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11/04/2023 | FRANCE | N°22DA01323

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 11 avril 2023, 22DA01323


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 2 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français

Par un jugement n° 2110016 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juin 2022 et 15 février 2023, M. B..., représenté par Me Anne Mannessier, deman

de à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 2 décemb...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 2 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français

Par un jugement n° 2110016 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juin 2022 et 15 février 2023, M. B..., représenté par Me Anne Mannessier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 2 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un certificat de résidence temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) à défaut, de l'enjoindre de procéder au réexamen de sa situation à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous les mêmes conditions d'astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que la décision portant refus de renouvellement d'un titre de séjour était entachée d'une motivation erronée ;

- la décision portant refus de renouvellement du titre de séjour est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'elle mentionne à tort qu'il n'atteste pas de l'actualité de sa pathologie ;

- elle méconnaît les stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire est illégale à raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2022, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 27 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 février 2023 à 12 heures.

Par courrier enregistré le 31 janvier 2023, M. B... a, en application de la décision du Conseil d'Etat du 28 juillet 2022 n° 441481, confirmé sa volonté de lever le secret médical.

Le dossier médical de M. B... a été produit par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) le 13 février 2023.

L'OFII a présenté des observations qui ont été enregistrées le 14 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 16 octobre 1952, est entré en France, accompagné de son épouse, le 12 mai 2017, muni de son passeport revêtu d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires belges à Alger et valable du 7 mai au 7 novembre 2017. Il a sollicité, le 15 février 2018, la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé. L'intéressé a obtenu la délivrance d'un certificat de résidence valable du 15 septembre 2018 au 14 septembre 2019, lequel a été renouvelé jusqu'au 17 janvier 2021. M. B... a sollicité, le 9 octobre 2020, le renouvellement de son certificat de résidence et, par un arrêté en date du 2 décembre 2021, le préfet du Nord a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. M. B... relève appel du jugement du 25 mai 2022 du tribunal administratif de Lille qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté portant refus de renouvellement de son titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des mentions du jugement attaqué que les premiers juges ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que la décision portant refus de renouvellement du titre de séjour était entachée d'une erreur de fait, lequel n'était pas inopérant. Il en résulte que M. B... est fondé à soutenir que le jugement est irrégulier et à en demander pour ce motif l'annulation.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 2 décembre 2021 :

4. D'une part, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) / 7. Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé./ Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".

6. Il ressort des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII, que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque ce défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

7. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. En l'espèce, le collège de médecins de l'OFII a estimé dans son avis du 2 mars 2021 que si l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé, et peut voyager sans risque vers son pays. Il ressort du dossier médical de M. B... et des observations de l'OFII que l'intéressé est atteint d'un adénocarcinome bronchique métastatique au niveau pleural et surrénalien de stade IV, diagnostiqué en 2017 et qu'en raison d'une certaine mutation génétique des cellules tumorales, ce cancer du poumon est traité au long cours par le produit Tarceva, dont le principe actif est l'erlotinib, lequel a permis la stabilisation du cancer. L'OFII a indiqué, d'une part, que l'état de santé de M. B... nécessite un suivi par un cancérologue ou un pneumologue avec une compétence en cancérologie ainsi qu'un plateau technique d'imagerie, lesquels sont disponibles en Algérie qui dispose, en outre, de vingt-trois centres anti-cancéreux, dont dix-sept établissements publics et, d'autre part, que l'erlotinib était disponible en Algérie et était commercialisé sous le nom de C... en dosage de cent milligrammes par comprimé. Toutefois, M. B... fait valoir que la posologie de cent cinquante milligrammes de Tarceva recommandée à l'instauration de son traitement a dû être régulièrement diminuée jusqu'à cinquante milligrammes par jour en raison des effets secondaires et que la commercialisation de l'erlotinib sous un dosage de cent milligrammes en Algérie ne permet pas de garantir une efficacité thérapeutique du traitement. A cet égard, il produit à l'instance une attestation d'un médecin pneumologue du centre hospitalier de Tourcoing en date du 3 juin 2022 mentionnant qu'il n'est pas possible, selon ses connaissances, d'ajuster la posologie du traitement par erlotinib en coupant en deux un comprimé de cent grammes pour amener une équivalence thérapeutique dès lors que la biodisponibilité du principe actif est altéré lorsqu'un comprimé est coupé ou écrasé et peut conduire à un surdosage ou un sous-dosage et que si une étude retient la possibilité de dissoudre les comprimées d'erlotinib dans de l'eau stérile et de secouer pour l'obtention d'une solution homogène lors d'une administration du produit par sonde nasogastrique, cette alternative, qui reste sous l'entière responsabilité du prescripteur, est seulement proposée pour les patients ne pouvant pas avaler leur traitement et n'est pas utilisée pour ajuster la posologie. M. B... produit également la fiche " Recommandation de bonne pratique " de l'erlotinib indiquant qu'en cas de difficulté à avaler un comprimé, celui-ci doit être dissous dans l'eau sans être écrasé. Par ailleurs, si l'OFII a indiqué qu'il résultait de la nomenclature nationale des produits pharmaceutiques à usage de la médecine humaine et de la liste des médicaments de la pharmacie centrale des hôpitaux en Algérie que le gefitinib et l'afatinib, qui sont des inhibiteurs de thyrosine kinase de la même famille pharmaco thérapeutique que l'erlotinib, étaient également disponibles en Algérie et n'étaient pas moins efficaces que l'erlotinib et n'induisaient pas le risque d'une plus mauvaise tolérance chez le patient, il ressort toutefois des attestations du même praticien hospitalier des 15 mars et 3 juin 2022 que M. B... doit poursuivre le même principe actif sans interruption dès lors qu'il n'est pas certain que la substitution du Tarceva par une autre thérapie ciblée de la famille des inhibiteurs de tyrosine kinase soit possible en toute sécurité et avec une équivalence d'efficacité. Dans ces conditions, en lui refusant le renouvellement de son certificat de résidence, le préfet du Nord doit être regardé comme ayant méconnu les dispositions du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien précédemment cité. Par suite, M. B... est fondé à demander l'annulation de ce refus de titre de séjour et, par voie de conséquence, de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Nord du 2 décembre 2021 ayant rejeté sa demande de titre de séjour et lui ayant fait obligation de quitter le territoire français.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Eu égard au motif d'annulation retenu par la cour, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Nord de délivrer à M. B... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 25 mai 2022 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet du Nord du 2 décembre 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " à M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à l'Office Français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience publique du 28 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.

La rapporteure,

Signé : S. StefanczykLa présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA01323


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 22DA01323
Date de la décision : 11/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Sylvie Stefanczyk
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : MANNESSIER;MANNESSIER;MANNESSIER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-04-11;22da01323 ?
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