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24/02/2023 | FRANCE | N°21LY02614

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 24 février 2023, 21LY02614


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de ses enfants F... ... et H... ..., ainsi que M. D... ..., Mme L... ... épouse ... et M. E... ..., ce dernier indiquant agir en son nom propre et pour la SARL ... et la SCI ..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon (HCL) à leur verser les sommes respectives de 100 000 euros pour Mme C... B..., 1 031 160 euros pour H... et F... ..., 50 000 euros pour M. D... ..., 40 000 euros po

ur Mme L... ... et 100 000 euros pour M. E... ..., en réparation du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de ses enfants F... ... et H... ..., ainsi que M. D... ..., Mme L... ... épouse ... et M. E... ..., ce dernier indiquant agir en son nom propre et pour la SARL ... et la SCI ..., ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon (HCL) à leur verser les sommes respectives de 100 000 euros pour Mme C... B..., 1 031 160 euros pour H... et F... ..., 50 000 euros pour M. D... ..., 40 000 euros pour Mme L... ... et 100 000 euros pour M. E... ..., en réparation du préjudice résultant du décès de M. K... ....

Par un jugement avant-dire droit n° 1808160 du 29 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a, d'une part, statué sur le principe de la responsabilité et, d'autre part, décidé qu'il serait préalablement procédé à une expertise sur l'évaluation des pertes de chance.

Par un arrêt n° 20LY00076 du 5 août 2021, la Cour a rejeté l'appel formé par les consorts B... et ... contre ce jugement avant-dire droit.

Par un jugement n° 1808160 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Lyon a condamné les HCL à verser, respectivement :

* une somme de 15 000 euros à Mme C... B...,

* une somme de 15 000 euros à M. H... ...,

* une somme de 15 000 euros à M. F... ...,

* une somme de 4 000 euros à M. E... ...,

* une somme de 4 000 euros à Mme L... A... épouse ....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 juillet 2021, ensemble des mémoires complémentaires enregistrés les 21 juin 2022 et 26 juillet 2022, Mme C... B..., agissant en son nom propre et au nom de ses deux enfants F... I... et H... I..., nés respectivement le 26 novembre 2005 et le 14 mai 2008, ainsi que M. D... ..., Mme L... A... épouse ... et M. E... ..., ce dernier indiquant agir en son nom propre et pour la SARL ... et la SCI ..., tous représentés par Me Cornut, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1808160 du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Lyon en tant que les sommes qui leur ont été allouées sont insuffisantes ;

2°) de condamner les Hospices civils de Lyon à leur verser les sommes de :

* 50 000 euros pour M. D... ... ;

* 100 000 euros pour M. E... ... ;

* 40 000 euros pour Mme L... ... ;

* 60 000 euros pour M. F... ... ;

* 60 000 euros pour M. H... ... ;

* 100 000 euros pour Mme C... B... ;

* outre la somme de 911 160 euros pour MM. F... et H... ... ;

3°) de mettre à la charge des HCL une somme de 3 000 euros à verser à chacun d'eux en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

* une faute a été commise le 10 mai 2015 lorsque M. ... a pu repartir chez lui malgré son état ;

* une autre faute a été commise du fait de l'absence de recours à une trachéotomie ainsi qu'à l'absence d'exérèse en urgence ;

* ils ont chacun subi un préjudice moral ;

* ils ont chacun subi un préjudice économique ;

* la chance perdue doit être évaluée à 100%.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2022, les Hospices civils de Lyon, représentés par le cabinet Le Prado - Gilbert, concluent au rejet de la requête.

Les HCL soutiennent que les moyens invoqués ne sont pas fondés et que le tribunal n'a pas fait une évaluation insuffisante des préjudices.

Par ordonnance du 25 mai 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 juin 2022. Par ordonnance du 23 juin 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 1er août 2022 à 16h30. Par ordonnance du 27 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été reportée au 29 août 2022 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

* le code de la santé publique ;

* le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

* le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

* les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

* les observations de Me Cornut, représentant les requérants,

* et les observations de Me Demailly, représentant les Hospices civils de Lyon.

Considérant ce qui suit :

1. M. K... ..., est décédé alors qu'il était pris en charge en urgence par l'hôpital Edouard Herriot, qui relève des Hospices civils de Lyon (HCL). Sa compagne, leurs deux enfants, ses parents et son frère ont saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande indemnitaire. Par le jugement contesté du 15 juin 2021, le tribunal a condamné les HCL à indemniser la compagne, les deux enfants et les deux parents de M. K... ....

Sur le litige soumis à la Cour :

2. M. K... ..., né le 29 juin 1975, a été atteint d'un kyste très volumineux de la vallécule, qui gênait sa déglutition et a été objectivé par un scanner réalisé le 8 mai 2015. Des examens ultérieurs ont révélé des cellules très atypiques, soupçonnées d'être carcinomateuses. Il s'est présenté aux urgences de l'hôpital Edouard Herriot, qui relève des Hospices civils de Lyon, le soir du 10 mai 2015, pour récidive de l'odynophagie, troubles de la déglutition avec dysphagie et hypersialorrhée, ainsi que pour dysphonie. A 22h57, M. ... a été brutalement victime d'un arrêt cardio-respiratoire de cause anoxique. Des tentatives pour le réanimer ont été engagées, qui ont conduit à la reprise du rythme cardiaque à 23h48. Après avoir été transféré dans le service de réanimation, M. ... a d'abord été déclaré en état de mort encéphalique dans le courant de la journée du 11 mai, avant de décéder le lendemain à 21h20.

3. Par un premier jugement du 29 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a jugé que seule pouvait être retenue une faute de choix thérapeutique, commise le 10 mai 2015 lors de la prise en charge de l'arrêt cardio-respiratoire de cause anoxique, consistant à s'être obstiné à pratiquer une intubation difficile, qui était fortement contre-indiquée compte tenu de l'obstruction de la trachée, au lieu de recourir à une trachéotomie qui était techniquement réalisable. Avant-dire droit, le même jugement a décidé d'une expertise médicale complémentaire afin d'éclairer les questions des perspectives d'évolution favorable de l'état de santé de M. ... ainsi que de ses chances d'échapper à un décès à brève échéance en l'absence de faute. Par un arrêt du 5 août 2021, la Cour a rejeté l'appel interjeté par les consorts B... et ... contre ce jugement avant-dire droit. Ils contestaient en particulier la décision de ne retenir que la faute précitée. La Cour a notamment relevé que seul devait être regardé comme fautif le choix thérapeutique consistant à s'obstiner à vouloir intuber M. ... dans un contexte d'obstruction des voies aériennes supérieures par la lésion kystique compliqué d'un œdème favorisé et aggravé par les tentatives d'intubation, l'intubation étant contre-indiquée dans un tel cas, alors qu'une trachéotomie aurait probablement permis, si elle avait été décidée très rapidement, d'apporter un moyen d'oxygénation plus rapide et plus efficace et de raccourcir le temps d'asphyxie. La Cour, qui n'a retenu que cette seule circonstance comme fautive, a ainsi confirmé la seule faute retenue par le Tribunal, ainsi que le rejet des moyens tirés d'autres fautes médicales.

4. Le jugement du tribunal administratif de Lyon rendu le 15 juin 2021, objet de la présente instance, ne statue que sur les conclusions et moyens restant en litige devant lui, et ne revient dès lors pas sur le fondement de la responsabilité, qu'il avait déjà examiné dans son premier jugement. La cour a elle-même déjà examiné cette question, ainsi qu'il vient d'être dit. Les requérants ne peuvent donc utilement invoquer des moyens tirés de ce que l'hôpital aurait commis d'autres fautes, qui ont déjà été examinés par la cour dans l'arrêt du 5 août 2021.

Sur les préjudices :

5. Le tribunal de grande instance de Lyon a diligenté une expertise, confiée au Dr J... et achevée le 7 juillet 2017. L'expertise complémentaire décidée avant-dire droit par le tribunal administratif de Lyon, confiée au Dr G..., a été achevée le 2 décembre 2020.

En ce qui concerne la perte de chance :

6. Il résulte de l'arrêt précité de la Cour du 5 août 2021 que la faute commise par les HCL consiste à s'être obstiné à pratiquer une intubation difficile, alors que cette difficulté aurait dû conduire à recourir à la technique de la trachéotomie. L'expert désigné avant-dire droit par le tribunal, qui a été assisté d'un sapiteur, relève que la prise en charge de l'arrêt cardio-respiratoire de cause anoxique, intervenu brutalement, a tout d'abord commencé, de façon licite, par un massage cardiaque externe, une ventilation au masque, puis un essai d'intubation. C'est à ce stade que la difficulté de l'intubation aurait dû conduire à envisager une trachéotomie. L'expert note également que cinq minutes s'étaient préalablement écoulés entre le constat de l'arrêt cardio-respiratoire et l'arrivée de l'équipe d'urgence. Or l'expertise relève que, outre les cinq minutes de délai d'intervention de l'équipe, la réalisation d'une trachéotomie aurait nécessairement impliqué un délai incompressible d'organisation de trois à quatre minutes. Il relève en outre que l'importance et la localisation du kyste auraient en réalité compliqué la réalisation du geste, qui n'aurait pu être une trachéotomie standard mais aurait dû être un geste spécifique et délicat. Or il souligne que dix minutes d'anoxie cérébrale entrainent des séquelles majeures et mortelles, et qu'un arrêt cardio-respiratoire au-delà de cinq minutes ne garantit pas une bonne récupération cérébrale sans séquelles, des séquelles cérébrales s'installant au bout de quelques minutes.

7. En premier lieu, s'agissant de la perte de chance de survie, l'expert estime qu'elle ne peut être évaluée à plus de 50 %, compte tenu à la fois des lésions anoxiques installées avant toute prise en charge et de celles intervenues durant les premiers temps de prise en charge avant que celle-ci ne devienne fautive.

8. En second lieu, il résulte en outre de l'expertise que, compte tenu du délai de cinq à six minutes sans oxygénation cérébrale déjà expiré avant toute faute, la trachéotomie, voire une cricothyrotomie, à supposer que l'une ou l'autre ait pu être réalisée suffisamment rapidement, n'auraient pu éviter des séquelles majeures, en supposant même que le patient ait survécu, dès lors que des lésions cérébrales s'étaient déjà installées.

En ce qui concerne les préjudices moraux :

9. En premier lieu, en évaluant en l'espèce, compte tenu des circonstances du décès de M. K... ..., ainsi que de la situation de ses proches, leurs préjudices moraux à hauteur des montants respectifs de 30 000 euros pour Mme C... B..., compagne de la victime, 30 000 euros chacun pour H... ... et F... ..., enfants mineurs du couple, et 8 000 euros chacun pour M. E... ... et Mme L... ..., parents de la victime, le tribunal n'a pas fait une appréciation insuffisante de leurs préjudices. C'est à juste titre qu'il en a mis l'indemnisation à la charge des HCL dans la limite de la perte de chance de survie précitée de 50 %.

10. En second lieu, M. D... ... est le frère d'Olivier ... et il résulte notamment de l'instruction qu'ils travaillaient pour partie ensemble. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. D... ... du fait du décès de son frère, en l'évaluant à hauteur d'un montant de 8 000 euros. L'indemnisation en est mise à la charge des HCL dans les limites de la perte de chance de survie précitée de 50 %.

En ce qui concerne les préjudices économiques :

11. Les requérants exposent que M. K... ... dirigeait la SARL ... et percevait un salaire annuel de l'ordre de 18 000 euros. L'instruction fait apparaître que la société était déficitaire. Ses deux enfants demandent la réparation de leur préjudice économique.

12. Ainsi qu'il a été dit, l'expertise spécialement diligentée avant-dire droit par le tribunal fait apparaitre la perte d'une chance de survie évaluée à 50 %. Toutefois, il en résulte également que le patient ne pouvait échapper à des séquelles majeures, en supposant même qu'il ait survécu. Ainsi, compte tenu de la difficulté de l'activité de M. K... ... dans le cadre d'une société en situation déficitaire, il en résulte, ainsi que l'a estimé à bon droit le tribunal, que l'instruction ne permet pas d'identifier de possibilité réelle pour M. K... ... de rétablir sa situation professionnelle, compte tenu des séquelles cérébrales importantes et inévitables liées à la complication anoxique dont il a été victime. C'est, dès lors, à juste titre que le tribunal a estimé qu'aucun préjudice économique des proches en lien avec la faute ne pouvait être caractérisé en l'espèce.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont uniquement fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a omis d'indemniser le préjudice de M. D... ... à hauteur du montant précité de 4 000 euros, résultant de l'application du taux de perte de chance de survie à son préjudice moral.

Sur les frais de l'instance :

14. En premier lieu, il y a lieu de maintenir à la charge des HCL les frais de l'expertise décidée par le tribunal avant-dire droit.

15. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge des HCL la somme de 1 500 euros à verser aux requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les Hospices civils de Lyon (HCL) sont condamnés à verser à M. D... ... la somme de 4 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1808160 du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les dépens sont maintenus à la charge des Hospices civils de Lyon.

Article 4 : La somme de 1 500 euros, à verser aux requérants, est mise à la charge des Hospices civils de Lyon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à M. F... ..., à M. H... ..., à M. D... ..., à Mme L... A... épouse ..., à M. E... ..., et aux Hospices civils de Lyon (HCL).

Copie en sera adressée au docteur G..., expert désigné par le tribunal administratif de Lyon. .

Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Bentéjac, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 février 2023.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY02614


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02614
Date de la décision : 24/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : CORNUT

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-02-24;21ly02614 ?
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