société Square habitat Nord de France. De plus les fautes relevées concernent en fait deux transactions liées et il n'est nullement établi que d'autres fautes auraient été commises par l'intéressée dans d'autres affaires, ni comme le soutient Square habitat Nord de France, que Mme A... aurait manqué de neutralité et cherché à favoriser l'acheteur qu'elle connaissait. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation des faits en estimant que le manquement de Mme A... ne constituait pas une faute suffisamment grave pour justifier l'autorisation de licenciement doit être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Square Habitat Nord de France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 26 janvier 2022 le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 10 septembre 2019 de la ministre du travail en tant qu'elle a autorisé le licenciement de Mme A.... Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... d'une somme sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Square Habitat Nord de France est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Square Habitat Nord de France.

Délibéré après l'audience publique du 21 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 22DA00682


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00682
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : WATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-04-06;22da00682 ?
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