La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/2024 | FRANCE | N°23DA00621

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 16 janvier 2024, 23DA00621


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler les décisions du 25 janvier 2022 par lesquelles le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de

sa situation, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir et sous astre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler les décisions du 25 janvier 2022 par lesquelles le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation, dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Enfin, elle a demandé au tribunal de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2201435 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 avril et 2 octobre 2023, Mme D..., représentée par Me Rivière, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer le titre de séjour sollicité, à défaut de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler, sous astreinte de 155 euros par jour de retard, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, contre renonciation de celui-ci au bénéfice de l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la décision lui refusant un titre de séjour est entachée d'erreur de fait, d'insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une violation de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qui concerne le caractère frauduleux de son état civil ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'opportunité de la mesure de régularisation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision refusant un titre de séjour ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'un refus de séjour sur sa situation personnelle ;

- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision accordant un délai de départ volontaire de trente jours doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2023, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.

Il soutient, en renvoyant à ses écritures de première instance, que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 octobre 2023 à 12 heures.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... D..., ressortissante congolaise, qui indique être née le 3 décembre 2001 et déclare être entrée irrégulièrement en France le 29 mars 2017, a été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Par des demandes déposées le 15 novembre 2019 et le 18 mars 2021, elle a sollicité son admission au séjour en qualité de mineure placée auprès de l'aide sociale à l'enfance ou une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en faisant valoir son état de santé. Par un arrêté du 25 janvier 2022, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Mme D... relève appel du jugement du 30 décembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2022.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la décision refusant un titre de séjour :

2. En premier lieu, la décision vise les textes dont elle fait application et mentionne les circonstances et les motifs faisant obstacle à ce qu'un titre de séjour soit délivré à Mme D.... L'arrêté mentionne, notamment, le caractère frauduleux de l'acte de naissance dont elle s'est prévalue à l'appui de sa demande de titre de séjour pour justifier de son état civil, résultant d'une analyse technique effectuée par un expert de la direction interdépartementale de la police aux frontières. A cet égard, si le technicien a relevé, dans son rapport, que le document d'état civil examiné présentait une conformité d'ensemble, il a cependant relevé qu'il comportait un tampon humide contrefait. Dès lors, en mentionnant cette seule non-conformité pour écarter le caractère probant des documents d'état civil présentés par Mme D..., le préfet a suffisamment motivé sa décision. De même, le préfet n'avait pas à faire état, dans sa décision, de l'ensemble des éléments relatifs à sa situation professionnelle, médicale et familiale. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du 25 janvier 2022.

3. En deuxième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, le préfet du Nord, n'a entaché sa décision ni d'erreur de fait, ni d'un défaut d'examen sérieux de la situation personnelle de Mme D....

4. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

5. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

6. D'autre part, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

7. Lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation.

8. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

9. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient. En particulier, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative d'y répondre, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.

10. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des termes de l'arrêté en litige, que, pour refuser l'admission exceptionnelle au séjour de Mme D..., le préfet du Nord a estimé que les documents présentés par l'intéressée pour établir son état civil étaient dépourvus de valeur probante.

11. A l'appui de sa demande de titre de séjour, Mme D... a présenté un acte de naissance n° 473 établi en mars 2019 ainsi qu'un jugement supplétif du 28 janvier 2019. Ces documents ont été soumis par le préfet de la Seine-Maritime, à l'examen technique de la direction interdépartementale de la police aux frontières (DIDPAF) du Havre, qui a estimé qu'ils étaient contrefaits. Dans son rapport d'analyse documentaire, la cellule Fraude documentaire de la DIDPAF du Havre, s'agissant de l'acte de naissance, après avoir préalablement relevé qu'il comportait des mentions pré-imprimées en offset, un timbre fiscal et une marque optiquement variable authentiques et différents tampons humides non réalisés par procédé informatique, a ensuite relevé l'utilisation, au recto, correspondant à la légalisation de l'acte, d'un timbre humide présentant deux fautes d'orthographe et comportant des points de couleur, réalisé en jet d'encre alors qu'un vrai tampon est monochrome. L'analyse documentaire a déduit de ce dernier élément, une falsification de l'acte de naissance par apposition d'un tampon humide contrefait. S'agissant du jugement supplétif, l'expertise documentaire a relevé qu'il était revêtu d'un timbre fiscal authentique et de divers tampons humides, mais que le tampon humide du Tribunal pour enfants de C... était de très mauvaise qualité et qu'au même titre que l'acte de naissance, il présentait au recto le même tampon humide contrefait de légalisation de l'ambassade de la République démocratique du Congo à Paris.

12. Pour contester l'avis défavorable rendu sur l'authenticité des documents d'état civil qu'elle a présentés, si Mme D... fait valoir qu'aucun des autres points sur lesquels la police aux frontières a fait porter son contrôle n'ont permis de déceler une non-conformité, elle n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause le constat de la falsification des tampons légalisant l'acte de naissance établi en mars 2019 et le jugement supplétif du 28 janvier 2019. En outre, il ressort des pièces du dossier qu'en 2018, les documents d'état civil datés de l'année 2017, que la requérante avait initialement produits et au vu desquels le juge des enfants avait conclu à sa minorité, ont été établis dans des circonstances permettant d'en déduire le caractère frauduleux. En effet, il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance a été établi le 14 septembre 2017 par l'officier d'état civil de la commune de N'Djili, agissant en exécution d'un jugement supplétif du tribunal pour enfants de C... du 21 juillet 2017 lui ordonnant de transcrire dans le registre d'état civil communal et d'établir l'acte de naissance en faveur de Mme A... E..., au motif que cette dernière avait omis de déclarer la naissance de sa fille B... D..., née le 3 décembre 2001. Or, comme l'ont relevé les premiers juges, ce jugement n'a pu matériellement être rendu à la demande de la mère de l'appelante comparaissant personnellement dès lors que, selon les propres déclarations de l'appelante, corroborées par des certificats de décès, ses parents sont tous deux décédés le 5 février 2015 dans un accident de la circulation. Eu égard à ces circonstances, le jugement supplétif du 28 janvier 2019 et l'extrait d'acte de naissance établi en mars 2019 au vu de ce jugement, au demeurant légalisés au moyen de tampons contrefaits, sont dépourvus de caractère probant.

13. Enfin, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Le préfet du Nord n'était donc pas tenu de saisir les autorités congolaises, compte tenu des circonstances rappelées au point précédent et de l'analyse effectuée par la police aux frontières, pour remettre en cause le caractère probant des actes produits par Mme D....

14. Dans ces conditions, alors que Mme D... n'apporte aucun élément probant de nature à contredire les constats effectués par le service de la police aux frontières, le préfet du Nord n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en rejetant sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif qu'elle ne justifiait pas de sa date de naissance et donc de son état-civil.

15. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que, si Mme D... a été confiée à l'aide sociale à l'enfance, elle n'établit pas ainsi qu'il a été dit, qu'elle ait été confiée à ce service avant l'âge de dix-huit ans, le caractère probant des documents d'état-civil qu'elle a produits ayant été remis en cause. Par ailleurs, à la date de la décision contestée, elle ne suivait plus aucune formation professionnelle mais travaillait. Dans ces conditions, bien que la structure d'accueil témoigne de la motivation de l'intéressée, le préfet du Nord, qui s'est livré à une appréciation globale de la situation de Mme D... n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 4, en refusant d'admettre l'intéressée au séjour sur ce fondement.

16. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

17. Mme D... soutient que la décision de refus de titre de séjour méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale et fait valoir, à cet effet, qu'elle a été prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance dès son arrivée en France et s'est impliquée dans son parcours de formation. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée, qui est présente en France depuis cinq ans à la date de l'arrêté contesté, est célibataire et sans enfant à charge. Elle ne fait état d'aucune relation familiale en France, n'établit pas l'intensité de ses relations privées ou amicales et ne justifie pas être isolée en république démocratique du Congo où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de seize ans et où réside toujours son frère. En outre, les formations dans le cadre d'un apprentissage en " commercialisation et services en Hôtel Café Restaurant " qu'elle a poursuivies, ne suffisent pas à établir que l'intéressée aurait fixé le centre de ses intérêts privés en France. Dans ces conditions, et en dépit des efforts d'intégration professionnelle de Mme D..., le préfet du Nord, en rejetant sa demande de titre de séjour, n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts poursuivis par cette décision, ni entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

18. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour doit être écarté.

19. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 2, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire doit être écarté.

20. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".

21. Il ressort des pièces du dossier que si Mme D..., qui souffre de lombosciatalgies chroniques, a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire pour raisons de santé, sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un tel titre au motif que l'état de santé de la requérante nécessite des soins dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. A cet égard, le préfet s'est fondé notamment sur l'avis émis le 19 mai 2021 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'intéressée ne remet pas en cause le bien-fondé par la production de pièces médicales qui ne font que confirmer la nécessité de poursuivre les soins. La circonstance qu'elle bénéficie d'une prise en charge médicamenteuse pour le traitement de ses douleurs et de séances régulières de kinésithérapie, accompagnées si nécessaire d'une rééducation, n'est pas non plus de nature à contredire l'appréciation portée sur les conséquences d'un défaut de soins alors, au demeurant, qu'elle n'allègue pas l'impossibilité d'en bénéficier dans son pays d'origine. Par ailleurs, elle n'apporte aucun élément indiquant qu'elle ne pourrait voyager sans risque. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

22. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 17, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celui tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de Mme D... doivent être écartés.

Sur la décision accordant un délai de départ volontaire de trente jours :

23. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision faisant obligation à Mme D... de quitter le territoire français doit être écarté. Le moyen tiré d'un prétendu défaut de motivation de la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours ne peut qu'être écarté dès lors que l'appelante se borne à renvoyer sur ce point à l'insuffisance de motivation du refus de séjour et de la mesure d'éloignement.

24. En second lieu, l'appelante ne justifie d'aucune circonstance particulière justifiant qu'un délai de départ supérieur à trente jours lui soit accordé. Par suite, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Sur la décision fixant le pays de destination :

25. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit plus haut que Mme D..., à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi, n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

26. En second lieu, aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français ". Et aux termes de l'article L. 721-4 de ce code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

27. D'une part, il ressort des énonciations de l'arrêté attaqué que le préfet a estimé que si la requérante " allègue avoir été victime de violences physiques suite à des accusations de sorcellerie, elle n'a pas sollicité l'asile et n'établit pas que sa vie ou sa liberté sont menacées dans son pays d'origine ou qu'elle y est exposée à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ". Par suite, le préfet du Nord a suffisamment motivé sa décision.

28. D'autre part, si Mme D... soutient qu'elle est arrivée en France pour fuir des violences commises sur sa personne, de la part des membres de sa famille l'accusant de sorcellerie à la suite du décès accidentel de ses parents, elle ne produit aucune pièce permettant d'établir la réalité des risques auxquels elle serait exposée en cas de retour dans son pays. En outre, dès lors que, selon l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), un défaut de soins ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, la décision de renvoi n'est pas de nature à porter atteinte à sa santé, dans des conditions telles que sa vie ou son intégrité physique seraient gravement menacées au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le préfet du Nord n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste dans l'appréciation des risques encourus par l'appelante en cas de retour dans son pays d'origine. Dès lors les moyens tirés de la violation de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

29. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Rivère.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 19 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

Le président de la formation de jugement,

Signé : J-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

N. Roméro

N° 23DA00621 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00621
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : RIVIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;23da00621 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award