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30/05/2023 | FRANCE | N°22DA01796

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 30 mai 2023, 22DA01796


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 2 juillet 2019 par laquelle l'inspectrice de travail de l'unité de contrôle de Lille a, sur demande de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), autorisé son licenciement pour inaptitude, ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique formé le 26 juillet 2019.

Par un jugement n° 2000413 du 15 juin 2022, le tribunal administratif de

Lille a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 2 juillet 2019 par laquelle l'inspectrice de travail de l'unité de contrôle de Lille a, sur demande de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), autorisé son licenciement pour inaptitude, ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique formé le 26 juillet 2019.

Par un jugement n° 2000413 du 15 juin 2022, le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire, enregistrés les 16 août 2022, 3 octobre 2022 et 16 janvier 2023, l'AFPA, représentée par Me Gatineau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... en première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors qu'il a été rendu au terme d'une procédure non contradictoire ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a estimé que l'autorisation de licencier M. A... ne pouvait légalement lui être accordée, en raison de l'irrégularité de la procédure de licenciement résultant de l'absence de consultation de la commission de reclassement des salariés, instituée par l'article 79 de l'accord collectif du 4 juillet 1996 relatif aux dispositions générales régissant le personnel de l'AFPA ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle ne s'était pas livrée à des recherches sérieuses de reclassement du salarié ;

- il n'existait aucun lien entre le licenciement envisagé et l'exercice par M. A... d'un mandat syndical.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2022, M. A..., représenté par Me Sellier-Suty, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à la cour de mettre à la charge de l'AFPA la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par l'AFPA ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 27 janvier 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion demande à la cour de faire droit aux conclusions à fin d'annulation présentées par l'AFPA et se réfère à ses écritures devant le tribunal administratif de Lille.

Par une ordonnance du 18 janvier 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 15 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté par un contrat à durée indéterminée à compter de 2004, par l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), en qualité de formateur affecté au centre de formation pour adultes de Roubaix. M. A... détenait, par ailleurs, un mandat de délégué du personnel suppléant. Il occupait, en dernier lieu, le poste de formateur en " commerce force de vente ". L'intéressé a été placé en arrêt de travail du 26 février 2016 au 4 décembre 2018. Par deux avis émis le 5 décembre 2018, à la suite d'une visite de reprise, puis le 10 janvier 2019, le médecin du travail a estimé que M. A... était définitivement inapte au poste de formateur qu'il occupait antérieurement mais l'a déclaré apte à occuper un poste administratif ou technico-commercial. M. A... bénéficiant de la protection prévue par l'article L. 2411-1 du code du travail en faveur des délégués syndicaux, son employeur a saisi l'administration, par un courrier du 26 avril 2019, d'une demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude. Par une décision du 2 juillet 2019, l'inspectrice du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France a autorisé le licenciement envisagé, qui a été notifié à M. A... le 3 juillet 2019. Le recours hiérarchique formé le 26 juillet suivant par M. A... contre cette décision a été implicitement rejeté par la ministre chargée du travail. L'AFPA relève appel du jugement du 15 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé ces deux décisions.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".

3. M. A... a produit un mémoire en réplique enregistré au greffe du tribunal administratif de Lille le 10 août 2021, soit avant la clôture de l'instruction fixée par une ordonnance du président de ce tribunal au 1er septembre 2021. Ce mémoire a été communiqué par la voie de l'application Télérecours à l'AFPA, qui en a pris connaissance le 30 août 2021. Parallèlement, la clôture de l'instruction a été reportée au 1er octobre 2021 par une ordonnance du 24 août 2021. Ainsi, le moyen tiré par l'AFPA de ce que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité, faute de communication régulière du mémoire enregistré le 10 août 2021 manque en fait.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, en vigueur à la date de la décision de l'inspectrice du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / (...) / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ". Les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1226-2-1 du même code précisent : " L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues par l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail ".

5. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément à l'article L. 1226-2 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

6. M. A... soutient que l'inspectrice du travail ne pouvait, par la décision contestée du 2 juillet 2019, légalement autoriser son licenciement, dès lors que l'AFPA n'avait pas procédé à des recherches de reclassement sérieuses.

7. En premier lieu, au titre du contrôle qui lui incombe, l'inspecteur du travail doit notamment vérifier la régularité de ce projet de licenciement au regard de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, au nombre desquelles figurent les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié.

8. Aux termes du premier et du deuxième alinéa de l'article 79 de l'accord collectif du 4 juillet 1996 relatif aux dispositions générales régissant le personnel de l'AFPA : " Une Commission de reclassement régionale ou nationale selon le niveau concerné, est associée à la recherche d'un reclassement au bénéfice du salarié susceptible d'être déclaré définitivement inapte à son emploi par le Médecin du Travail. / Cette Commission peut être saisie par le Responsable hiérarchique ou le Médecin du Travail. (...) ".

9. Il résulte de ces stipulations que, lorsqu'un licenciement pour inaptitude d'un salarié de l'AFPA est envisagé, la commission de reclassement, instituée par l'article 79 de l'accord collectif du 4 juillet 1996 pour faciliter le reclassement du salarié, doit être saisie et que cette saisine incombe concurremment au supérieur hiérarchique du salarié ou au médecin du travail. En l'espèce, il n'est pas contesté par l'AFPA que cette commission de reclassement n'a pas été associée à la recherche d'un reclassement au bénéfice de M. A.... Le projet de licenciement de ce dernier soumis à l'inspectrice du travail était donc, à cet égard, irrégulier.

10. En second lieu, lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur. Lorsque le motif de licenciement invoqué par l'employeur fait obligation à l'administration d'apprécier le sérieux des recherches préalables de reclassement effectuées par celui-ci, l'inspecteur du travail doit apprécier les possibilités de reclassement du salarié à compter du moment où le licenciement est envisagé et jusqu'à la date à laquelle il statue sur la demande de l'employeur.

11. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'issue de la visite de reprise du 5 décembre 2018, le médecin du travail a émis l'avis que M. A... ne devait " plus être affecté à un poste de formateur ", en indiquant : " demande de mutation à un poste de nature administrative ". Le 10 janvier 2019, à l'issue d'une seconde visite, le médecin du travail a émis un " avis d'inaptitude définitive au poste de formateur (animation de groupe) en précisant : " aptitude restante pouvant correspondre à un poste administratif et/ou technico-commercial. Le face-à-face individuel avec un stagiaire et un professionnel est possible ".

12. Le 11 février 2019, l'adjointe de la directrice des relations humaines et du dialogue social de la direction régionale des Hauts-de-France de l'AFPA a consulté le médecin du travail sur la possibilité de reclasser M. A... sur un poste d'animateur socio-éducatif à Roubaix, en précisant que ce poste nécessitait essentiellement des face-à-face individuels, sans exclure, pour autant, des rencontres face à des groupes se déroulant essentiellement dans un cadre " festif ". Ce poste n'a toutefois pas été proposé à M. A... dès lors que, le 12 février 2019, le médecin du travail a précisé que, s'il n'écartait pas un poste administratif pouvant comporter des temps de face-à-face individuel, le poste envisagé ne correspondait pas à l'aptitude restante de M. A.... Par ailleurs, interrogée par l'inspectrice du travail sur la possibilité de proposer à M. A..., qui avait exercé les fonctions de directeur d'agence, un emploi similaire, l'adjointe de la directrice des relations humaines et du dialogue social de la direction régionale des Hauts-de-France de l'AFPA a expliqué qu'aucun poste de ce type n'était disponible et que de telles fonctions impliquaient des contacts fréquents incompatibles avec la capacité de M. A.... Pour expliquer qu'aucun autre poste n'a été proposé à M. A..., l'AFPA fait valoir, d'une part, que l'ensemble des directions régionales de l'établissement a été consulté, par un courriel du 16 janvier 2019, sur les postes disponibles susceptibles de correspondre aux capacités de M. A... compte tenu des préconisations émises le 10 janvier 2019 par le médecin du travail et, d'autre part, que

les cent-quarante-sept postes ouverts au recrutement sur l'ensemble du territoire du 17 octobre 2018 au 15 janvier 2019, identifiés sur son site internet, étaient, pour l'essentiel, des postes de formateur, inappropriés aux capacités de M. A....

13. Toutefois, il ressort du résultat partiel de cette recherche produit par l'AFPA, faisant seulement apparaître les soixante-quinze premières occurrences, que des postes d'une autre nature, tels que des postes d'assistants de projet ou de consultant en étude diagnostic de territoire étaient également disponibles. En outre, il ressort du résultat d'une consultation du même site, produit par M. A..., qu'en dépit du contexte de restructuration invoqué par l'AFPA, plusieurs postes de " manager de formation ", ainsi que des postes d'assistant technique étaient ouverts au recrutement au cours des mois d'avril et de mai 2019, soit antérieurement à l'édiction, par l'inspectrice du travail, de sa décision du 10 mai 2022 et, d'ailleurs, avant même l'enquête réalisée par cette dernière le 5 juin 2019. L'AFPA ne soutient pas que l'ensemble de ces postes impliquait d'intervenir devant des groupes ou qu'ils comportaient une part d'entretiens individuels dans des proportions telles qu'elles ne correspondaient pas aux préconisations du médecin du travail. Enfin, alors même que M. A... a refusé de passer des tests d'aptitude au cours de l'entretien de reclassement qui s'est déroulé, dans des conditions conflictuelles le 29 janvier 2019, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé qui, outre les fonctions de formateur, avait exercé celles de directeur d'agence, ne disposait pas des compétences nécessaires pour occuper l'un de ces postes ou ne pouvait acquérir de telles compétences, au besoin, après une formation.

14. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 7 à 13, l'AFPA ne peut être regardée comme s'étant livrée à des recherches sérieuses en vue du reclassement de M. A.... Par suite, l'inspectrice du travail ne pouvait légalement autoriser son licenciement.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. A..., que l'AFPA n'est pas fondée soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision contestée du 2 juillet 2019 de l'inspectrice du travail et la décision implicite par laquelle la ministre chargée du travail a rejeté le recours hiérarchique de M. A....

Sur les frais d'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais, non compris dans les dépens, exposés par l'AFPA soient mis à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AFPA une somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) est rejetée.

Article 2 : L'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. B... A....

Délibéré après l'audience publique du 18 avril 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.

La rapporteure,

Signé : D. Bureau

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

A-S Villette

2

No 22DA01796


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01796
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCP JEAN-JACQUES GATINEAU - CAROLE FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-05-30;22da01796 ?
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