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19/09/2023 | FRANCE | N°23DA00863

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 19 septembre 2023, 23DA00863


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert auprès des autorités belges pour le traitement de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence pour une durée

de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2301298 du 13 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregist

rée le 12 mai 2023, M. A... B..., représenté par Me Dewaele, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert auprès des autorités belges pour le traitement de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence pour une durée

de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2301298 du 13 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 mai 2023, M. A... B..., représenté par Me Dewaele, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 13 mars 2023 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 9 février 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, de lui délivrer une attestation à cette fin, et de lui délivrer le dossier permettant de déposer une demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en tant qu'il se prononce sur les moyens tirés du défaut de motivation des décisions contestées et de ce que la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile, et en tant qu'il omet de mentionner l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ainsi que plusieurs éléments se rapportant à sa situation personnelle ;

- le jugement est encore irrégulier dès lors qu'il omet de répondre au moyen tiré de ce que la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile en application de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 ;

- la décision ordonnant son transfert est insuffisamment motivée en droit et en fait ;

- cette décision a été rendue en méconnaissance de son droit à l'information prévu par l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;

- elle est encore irrégulière dès lors que l'entretien a été conduit par un agent non qualifié en vertu du droit national et sans respect de la confidentialité, en méconnaissance de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;

- la décision de transfert méconnaît l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 53-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et du dernier alinéa de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a ordonné son transfert sans procéder à un examen sérieux de sa situation ;

- la décision prononçant son assignation à résidence est illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité dont la décision de transfert est elle-même entachée.

La requête a été communiquée au préfet du Nord qui n'a pas présenté d'observations en défense.

Les parties ont été informées, conformément à l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête en tant qu'elles sont dirigées contre la décision de transfert de M. B... aux autorités belges dès lors que le délai de six mois prévu pour son transfert est expiré et que la France est devenue responsable de l'examen de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 7 juillet 2023, l'instruction a été close à la date du 21 août 2023, à 12 heures.

Par une décision du 18 avril 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant soudanais né le 15 octobre 2004, a sollicité la protection internationale de la France le 14 décembre 2022 auprès des services de la préfecture du Nord. La consultation de la base de données du système Eurodac a montré que les empreintes digitales de M. B... ont été relevées à plusieurs reprises, notamment le 7 août 2018 en Belgique, pays à destination duquel il avait fait l'objet d'un premier transfert le 18 février 2020. Après avoir obtenu l'accord des autorités belges le 23 janvier 2023, le préfet du Nord a, par un arrêté du 9 février 2023, ordonné le transfert de M. B... en Belgique et assigné l'intéressé à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. B... relève appel du jugement du 13 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 9 février 2023.

Sur les conclusions visant la décision de transfert auprès des autorités belges :

2. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur (...) vers l'Etat membre responsable (...) dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 (...) ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. (...) ". Aux termes de l'article L. 572-6 du même code : " Lorsque la décision de transfert est notifiée avec une décision d'assignation à résidence (...), le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai

de quarante-huit heures suivant la notification de la décision (...) ". Aux termes de

l'article L. 572-2 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant l'expiration d'un délai de quinze jours. (...) / Lorsque le tribunal administratif a été saisi d'un recours contre la décision de transfert, celle-ci ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant qu'il ait été statué sur ce recours ".

4. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées du règlement (UE) du 26 juin 2013 que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre une décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé au paragraphe 2 de l'article 29 de ce règlement, qui court à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat membre requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, a été notifié à l'administration, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement (UE) du 26 juin 2013, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. La demande de M. B... devant le tribunal administratif de Lille a interrompu le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par la Belgique, le 23 janvier 2023. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification, le 16 mars 2023, du jugement de ce tribunal au préfet du Nord et n'a pas été interrompu par l'appel de M. B... devant la présente cour. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce nouveau délai de six mois aurait été prolongé en raison de l'emprisonnement ou de la fuite du requérant, dans les conditions prévues au paragraphe 2 de l'article 29 du règlement (UE) précité, ni que l'intéressé aurait été effectivement transféré en Belgique le 16 septembre 2023 au plus tard, date à laquelle expirait le délai de six mois. Ainsi, en application des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 29, la France est devenue responsable, le 16 septembre 2023, du traitement de la demande de protection internationale de M. B..., de telle sorte que la décision contestée de transfert aux autorités belges est devenue caduque.

6. La caducité de la décision de transfert fait définitivement obstacle à son exécution. Dès lors, les conclusions présentées par M. B... tendant à l'annulation du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 13 mars 2023 rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Nord du 9 février 2023 sont devenues sans objet en tant que cet arrêté ordonne le transfert vers la Belgique. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer, dans cette mesure.

Sur les conclusions visant la décision d'assignation à résidence :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

7. En premier lieu, le jugement attaqué, qui n'avait pas à reprendre l'ensemble des éléments de faits se rapportant à la situation de M. B..., répond de façon suffisante au moyen tiré d'une prétendue insuffisance de motivation de la décision prononçant son assignation à résidence.

8. En second lieu, le requérant soutient également que le premier juge a omis de répondre au moyen tiré de ce que la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile au regard de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013, entachant le jugement attaqué d'un défaut de motivation sur ce point. Toutefois, un tel moyen d'irrégularité, qui se rapporte à la contestation de la décision de transfert, est insusceptible d'entraîner l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions d'annulation de M. B... dirigées contre la décision d'assignation à résidence. Ce moyen doit donc être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le bien fondé du jugement attaqué :

9. Pour demander l'annulation de la décision l'assignant à résidence, M. B... excipe de l'illégalité de la décision prononçant son transfert auprès des autorités belges.

10. En premier lieu, la décision prononçant le transfert de M. B... énonce les dispositions applicables du règlement (UE) précité du 26 juin 2013 et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est suffisamment motivée en droit. Se référant aux articles 3, 18 et 23 du règlement (UE) du 26 juin 2013, cette décision rappelle que, si le requérant a déposé sa première demande d'asile en France le 20 décembre 2017, il a été identifié à une date antérieure en Italie, ce qui a conduit les autorités françaises à engager une procédure de transfert à destination de ce pays puis, après que l'intéressé a déposé une seconde demande d'asile en Belgique le 7 août 2018, à rejeter la demande présentée par les autorités belges le 29 août 2018 en vue d'une reprise en charge. La décision contestée mentionne ainsi de façon suffisamment explicite les raisons pour lesquelles le préfet a estimé que la France ne peut pas être regardée comme l'Etat responsable de la demande d'asile de M. B.... Dès lors, la décision de transfert, qui n'avait pas à reprendre l'ensemble des éléments se rapportant à la situation du requérant, est également motivée de façon suffisante en fait.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite (...) dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel (...) et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier que les brochures A et B respectivement intitulées " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", ont été remises à M. B... lors de l'entretien du 11 janvier 2023, dans une version en arabe, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. Le préfet justifie à l'instance que ces brochures ont également fait l'objet, au cours de cet entretien, d'une traduction par un interprète assermenté en langue arabe. M. B..., qui se borne à faire état de la durée insuffisante de l'entretien, n'apporte aucun élément précis laissant supposer qu'il n'aurait pas été en mesure de comprendre le sens et la portée des informations qui lui ont été délivrées. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 auraient été méconnues.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".

14. Il n'est pas contesté que l'entretien, qui s'est tenu le 11 janvier 2023, a été mené par un agent du service de la préfecture chargé de recevoir les demandeurs d'asile. De par ses fonctions, cet agent doit être regardé comme " une personne qualifiée en vertu du droit national ", au sens de l'article 5 précité du règlement (UE) du 26 juin 2013, pour mener l'entretien prévu à cet article. L'absence de mention, dans le compte-rendu de l'entretien individuel, de l'identité et de la qualité de l'agent qui a mené l'entretien n'a pas privé l'intéressé d'une garantie. Par ailleurs, M. B... n'apporte aucun élément circonstancié de nature à faire douter du caractère confidentiel de l'entretien. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) du 26 juin 2013 auraient été méconnues.

15. En quatrième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ". Aux termes de l'article 7 du même règlement : " 1. Les critères de détermination de l'Etat membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. / 2. La détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 de ce règlement : " Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale ".

16. M. B... soutient que la France est l'Etat responsable de sa demande d'asile au motif qu'il y a déposé sa première demande le 20 décembre 2017. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'au moment où il a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois, c'est-à-dire le 20 décembre 2017, il avait été identifié à une date antérieure en Italie, conduisant les autorités françaises à prendre à son encontre une décision de transfert auprès de leurs homologues italiennes. Saisie par les autorités belges d'une demande de reprise en charge, les autorités françaises ont d'ailleurs opposé un refus le 29 août 2018 au motif que l'Italie était toujours responsable de la demande d'asile du requérant. Par ailleurs, saisies à leur tour par la France, les autorités belges ont accepté, au cours de l'année 2020 puis le 23 janvier 2023, de reprendre en charge M. B..., se reconnaissant ainsi responsables pour le traitement de sa demande d'asile. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la France serait l'Etat responsable de cette demande.

17. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La mise en œuvre par les autorités françaises des dispositions précitées de l'article 17, dont le principe est rappelé au dernier alinéa de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, selon lequel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". La faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

18. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des termes de la décision contestée, qui mentionne que l'intéressé n'établit pas encourir un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande, que le préfet du Nord n'aurait pas examiné la situation personnelle de M. B... au regard du respect du droit d'asile. Il n'est pas plus établi que la Belgique, qui est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne respecterait pas le droit d'asile.

19. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré pour la dernière fois sur le territoire français le 18 février 2020, après un premier transfert vers la Belgique, qu'il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance par une ordonnance de placement provisoire du 22 septembre 2020, dont les mesures ont été confirmées par un jugement du tribunal judiciaire de Lille du 22 décembre 2020, et qu'il suit une scolarité au lycée professionnel Alain Savary depuis septembre 2021 en classe de première puis de terminale dans la filière " maintenance des véhicules ". Si M. B..., qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance avant d'avoir atteint ses seize ans, soutient être éligible de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour en application de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette délivrance est subordonnée au caractère réel et sérieux du suivi de la formation, à la nature des liens avec la famille restée dans le pays d'origine et à l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion dans la société française. Sur ce point, le requérant ne produit à l'instance que le bulletin de scolarité du premier trimestre de l'année 2022-2023, mentionnant des résultats satisfaisants, pour justifier de la réalité et du sérieux de sa formation, et un formulaire de demande d'accompagnement pour l'entrée dans la vie adulte, daté du 14 octobre 2022, indiquant qu'il apprécie sa formation en maintenance automobile, qu'il est assez respectueux des adultes et des autres jeunes et qu'il tient compte des observations des éducateurs sur son comportement. S'il fait également état de la présence d'un de ses frères sur le territoire français, il ressort de sa demande de titre de séjour que ses parents et son autre frère résident en dehors de ce territoire, dont son père qui vit au Soudan, et avec lequel il n'est ni démontré, ni soutenu qu'il aurait cessé tout contact. Si le requérant indique très bien parler français, il ressort des termes de la décision attaquée que la délivrance des informations requises lors de l'entretien précité du 11 janvier 2023 a nécessité l'assistance d'un interprète en langue arabe. Dans ces conditions, il n'est pas établi que M. B... remplirait les conditions prévues par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et pourrait ainsi se prévaloir d'un titre de séjour de plein droit.

20. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Nord aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles 53-1 de la Constitution, 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 et L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou aurait omis de procéder à un examen sérieux de sa situation.

21. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

22. M. B..., qui est entré sur le sol français, pour la dernière fois, en février 2020, après une première remise aux autorités belges, est célibataire et sans enfant. S'il soutient qu'un de ses frères se trouve sur le territoire national où il a demandé l'asile en novembre 2022, il n'est pas établi que la France serait l'Etat responsable de cette demande. Eu égard en outre à ce qui a été dit au point 19, il n'est donc pas démontré qu'en refusant de reconnaître la compétence de la France pour examiner sa demande d'asile et en décidant son transfert vers la Belgique, responsable de cet examen, le préfet du Nord aurait porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

23. Il suit de tout ce qui précède qu'il n'est pas établi que la décision procédant au transfert de M. B... serait entachée d'une illégalité. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision l'assignant à résidence serait illégale, par voie d'exception, en raison d'une prétendue illégalité de la décision de transfert. Le requérant n'est donc pas fondé non plus à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 13 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 février 2023 en tant qu'il l'assigne à résidence.

Sur les conclusions présentées à fin d'injonction :

24. Le présent arrêt, qui prononce un non-lieu à statuer sur une partie des conclusions d'annulation et en rejette le surplus n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

25. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Dewaele, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dewaele de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par M. B... tendant à l'annulation du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 13 mars 2023 rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Nord du 9 février 2023 en tant que cet arrêté ordonne son transfert vers la Belgique.

Article 2 : L'Etat versera à Me Dewaele une somme de 1 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dewaele renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Dewaele.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 5 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 septembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : J-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M-P. Viard

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

N. Roméro

2

N° 23DA00863


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00863
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : DEWAELE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-09-19;23da00863 ?
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