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03/12/2020 | FRANCE | N°19LY01094

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 03 décembre 2020, 19LY01094


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Compagnie internationale de gestion et de recouvrement a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 18 août 2015 par laquelle le préfet du Rhône lui a enjoint, d'une part, de cesser de solliciter ou de percevoir des frais de recouvrement dans des conditions contraires au deuxième alinéa de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, de solliciter ou de percevoir des frais sans justifier de leur fondement, de solliciter des frais sans en mentionner le

fondement dans les courriers adressés aux débiteurs, de solliciter des do...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Compagnie internationale de gestion et de recouvrement a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 18 août 2015 par laquelle le préfet du Rhône lui a enjoint, d'une part, de cesser de solliciter ou de percevoir des frais de recouvrement dans des conditions contraires au deuxième alinéa de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, de solliciter ou de percevoir des frais sans justifier de leur fondement, de solliciter des frais sans en mentionner le fondement dans les courriers adressés aux débiteurs, de solliciter des dommages et intérêts en présentant ces frais comme obligatoirement dus alors qu'il s'agit d'une proposition amiable et, d'autre part, de citer dans les courriers à destination des débiteurs les textes législatifs et réglementaires dans leur rédaction en vigueur, ainsi que la décision du 16 octobre 2015 du préfet du Rhône rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1510658 du 15 janvier 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 mars 2019, la société Compagnie internationale de gestion et de recouvrement, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1510658 du 15 janvier 2019 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées du préfet du Rhône ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, au regard des arguments avancés, s'agissant du moyen tiré de l'inapplicabilité du code de la consommation aux activités de recouvrement de créances, faute pour ces activités de constituer des pratiques commerciales ;

- le jugement attaqué est irrégulier, faute pour les premiers juges d'avoir soulevé d'office l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée ;

- la décision contestée est entachée du vice d'incompétence ;

- elle n'a pas été mise à même d'envisager la teneur de toutes les injonctions encourues et, partant, de formuler des observations préalables, de sorte que le principe du contradictoire a été méconnu ;

- en fournissant un service pour le compte de tiers, en application de contrats de mandat, elle n'entretient pas de relations commerciales directes avec les consommateurs que sont les débiteurs ; dès lors qu'elle n'exerce pas une activité commerciale, les dispositions de l'article L. 121-1 du code la consommation ne sont pas applicables au cas d'espèce ;

- à supposer que son activité soit qualifiée de pratiques commerciales, elle relèverait des dispositions de l'article L. 122-16 du code de la consommation relatives aux frais de recouvrement et non de celles de l'article L. 121-1 de ce code ;

- la perception de la créance ainsi que des intérêts et dommages intérêts relève du mandat de recouvrement conclu avec le créancier professionnel ; ainsi, en vertu du principe de représentation issu de l'article 1998 du code civil, le grief d'une pratique commerciale trompeuse ne peut, à le supposer établi, qu'être imputé à ses mandants et non à elle-même ;

- il n'est pas justifié d'une pratique, dans le sens où elle n'est pas systématique, tendant à demander le versement de dommages et intérêts au titre de l'article 1153 du code civil ;

- les " frais contentieux " qu'elle sollicite ne correspondent pas, contrairement à ce qu'a estimé l'administration sans le démontrer, à des frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire au sens de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution mais correspondent à des dommages et intérêts dus en vertu du quatrième alinéa de l'article 1153 du code civil ;

- le fait que la convention de mandat la liant avec une société créancière ne comporte pas de demande de dommages et intérêts au titre de l'article 1153 du code civil n'implique pas nécessairement l'absence de préjudice subi ; il n'appartient pas à l'administration de déterminer la réalité du préjudice allégué par le créancier ;

- il ne résulte pas des dispositions du 2° de l'article L. 121-1 du code de la consommation, lesquelles visent uniquement à interdire la présence de certaines mentions revêtant un caractère fallacieux ou trompeur, ni de celles de l'article R. 124-4 du code des procédures civiles d'exécution qu'elle devait indiquer au débiteur, outre le caractère amiable de la somme demandée au titre du quatrième alinéa de l'article 1153 du code civil, le préjudice à l'origine d'une telle demande ni son mode de calcul ; en mentionnant dans le courrier adressé au consommateur l'article 1153 du code civil en tant que fondement des dommages et intérêts sollicités, le consommateur est en mesure de savoir qu'il ne s'agit que d'une possibilité et non d'une obligation.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 août 2019, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Compagnie internationale de gestion et de recouvrement ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 juin 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 19 juin 2020, en application du II de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, modifiée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 ;

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code de la consommation ;

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 juillet 2017 (C-357/16) ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, modifiée.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 18 août 2015, faisant suite à un contrôle sur place effectué le 11 mai 2015 par les services de la direction départementale de la protection des populations du Rhône puis à une lettre de pré-injonction du 19 mai 2015, le préfet de ce département a, sur le fondement du VII de l'article L. 141-1 du code de la consommation, enjoint à la société Compagnie internationale de gestion et de recouvrement (CIGR), qui exerce une activité de recouvrement amiable de créances, de mettre fin, dans un délai de quinze jours, à plusieurs pratiques commerciales jugées trompeuses, premièrement, en cessant de solliciter ou de percevoir, dans des conditions contraires aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, des frais de recouvrement, sans justifier ni mentionner le fondement de ceux-ci dans les courriers adressés aux débiteurs, deuxièmement, en cessant de solliciter des dommages et intérêts présentés comme obligatoirement dus alors qu'il s'agit d'une proposition amiable, et enfin, en citant, dans les courriers adressés aux débiteurs, les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, en particulier celles de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution. La société CIGR a demandé l'annulation de la décision d'injonction du 18 août 2015 ainsi que celle du 16 octobre 2015 rejetant son recours gracieux au tribunal administratif de Lyon qui, par jugement du 15 janvier 2019, a rejeté sa demande. La société CIGR relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que soutient la société requérante, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments qui leur étaient soumis, ont, au point 6 du jugement contesté, répondu par une motivation suffisante au moyen tiré de la méconnaissance par la décision d'injonction en litige des dispositions de l'article L. 121-1 du code de la consommation.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 141-1 dans sa rédaction alors applicable du code de la consommation : " I.- Sont recherchés et constatés, dans les conditions fixées par les articles L. 450-1, L. 450-3 à L. 450-4, L. 450-7 et L. 450-8 du code de commerce, les infractions ou manquements aux dispositions suivantes du présent code : (...) 2° Les sections 1 (...) du chapitre Ier du titre II du livre Ier ; (...) VII.- Les agents habilités à constater les infractions ou les manquements aux dispositions mentionnées aux I à III peuvent, après une procédure contradictoire, enjoindre à tout professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ces dispositions, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite. (...) ". Aux termes de l'article L. 450-1 du code de commerce : " (...) II.- Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions du présent livre. (...) III.- Les agents mentionnés aux I et II peuvent exercer les pouvoirs qu'ils tiennent du présent article et des articles suivants sur l'ensemble du territoire national. ". Aux termes de l'article A. 450-1 de ce code : " Les fonctionnaires de catégorie A et de catégorie B, agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités, en application de l'article L. 450-1, à procéder aux enquêtes dans les conditions prévues au présent livre. ". Il résulte de la combinaison des articles L. 141-1 du code de la consommation et L. 450-1 et A. 450-1 du code de commerce que les fonctionnaires de catégorie A ou de catégorie B appartenant aux corps rattachés au service de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités par le ministre chargé de l'économie à prendre une décision d'injonction pour manquement aux dispositions de l'article L. 121-1 du code de la consommation, figurant dans la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de la consommation.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., inspecteur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, appartient à un corps de fonctionnaires de catégorie A géré par le ministre chargé de l'économie. Ainsi, en vertu des dispositions énoncées au point 3, il était compétent pour procéder à la constatation des manquements relevés et prendre la décision d'injonction du 18 août 2015 en litige. Par ailleurs, l'absence de visa de la décision de nomination de cet agent est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait entaché son jugement d'une irrégularité en omettant de soulever d'office le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 18 août 2015 doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. En premier lieu, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'injonction doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux qui sont énoncés aux points 3 et 4.

6. En deuxième lieu, par un courrier daté du 19 mai 2015, l'inspecteur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en charge du dossier a, d'une part, informé la société CIGR que le contrôle réalisé sur place, le 11 mai 2015, avait permis de mettre en évidence des pratiques commerciales trompeuses constatées dans un rapport d'intervention annexé à ce courrier et l'a, d'autre part, invitée à présenter ses observations sur les mesures qu'il était envisagé de prendre et tendant à lui enjoindre de cesser " de solliciter ou de percevoir des frais de recouvrement dans des conditions contraires au deuxième alinéa de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution " et à l'obliger à citer dans les courriers " à destination des débiteurs des textes législatifs et réglementaires conformes à leur rédaction en vigueur, en particulier l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution ". Le rapport d'intervention annexé à ce courrier précise, en son point 3.1. relatif à la " réclamation de frais de recouvrement indus ", les motifs ayant conduit à la première de ces injonctions envisagées et expose notamment, à cet égard, en se fondant sur une lettre de relance adressée à un débiteur, que les sommes réclamées à titre de dommages et intérêts sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 1153 du code civil ne sauraient être présentées comme obligatoirement dues, que le fondement de la demande de dommages et intérêts n'est pas précisé empêchant le débiteur d'en apprécier le bien-fondé et, enfin, qu'il n'est pas justifié du montant ni de l'existence d'un préjudice du créancier. Ainsi, la société CIGR a été mise à même de prendre connaissance de l'ensemble des pratiques reprochées ayant donné lieu aux injonctions rappelées au point 1, et de faire valoir ses observations sur celles-ci. Dès lors, le moyen tiré du défaut de procédure contradictoire, en ce que l'administration aurait prononcé des injonctions reposant sur des faits pour lesquels elle n'a pas été en mesure de présenter ses observations, ne peut être accueilli.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 2 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur : " Aux fins de la présente directive, on entend par : (...) c) " produit " : tout bien ou service, y compris les biens immobiliers, les droits et les obligations ; d) " pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs " (ci-après également dénommées "pratiques commerciales"): toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs ; (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette directive : " 1. La présente directive s'applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l'article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit ". Dans sa rédaction applicable au litige, l'article L. 120-1 du code de la consommation, qui résulte de la transposition de la directive du 11 mai 2005, dispose : " Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle (...) altère (...) le comportement économique du consommateur (...) à l'égard d'un bien ou d'un service. (...) Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 et L. 121-1-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " I.- Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : (...) 2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : (...) c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service (...) g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur (...). II.- Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 1998 du code civil : " Le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement ".

8. Par un arrêt n° C-357/16 du 20 juillet 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 doit être interprétée en ce sens que relève de son champ d'application matériel la relation juridique entre une société de recouvrement de créances et le débiteur défaillant et que relèvent de la notion de " produit ", au sens de l'article 2, sous c), de cette directive les pratiques auxquelles une telle société se livre en vue de procéder au recouvrement de sa créance.

9. D'une part, les dispositions du code de la consommation citées au point 7 ne sauraient être interprétées, sans méconnaître les objectifs de la directive, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, dont elles assurent la transposition, comme excluant de leur champ d'application les activités de recouvrement de créances d'un professionnel par un tiers, alors même qu'il n'en résulte pas la création d'une relation commerciale directe entre le débiteur et le prestataire de recouvrement et que ce dernier est lié au créancier par un contrat de mandat au sens de l'article 1998 du code civil. La société CIGR ne saurait à cet égard utilement se prévaloir, en tout état de cause, de l'article préliminaire du code de la consommation définissant le " consommateur " et le " professionnel ", qui est issu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, postérieure à la décision en litige.

10. D'autre part, si la société CIGR fait valoir que le fait de solliciter ou de percevoir des frais de recouvrement indus constitue une pratique commerciale illicite, réprimée par l'article L. 122-16 du code de la consommation, dans sa version alors en vigueur, aux termes duquel " Le fait pour un professionnel de solliciter ou de percevoir d'un consommateur des frais de recouvrement dans des conditions contraires au deuxième alinéa de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution est puni par des peines prévues à l'article L. 122-12 du présent code ", cette circonstance ne fait pas obstacle, par elle-même, à ce que la pratique qui lui est reprochée, visant à mettre à la charge du débiteur des frais qualifiés de " dommages et intérêts ", soit susceptible de constituer une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du code de la consommation.

11. Par suite, contrairement à ce que soutient la société CIGR, l'activité de recouvrement de créances en vue d'obtenir le paiement d'un produit constitue une pratique commerciale susceptible d'être qualifiée de trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du code de la consommation et ainsi d'entrer dans le champ d'application de ces dispositions.

12. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'audition du gérant de la société CIGR réalisée lors du contrôle sur place, que cette société réclame au débiteur, lorsque le créancier l'y autorise, des frais, sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 1153 du code civil, à hauteur de 52 euros, et que ces frais, qui lui restent acquis, représentent, à eux seuls, un chiffre d'affaires annuel compris entre 15 000 euros et 20 000 euros. Ainsi, la perception de tels frais, qui sont sollicités, au vu des dires de la société requérante, entre 288 et 384 fois par an, revêt un caractère, sinon systématique, à tout le moins habituel et, dès lors, constitue une pratique commerciale.

13. En cinquième lieu, aux termes du quatrième alinéa de l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige : " Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir de dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution : " A l'exception des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement qui peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, les frais de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés. Les contestations sont tranchées par le juge. Les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire restent à la charge du créancier, sauf s'ils concernent un acte dont l'accomplissement est prescrit par la loi au créancier. Toute stipulation contraire est réputée non écrite, sauf disposition législative contraire. (...) ". L'article R. 124-4 de ce code dispose que : " La personne chargée du recouvrement amiable adresse au débiteur une lettre qui contient les mentions suivantes : (...) 3° Le fondement et le montant de la somme due en principal, intérêts et autres accessoires, en distinguant les différents éléments de la dette, à l'exclusion des frais qui restent à la charge du créancier en application du troisième alinéa de l'article L. 111-8 ".

14. Il ressort des pièces du dossier que les frais fixes, à hauteur de 52 euros, que la société sollicite des débiteurs sont présentés, dans les courriers adressés à ceux-ci, comme étant des " dommages et intérêts " dus en application du quatrième alinéa de l'article 1153 du code civil. Toutefois, ni à l'occasion du contrôle opéré par les services de la direction départementale de la protection des populations du Rhône, ni dans ses écritures, la société CIGR n'a établi, en se bornant à le soutenir, la réalité d'un préjudice spécifique causé au créancier, indépendamment du retard de paiement, à raison de la mauvaise foi du débiteur, laquelle n'est d'ailleurs pas même alléguée en l'espèce, ainsi que l'exigent les dispositions de l'article 1153 du code civil. En outre, les frais prétendument exigés sur ce fondement ne font pas l'objet d'un reversement au créancier, contrairement à que ce prévoient ces mêmes dispositions, et sont présentés à celui-ci, en particulier dans le contrat de mandat afférent au dossier qui a conduit au contrôle opéré par l'administration, comme constituant " des frais contentieux qui lui resteront acquis en cas de recouvrement ". Au vu de ces éléments, c'est à juste titre que l'administration a estimé que de tels frais, présentés comme des " frais contentieux ", ne constituaient pas des dommages et intérêts au sens du quatrième alinéa de l'article 1153 du code civil mais, en réalité, des frais de recouvrement entrepris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il appartenait à l'autorité administrative, dans le cadre de son contrôle, de procéder à cette qualification afin de caractériser la pratique commerciale en cause.

15. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier, et en particulier du courrier adressé à un débiteur qui a conduit à la saisine de l'administration, que les frais en cause sont accompagnés de la seule mention " dommages et intérêts article 1153 alinéa 4 du code civil " et inclus dans la somme totale due par le débiteur sous huitaine avant l'engagement d'une procédure judiciaire. Dans ces conditions, et alors au surplus que la société requérante ne justifie pas être en droit de réclamer des frais sur ce fondement ainsi qu'il a été dit au point précédent, le paiement de cette somme est présenté comme étant dû par le débiteur et non pas subordonné à son accord, et l'existence d'un préjudice causé au créancier n'est pas indiquée. Le consommateur n'est ainsi informé ni du caractère facultatif du paiement réclamé à ce titre ni du fait qu'il correspondait en réalité à un complément de rémunération que la société perçoit pour son propre compte. Par suite, une telle pratique commerciale, de nature à induire en erreur le consommateur sur ses droits ainsi que sur le prix et son mode de calcul, est, contrairement à ce que soutient la société requérante, réputée trompeuse au sens des dispositions du 2° du I de l'article L. 121-1 du code de la consommation.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société CIGR n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Compagnie internationale de gestion et de recouvrement est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Compagnie internationale de gestion et de recouvrement, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et des renseignements commerciaux.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2020.

2

N° 19LY01094


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY01094
Date de la décision : 03/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-03 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Réglementation de la protection et de l'information des consommateurs.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : LetP Association d'avocats

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-12-03;19ly01094 ?
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