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14/11/2023 | FRANCE | N°23DA00170

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 14 novembre 2023, 23DA00170


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 11 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2202735 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... une

carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 11 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2202735 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) et de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :

- il n'a pas méconnu les dispositions de l'article 47 du code civil et de l'article L. 453-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'analyse des services de la police aux frontières suffit à faire perdre le caractère authentique des documents justifiant de l'identité de M. A..., auquel il appartenait d'apporter des éléments suffisamment probants pour contredire cette analyse ; M. A... n'a apporté aucune autre preuve que les documents contestés ;

- il n'a pas entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il se réfère par ailleurs à son mémoire en défense de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Blandine Quèvremont, demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 800 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser au conseil de M. A....

Il soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable, le préfet ne développant pas de moyens d'appel et se bornant à reprendre ses arguments de première instance ;

- subsidiairement : quant à la valeur probante des documents d'état civil, le juge forme sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier ;

- il s'en rapporte également à ses écritures de première instance.

M. A... a été admis au bénéfice du maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., né le 14 février 2002 en République de Guinée, pays dont il est ressortissant, est entré en France en octobre 2018 et a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance. Par l'arrêté du 11 avril 2022 en litige, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à sa demande de délivrance d'une carte de séjour au titre de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays de son renvoi. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. A... :

2. Aux termes des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables à l'introduction de l'instance d'appel en vertu des dispositions de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement l'exposé des faits et moyens figurants dans sa demande de première instance, mais en diffère par une discussion critique des deux moyens retenus par les premiers juges. Sa requête, qui satisfait aux exigences de l'article R. 411-1 précité, est ainsi recevable.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil ; / 2° Les documents justifiant de sa nationalité (...) / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. / (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (...) ".

5. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

6. Les dispositions de l'article 47 du code civil posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration, si elle entend renverser cette présomption, d'apporter la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non-conforme à la réalité des actes en cause. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre état afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des rapports des 16 août, 16 septembre et 17 septembre 2021 que les services de la cellule de la fraude documentaire de la direction centrale de la police aux frontières ont émis des avis défavorables concernant l'authenticité, respectivement, du jugement supplétif du 10 janvier 2020 tenant lieu d'acte de naissance, transcrit le 20 janvier 2020 dans le registre de l'état-civil de Boké (Guinée), de la carte nationale d'identité guinéenne datée du 25 février 2020 et de l'extrait du registre d'état-civil du 20 janvier 2020. La carte nationale d'identité guinéenne datée du 25 février 2020 comporte effectivement de nombreux défauts, tels qu'un fond d'impression non conforme, l'absence d'embossage du monogramme RG de la République de Guinée, et l'absence des marques de sécurité fluorescentes, et ne peut donc être regardée comme authentique. Cependant, l'absence partielle de lisibilité du timbre sec, la double empreinte du tampon du chef du greffe, et un point sur une lettre de ce tampon ne sont en l'espèce pas suffisants pour faire regarder le jugement supplétif comme falsifié. De même, l'absence partielle de lisibilité du timbre sec et le défaut d'alignement allégué des mentions pré-imprimées de l'extrait d'acte d'état-civil, qui n'est pas manifeste, ne sont en l'espèce pas suffisants pour faire regarder ce document comme falsifié. En outre, M. A... a produit en première instance, en sus de ces documents, deux attestations d'authentification émanant l'une de la commune de Boké, qui confirme le 9 mai 2022 la transcription le 20 janvier 2020 du jugement supplétif du 10 janvier 2020, et l'autre du commissariat central de police de Boké, qui confirme le 6 mai 2022 que l'intéressé est connu des bases d'identification de police. Il produit en appel la copie d'un passeport guinéen délivré le 24 juillet 2023. Dans ces conditions, en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige, M. A... doit être regardé comme justifiant de son identité et de sa date de naissance le 14 février 2002, et donc de son âge. Par suite, comme l'avaient décidé à bon droit les premiers juges, M. A... était fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime a méconnu les dispositions de l'article 47 du code civil et de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en retenant, pour refuser de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement, la circonstance qu'il ne pourrait pas être regardé comme ayant été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.

8. En second lieu, M. A... justifie par la production d'un contrat d'apprentissage conclu en décembre 2019 avec la société Fluiconnecto qu'il suivait depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Il justifie par la production de ses bulletins de paie, de certificats de scolarité, de bulletins de notes, d'une attestation de fin de formation du 26 juin 2020, d'un titre professionnel d'agent magasinier du 9 juillet 2020 et d'une promesse d'embauche de la société Fluiconnecto du 12 août 2020 à la fois du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, et par plusieurs attestations de mai 2020 de l'avis favorable des membres de la structure d'accueil quant à son intégration professionnelle et sociale. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant dispose d'attaches particulières avec des membres de sa famille restés en Guinée. M. A... était donc, dans ces conditions, fondé à soutenir qu'en ayant refusé de régulariser sa situation en application des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comme l'avaient décidé à bon droit les premiers juges, l'autorité administrative avait entaché son appréciation de sa situation d'une erreur manifeste.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 11 avril 2022, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'État le paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

10. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme de 1 000 euros au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Quèvremont, avocate de M. A... admis à l'aide juridictionnelle totale, renonce à la part contributive de l'État.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.

Article 2 : L'État versera à Me Blandine Quèvremont, avocate de M. A..., une somme de 1 000 euros au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime et à Me Blandine Quèvremont.

Délibéré après l'audience du 31 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. Baronnet Le président de chambre,

Signé : T. Sorin La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°23DA00170


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00170
Date de la décision : 14/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : QUEVREMONT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-11-14;23da00170 ?
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