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22/06/2023 | FRANCE | N°21DA01903

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 22 juin 2023, 21DA01903


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a, par deux demandes successives, demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2015.

Par un jugement nos 1809207, 1811986 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ces

demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a, par deux demandes successives, demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2015.

Par un jugement nos 1809207, 1811986 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 août 2021, le 20 février 2023 et le 24 mars 2023, M. E..., représenté par Me Guey-Balgairies, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement et de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer une réduction de ces impositions, après avoir réduit les bases imposables, en appliquant une majoration aux prix d'achat retenus dans le cadre de la reconstitution des recettes taxables et des bénéfices imposables générés par son activité et en excluant la décote pratiquée à tort sur les charges reconstituées, et de réformer, en conséquence, ce jugement.

Il soutient que :

- à titre principal, il n'est pas établi que le signataire de l'avis de mise en recouvrement émis pour obtenir le paiement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige était régulièrement habilité à cette fin ;

- il incombe à l'administration de justifier de l'homologation, par une autorité compétente, des rôles émis pour le recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu en litige ; dans cette attente, ces rôles doivent être regardés comme irréguliers ;

- les suppléments d'impôt sur le revenu et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant, en ce qui concerne les années 2013 et 2014, ainsi que les périodes correspondantes, de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet son activité individuelle ont été établis à l'issue d'une procédure irrégulière, dès lors que cette vérification de comptabilité s'est déroulée, en méconnaissance de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans les locaux de l'administration, alors qu'il n'avait pas sollicité de façon suffisamment explicite que tel soit le cas, cette irrégularité, ajoutée au fait que les entretiens organisés dans le cadre de ce contrôle et ceux s'inscrivant dans le cadre de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont il a fait parallèlement l'objet ont été concomitants, l'ayant privé d'un véritable débat oral et contradictoire avec le vérificateur ; cette confusion entre les deux procédures de contrôle mises en œuvre est attestée par le fait que la proposition de rectification qui lui a été notifiée ne traite pas exclusivement des rectifications concernant les bénéfices de son activité, mais aussi de questions afférentes à l'imposition de son foyer fiscal ;

- la reconstitution des recettes taxables et des résultats imposables de son activité individuelle résulte de la mise en œuvre d'une méthode excessivement sommaire ; en effet, le taux de 15% retenu par le service comme représentatif des achats de marchandises ne repose sur aucune donnée objective, le service n'ayant pas exercé son droit de communication auprès de son fournisseur, ni ne s'étant livré à aucune comparaison avec des données issues de l'activité d'entreprises similaires ; en outre, cette méthode aboutit à retenir des prix d'achat irréalistes, comme il le démontre, ainsi qu'un taux de marge de 86,50% et un coefficient de ventes sur les achats égal à 7,4, qui sont fantaisistes ; les éléments issus de l'instruction pénale dont il a fait l'objet confortent son analyse ; enfin, la décote de 10% appliquée par le service sur le total des charges reconstituées pour tenir compte de prétendues ventes multiples d'un même article n'est pas justifiée, l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, intervenu en matière pénale, confirmant le mal-fondé de cette décote, que l'administration justifie par le témoignage isolé d'un seul client ;

- à titre subsidiaire, une comparaison avec des données issues d'entreprises exerçant dans le secteur de l'équipement de la maison et du commerce ambulant, qui pratiquent respectivement un taux de marge moyen de 43% et de 51,03%, justifie que le taux de marge de 86,50% retenu pour son activité soit ramené à de plus justes proportions, tenant compte d'un taux représentatif du coût d'achat des marchandises de 30% au lieu du taux de 15% retenu par l'administration et excluant l'application de toute décote.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2022, et par un mémoire, enregistré le 22 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'avis de mise en recouvrement émis pour obtenir le paiement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige a été signé par un agent valablement habilité ;

- les rôles émis pour recouvrer les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu en litige ont été rendus exécutoire par une autorité ayant reçu régulièrement compétence pour ce faire ;

- dès lors que M. E... doit être regardé comme ayant demandé que la vérification de comptabilité de son entreprise, qui n'a pas de siège fixe, se tienne dans les locaux de l'administration, aucune irrégularité n'a été commise au regard des dispositions de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales ; M. E... n'établit pas que le vérificateur aurait refusé de le faire bénéficier d'un débat oral et contradictoire, la seule circonstance que les entretiens se soient déroulés aux mêmes dates que ceux fixés pour l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle, mais de façon successive et distincte, contrairement à ce qui est soutenu, ne pouvant suffire à apporter une telle preuve ; il en est de même du fait que le vérificateur chargé de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle ait assisté à tout ou partie de ces entretiens, ce qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit ; enfin, l'administration était fondée à tirer les conséquences des rectifications opérées à la suite de cette vérification de comptabilité sur l'imposition du foyer fiscal de M. E... ;

- eu égard aux circonstances qu'aucune comptabilité afférente à l'activité individuelle de M. E... n'a été présentée au vérificateur et que les rectifications notifiées, en matière de bénéfices industriels et commerciaux, à la suite de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet cette activité, ont été établis conformément à l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, M. E... supporte, en application de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve du caractère exagéré de ces suppléments d'impôt ;

- M. E... n'ayant produit aucune comptabilité afférente à son activité individuelle, ni aucune justification des charges qui auraient pu grever cette activité au cours de la période vérifiée, allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, malgré les demandes répétées du service, et n'ayant pu même apporter aucun élément de nature à permettre d'identifier son fournisseur, le vérificateur a procédé à une reconstitution des recettes taxables et des bénéfices imposables générés par cette activité à partir des crédits figurant sur les comptes bancaires utilisés par l'intéressé pour cette activité ; dans ce cadre et dans un souci de réalisme économique, le vérificateur a cherché à estimer les charges supportées par l'entreprise ; compte-tenu des conditions dans lesquelles le vérificateur a été contraint de procéder à cette estimation, M. E... ne peut lui faire reproche de n'avoir pas fait usage de son droit de communication auprès d'un fournisseur qui n'a pu être identifié ; eu égard aux déclarations de M. E... concernant l'utilisation d'un véhicule utilitaire pour les besoins de son activité mais en l'absence de justificatifs permettant de déterminer les frais induits par cet usage, le vérificateur a estimé ceux-ci de manière forfaitaire, en utilisant le barème kilométrique publié par l'administration et en retenant une distance parcourue annuellement de 50 000 km ; les charges d'achats ont été évaluées forfaitairement par application d'un taux de 15% du total des recettes issues des ventes ; enfin, une décote supplémentaire de 10% a été pratiquée sur le total des charges reconstituées, pour tenir compte, à partir des déclarations de clients issues de la procédure pénale à laquelle le service a eu accès, de ce que certains articles avaient fait l'objet de deux ventes successives ; en évoquant un arrêt de la cour d'appel d'Amiens, sans verser celui-ci à l'instruction, M. E... ne conteste pas utilement le bien-fondé de cet abattement ; enfin, en se bornant à se référer aux tarifs pratiqués par des grossistes ou à des taux de marges publiés sur l'internet en ce qui concerne des commerces qu'il estime comparables au sien, M. E... n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que le montant des achats réalisés pour les besoins de son activité serait supérieur à celui retenu par le service ;

- les autres moyens présentés par M. E... en première instance ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Guey-Balgairies, représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... E... exerce, à titre individuel, une activité ambulante de vente de matelas, de sommiers et de literie. Cette activité a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. Parallèlement à cette procédure, M. E... a fait l'objet d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle portant sur la même période, ainsi que d'un contrôle sur pièces portant sur les déclarations souscrites par lui au titre des années 2011, 2012 et 2015. Dans le cadre de la vérification de comptabilité de son activité individuelle, M. E... n'a présenté aucun document comptable, ni aucune pièce en tenant lieu, ce que le vérificateur a constaté par un procès-verbal. En conséquence, le vérificateur a procédé à une reconstitution des recettes taxables et des bénéfices imposables générés par cette activité au titre de la période vérifiée et des exercices correspondants. L'administration a fait connaître à M. E..., par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 8 décembre 2016, les rehaussements appliqués à son chiffre d'affaires taxable, selon la procédure de taxation d'office, et à ses bénéfices imposables, selon la procédure de rectification contradictoire, résultant de ce contrôle. Par ailleurs, les rehaussements résultant des deux autres contrôles dont M. E... a fait l'objet ont été portés à sa connaissance par deux propositions de rectification qui lui ont été adressées le 8 décembre 2016, en ce qui concerne les conséquences du contrôle sur pièces, et le 12 décembre 2016, s'agissant des conséquences de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle.

2. Les observations formulées par M. E... n'ont pas convaincu le service de revoir son appréciation et la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, consultée à la demande de l'intéressé, a émis un avis favorable au maintien des rectifications en matière de bénéfices imposables. Dans ces conditions, les suppléments d'impôt sur le revenu concernant les années 2011 à 2015, et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant à la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, mis à la charge de M. E... à l'issue de ces contrôles, ont été mis en recouvrement, respectivement, les 31 mars et 30 avril 2018, pour un montant total de 380 895 euros, en droits et pénalités, d'une part, et le 29 décembre 2017, pour un montant total de 207 579 euros, en droits et pénalités, d'autre part. Ses réclamations ayant été rejetées, M. E... a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, en lui demandant, par deux demandes successives, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2015. M. E... relève appel du jugement du 11 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ces demandes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. Aux termes du I de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction en vigueur à la date de la vérification de comptabilité dont l'activité exploitée par M. E... a été l'objet : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. / (...) ".

4. Si ces dispositions ont pour conséquence que toute vérification de comptabilité doit, en principe, se dérouler dans les locaux de l'entreprise vérifiée, la vérification n'est toutefois pas nécessairement entachée d'irrégularité du seul fait qu'elle ne s'est pas déroulée dans ces locaux. Il en va ainsi lorsque, notamment, l'entreprise ne dispose pas, au moment du contrôle, de locaux permettant au vérificateur de procéder à ses investigations dans des conditions adaptées et que, d'un commun accord entre le vérificateur et les représentants de l'entreprise, les opérations de vérification se déroulent dans le lieu choisi par le contribuable, dès lors que cette circonstance ne fait, par elle-même, pas obstacle à ce que la possibilité d'engager avec le vérificateur un débat oral et contradictoire demeure offerte aux représentants de l'entreprise vérifiée.

5. D'une part, il résulte de l'instruction que l'avis de vérification adressé à M. E... le 23 mars 2016, à l'adresse déclarée au registre du commerce et des sociétés pour son entreprise individuelle, pour l'informer de ce que cette entreprise ferait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, prévoyait une première rencontre avec le vérificateur le 19 avril 2016 au siège de son entreprise. Une copie de cet avis a parallèlement été envoyée par le service à l'adresse personnelle de M. E.... Cependant, dans un contexte dans lequel le service a constaté que l'entreprise de vente ambulante exploitée par l'intéressé ne disposait pas d'un siège fixe, l'adresse déclarée au registre du commerce et des sociétés correspondant, en réalité, à celle de la mairie de Péronne (Somme), M. E... a adressé, le 7 avril 2016, communément au vérificateur chargé de la vérification de comptabilité et à celui chargé de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle engagé parallèlement à son égard, une lettre manuscrite, versée à l'instruction, afin de confirmer que, comme ils en étaient précédemment convenus par téléphone, le premier entretien était maintenu le 19 avril 2016 en précisant que le lieu de celui-ci serait Beauvais, c'est-à-dire dans les locaux du centre des finances publiques. En outre, au cours du premier entretien organisé dans le cadre de la vérification de comptabilité de son activité, qui s'est effectivement tenu le 19 avril 2016 dans les locaux de l'administration à Beauvais, M. E... a remis au vérificateur un courrier dactylographié daté du jour même et versé à l'instruction, afin de lui faire connaître son souhait que, dans le cadre de la vérification de comptabilité de son activité marchande, " l'ensemble des opérations de contrôle se déroule au centre des finances publiques de Valenciennes " et que les correspondances relatives à cette procédure lui soient envoyées à une adresse située dans une commune proche, située dans l'arrondissement de Valenciennes, dans le département du Nord. Il résulte de l'instruction que les interventions suivantes ont eu lieu, conformément à cette demande, les 8 juin 2016, 8 juillet 2016, 22 septembre 2016 et 24 octobre 2016, au centre des finances publiques de Valenciennes. Dès lors, la procédure d'imposition ne peut être regardée comme irrégulière au regard des dispositions précitées de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales.

6. D'autre part, M. E... soutient que la convocation au même moment et au même lieu dans le cadre des entretiens avec chacun des vérificateurs chargés, d'une part, de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet son activité, d'autre part, de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont il a lui-même fait l'objet, a créé, à ses yeux, une confusion néfaste à l'instauration d'un véritable débat oral et contradictoire en ce qui concerne les conditions d'exploitation de son activité individuelle. Toutefois, il résulte des éléments avancés par le ministre et non sérieusement contredits que, si, par commodité, M. E... a été convoqué aux mêmes dates et aux mêmes horaires dans le cadre de ces deux contrôles, les entretiens ont eu lieu non pas concomitamment, mais successivement et distinctement. Et les circonstances que l'agent chargé de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle a assisté à tout ou partie des entretiens tenus par son collègue chargé de la vérification de comptabilité et qu'il a examiné, nécessairement, les mêmes relevés de comptes bancaires restent sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition, aucune disposition ni aucun principe ne prohibant une telle pratique. Enfin, il en est de même de la circonstance que la proposition de rectification adressée le 8 décembre 2016 à l'issue de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet son activité tire les conséquences des rectifications sur l'imposition du foyer fiscal de M. E.... Par suite, la procédure d'imposition ne peut davantage être regardée comme irrégulière au regard des dispositions précitées de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

10. D'une part, en vertu de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve incombe au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, dès lors que les impositions contestées ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. D'autre part, en vertu de l'article L. 193 de ce livre, dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. L'article R. 193-1 du même livre précise que, dans ces cas, le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré.

11. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 1, au cours de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet l'activité individuelle de M. E..., en ce qui concerne la période s'étendant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, l'intéressé n'a fourni au vérificateur, pour son entreprise, aucune comptabilité, ni aucune pièce en tenant lieu. Par suite, bien que les rehaussements des résultats imposables de cette activité lui aient été notifiés selon la procédure de rectification contradictoire, M. E... supporte, en application des dispositions, rappelées au point précédent, de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, la charge de la preuve, dès lors que les impositions correspondantes ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. D'autre part, il résulte de l'instruction que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant à cette activité pour la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 ont été établis d'office, faute pour M. E... d'avoir souscrit les déclarations de chiffre d'affaires se rapportant à cette période. L'intéressé supporte, en conséquence, la charge de la preuve, en application des dispositions, rappelées au point précédent, de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales et il lui revient donc, en application de l'article R. 193-1 du même livre, de démontrer le caractère exagéré de ces rappels de taxe.

En ce qui concerne la méthode de reconstitution :

12. Pour établir les suppléments d'impôt sur le revenu et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, l'administration, en l'absence de comptabilité se rapportant à l'activité vérifiée, s'est fondée sur des recettes reconstituées à partir des relevés du compte bancaire de M. E... et, dès lors que l'intéressé a précisé, lors du débat oral et contradictoire, avoir utilisé aussi, dans le cadre de son activité, le compte bancaire de sa compagne et celui de l'un de ses fils, à partir des relevés de ces comptes. En l'absence de tout justificatif des charges d'exploitation ayant grevé le fonctionnement de l'entreprise au cours de la période vérifiée, le vérificateur, dans un souci de réalisme économique, a déduit des crédits figurant sur ces comptes bancaires et identifiés comme des recettes de l'activité, un montant de charges résultant de l'application, au montant des recettes ainsi reconstituées pour chacun des exercices concernés, du taux forfaitaire de 15% regardé comme représentatif de la part des achats de marchandises dans le chiffre d'affaires de l'entreprise, compte-tenu du niveau des ventes mis en évidence pour celle-ci et de ses modalités d'exploitation, dans le cadre d'une activité ambulante, telles qu'elles ressortaient des entretiens tenus avec le contribuable. En outre, M. E... ayant évoqué l'utilisation, pour les besoins de son activité, d'un véhicule utilitaire, le vérificateur a, en l'absence de justificatifs, évalué la charge correspondante, en appliquant, en tenant compte des caractéristiques des véhicules dont disposait M. E..., le barème kilométrique publié par l'administration et en tenant compte d'une distance totale de 50 000 km par an, regardée comme représentative de ses déplacements. Enfin, dès lors qu'une analyse des auditions de clients figurant dans le dossier de la procédure pénale, auquel le service a eu accès, a amené le vérificateur à estimer que M. E... avait, à de nombreuses reprises pendant la période vérifiée, repris certaines marchandises, après leur vente, chez des clients, faisant état d'une défectuosité ou d'une non-conformité, pour les vendre de nouveau ensuite à d'autres clients, une décote de 10% a été appliquée sur le montant total des charges reconstituées pour chaque exercice pour tenir compte de cette donnée de l'exploitation.

13. Pour critiquer la pertinence de cette méthode, M. E..., qui n'a communiqué au service aucun élément d'information de nature à permettre l'identification de son fournisseur, ne peut sérieusement faire reproche au vérificateur de n'avoir pas exercé son droit de communication auprès de ce dernier afin de conforter sa reconstitution en ce qui concerne les charges d'achats. En outre, le service, qui a fondé cette reconstitution sur les données de l'entreprise, telles qu'il a pu en avoir connaissance ou les estimer en fonction de ses modalités d'exploitation, précisées par M. E... au cours des entretiens avec le vérificateur, n'était pas tenu de comparer, de sa propre initiative, le taux de marge obtenu avec ceux issus d'activités similaires, ce taux étant d'ailleurs susceptible de faire l'objet d'une discussion dans le cadre de la procédure postérieure à la notification de la proposition de rectification. Enfin, M. E... soutient que la mise en œuvre de cette méthode, qu'il regarde comme excessivement sommaire, a amené le service à reconstituer un niveau notablement insuffisant de charges d'exploitation et qu'elle a abouti à calculer un taux de marge de 86,50% et un coefficient de ventes sur les achats égal de 7,4, qui sont, à ses yeux, irréalistes. Toutefois, dans une situation dans laquelle M. E... n'a fourni au vérificateur aucun élément de nature à lui permettre d'identifier le fournisseur de son entreprise individuelle, ni même de déterminer précisément la provenance et le prix d'achat des marchandises proposées à la vente, le calcul sur lequel M. E... fonde son analyse, en se référant aux tarifs de grossistes en literie et en proposant une comparaison avec les taux de marge moyens pratiqués par les entreprises du secteur de l'équipements de la maison et du commerce ambulant, qu'il estime correspondre aux modalités d'exploitation de son entreprise, ce dont il ne justifie pas par ses seules allégations, ne peut être regardé comme de nature à invalider la méthode de reconstitution utilisée par l'administration. Dans ces conditions et eu égard au peu d'éléments mis à la disposition du vérificateur pour effectuer cette reconstitution, la méthode, décrite au point précédent, mise en œuvre par lui pour ce faire, ne peut être regardée comme excessivement sommaire.

En ce qui concerne le caractère exagéré des recettes reconstituées :

14. Dans le cadre d'une argumentation subsidiaire, M. E..., qui supporte la charge de la preuve, ainsi qu'il a été dit au point 11, soutient que les recettes taxables et les résultats imposables reconstitués par la mise en œuvre de la méthode décrite au point 12 sont excessifs. Il soutient de nouveau, à ce stade, qu'une comparaison avec des données issues d'entreprises exerçant dans les secteurs de l'équipement de la maison et du commerce ambulant, qui, selon lui, pratiquent respectivement un taux de marge moyen de 43% et de 51,03%, justifie que le taux de marge retenu pour son activité soit ramené à de plus justes proportions, tenant compte d'un taux représentatif du coût d'achat des marchandises de 30% au lieu du taux de 15% retenu par l'administration et excluant l'application de toute décote. Toutefois, en admettant que la reconstitution, à laquelle l'administration s'est livrée en utilisant la méthode décrite au point 12, aurait abouti, comme M. E... le soutient, à dégager, pour son activité individuelle, un taux de marge de 86,50%, ce taux s'avère cohérent avec les déclarations faites par l'intéressé, au cours de l'instruction pénale dont il a fait l'objet et dont il produit des extraits au soutien de ses dernières écritures, puisqu'il a précisé, au cours de son audition, que son activité indépendante lui procurait des recettes mensuelles de l'ordre de 20 000 à 25 000 euros et que ses charges mensuelles d'achat pouvaient être évaluées à 700 euros, de sorte que l'administration aurait même été fondée à retenir un taux de marge plus élevé. A cet égard, si M. E... suggère que le taux de marge de son entreprise se rapprocherait plutôt des taux moyens de 43% et de 51,03% observés pour les entreprises exerçant dans les secteurs de l'équipement de la maison et du commerce ambulant, il ne démontre pas, alors que la charge de la preuve lui incombe, en quoi ces taux, trouvés dans des articles publiés sur l'internet et destinés, pour l'un, aux acteurs de la franchise, pour l'autre, aux particuliers nourrissant un projet d'entreprise, seraient plus adaptés à ceux retenus par l'administration à partir des données de son exploitation, reconstituées par le service en l'absence de toute justification des charges de l'entreprise et selon des ordres de grandeur cohérents avec ses propres déclarations relative à sa pratique commerciale. Par suite, le moyen doit être écarté.

15. En revanche, ainsi que le soutient M. E..., la pratique consistant à vendre, à plusieurs reprises, une même marchandise, que l'administration lui a imputée pour justifier l'application d'une décote de 10% sur le niveau de ses charges, n'est pas corroborée par les procès-verbaux d'audition qu'il a versés en dernier lieu à l'instruction, ni par les motifs l'arrêt du 30 juin 2021 de la chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Amiens, qu'il a également produit au soutien de son dernier mémoire. Dès lors, cette décote ne peut être regardée comme justifiée et M. E... est fondé à demander, dans cette mesure, la réduction des suppléments d'impôt sur le revenu en litige. Dans ces conditions et alors que M. E... ne produit pas plus de justificatif devant la cour, il ne peut être regardé que dans cette seule mesure comme rapportant la preuve, qui lui incombe, du caractère exagéré des suppléments d'impôt sur le revenu et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge en conséquence de cette reconstitution.

Sur la régularité de l'avis de mise en recouvrement et de l'homologation du rôle :

16. D'une part, il résulte des éléments produits par le ministre à l'appui de son dernier mémoire que l'avis de mise en recouvrement émis le 29 décembre 2017 pour obtenir le paiement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige a été signé par M. B... A..., contrôleur des finances publiques en poste au service des impôts des entreprises d'Amiens Nord-Est, qui a agi dans le cadre d'une délégation de signature qui, comme l'autorisent les dispositions de l'article L. 257 A du livre des procédures fiscales, lui avait été donnée, par un arrêté du 3 août 2017, publié le 13 septembre suivant au n°59 du recueil des actes administratifs de la préfecture de la Somme, du comptable public responsable de ce service. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet avis de mise en recouvrement manque en fait.

17. D'autre part, aux termes de l'article 1658 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " Les impôts directs et les taxes assimilées sont recouvrés en vertu soit de rôles rendus exécutoires par arrêté du directeur général des finances publiques ou du préfet, soit d'avis de mise en recouvrement. / Pour l'application de la procédure de recouvrement par voie de rôle prévue au premier alinéa, le représentant de l'Etat dans le département peut déléguer ses pouvoirs aux agents de catégorie A placés sous l'autorité des directeurs départementaux des finances publiques ou des responsables de services à compétence nationale, détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d'Etat. La publicité de ces délégations est assurée par la publication des arrêtés de délégation au recueil des actes administratifs de la préfecture. ". Pour l'application de ces dispositions, l'article 376-0 bis de l'annexe II à ce code précise que le grade mentionné au second alinéa de l'article 1658 du code général des impôts est celui d'administrateur des finances publiques adjoint.

18. Il résulte des éléments versés à l'instruction en appel par le ministre que les rôles émis les 12 mars 2018 et 17 avril 2018 pour la mise en recouvrement, les 31 mars 2018 et 30 avril 2018, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu en litige, auxquels M. E... a été assujetti au titre des années 2011 à 2015, et sur le fondement desquels ont été émis les avis d'imposition supplémentaires adressés à M. E..., ont été rendus exécutoires par M. D... F..., administrateur des finances publiques adjoint. M. F... bénéficiait, comme tous les collaborateurs du directeur régional des finances publiques du Nord-Pas-de-Calais et du département du Nord ayant au moins le grade d'administrateur des finances publiques adjoint requis par les dispositions énoncées au point précédent, d'une délégation de pouvoir qui lui avait été consentie par un arrêté du 14 février 2017 du préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord, et qui a fait l'objet, conformément à l'exigence posée par le dernier alinéa de l'article 1658 du code général des impôts, d'une publication, le 16 février 2017, au n°48 du recueil des actes administratifs de la préfecture du Nord. Il suit de là que, compte-tenu des preuves apportées par le ministre, le moyen tiré par M. E... de ce que les rôles émis pour assurer le recouvrement des suppléments d'impôt mis à sa charge au titre des années 2011 à 2015 n'ont pas été régulièrement rendus exécutoires doit être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2015 et, d'autre part, que M. E... est, en revanche, fondé, dans la seule mesure de ce qui a été dit au point 15, à demander à la cour une réduction des suppléments d'impôt sur le revenu en litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Les bases d'impôt sur le revenu assignées à M. E... au titre des années 2011 à 2015 sont réduites en conséquence de la suppression de la décote de 10% appliquée sur les charges de son entreprise individuelle de vente ambulante de literie.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. E... a été assujetti au titre des années 2011 à 2015 sont réduites en conséquence de la réduction de base prononcée à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le jugement nos 1809207, 1811986 du 11 juin 2021 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 1er juin 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller ;

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de la formation de jugement,

Signé : M. G...

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

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No21DA01903

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01903
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : GUEY BALGAIRIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-06-22;21da01903 ?
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