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06/04/2023 | FRANCE | N°21LY02320

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 06 avril 2023, 21LY02320


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Vendat a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner in solidum des sociétés Secoba, Socotec, SA3E et l'Etat à lui verser la somme de 821 784,80 euros en indemnisation des désordres affectant la toiture du centre scolaire communal.

Par jugement n° 1901981 du 12 mai 2021, le tribunal n'a fait droit à cette demande qu'en ce qu'elle était dirigée contre les sociétés Socotec, Secoba et l'État, et dans la limite de 487 195,46 euros TTC, outre la mise à la charge des

dépens liquidés à la somme de 14 106,67 euros. Le tribunal a, en outre, condamné...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La commune de Vendat a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner in solidum des sociétés Secoba, Socotec, SA3E et l'Etat à lui verser la somme de 821 784,80 euros en indemnisation des désordres affectant la toiture du centre scolaire communal.

Par jugement n° 1901981 du 12 mai 2021, le tribunal n'a fait droit à cette demande qu'en ce qu'elle était dirigée contre les sociétés Socotec, Secoba et l'État, et dans la limite de 487 195,46 euros TTC, outre la mise à la charge des dépens liquidés à la somme de 14 106,67 euros. Le tribunal a, en outre, condamné la société Jacque et Cie, prise en la personne de son liquidateur la société MJ Synergie, et l'État à garantir la société Socotec à hauteur de respectivement 45 % et 2,5 % de ses condamnations, ainsi que la société Jacque et Cie, la société MJ Synergie, la société Socotec et l'État à garantir la société Secoba à hauteur de respectivement 45 %, 7,5 % et 2,5 % de sa condamnation.

Procédure devant la cour

Par requête et mémoires enregistrés le 12 juillet 2021 et le 10 octobre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Vendat, représentée par la SCP Teillot et Associés, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement du 12 mai 2021 et de condamner solidairement les sociétés Socoba, Socotec Construction, venant aux droits de Socotec, et l'Etat à lui verser la somme 821 784,80 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa requête, capitalisés ;

2°) de mettre solidairement à la charge des sociétés Socoba, Socotec Construction et l'Etat les dépens ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Socoba, Socotec Construction et de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier ; il a omis de statuer sur les conclusions tendant à condamner la société SA3E à l'indemniser de la somme de 821 784,80 euros TTC sur le terrain de la responsabilité contractuelle de cette société ;

- l'appel incident de la société Secoba tendant à l'exonérer de sa responsabilité n'est pas fondé ; en qualité de membre du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre, elle doit supporter les conséquences des agissements de ses cotraitants en garantie décennale ;

- la réfection totale de la toiture, du fait des multiples infiltrations, est la seule possibilité pour remédier aux désordres ; le préjudice n'est pas disproportionné ;

- c'est à tort que le tribunal a refusé d'indemniser au titre des désordres l'impossibilité d'accéder au toit rendant particulièrement difficile l'entretien de l'ouvrage ;

- c'est à tort que le tribunal a appliqué une déduction au montant du préjudice indemnisable pour prendre en compte les plus-values apportées par la création de plateformes sécurisées et d'échelles pour assurer l'entretien de la toiture (montant de 91 423,20 euros TTC), le remplacement des panneaux en polycarbonate Arcoplus 23 par un matériau en polytherm 32 mm (montant de 44 352 euros TTC) ; il en va de même pour le coefficient de vétusté de 35% retenu par le tribunal ainsi que pour la durée des travaux de réparation des désordres, fixée par le tribunal à 5 mois au lieu des 6 mois proposés par l'expert ; elle est fondée à demander l'intégralité du montant des travaux de réfection de la toiture chiffrée à 512 600 euros TTC, les frais d'installation de chantier sécurisé pour un montant de 15 000 euros TTC, les coûts de protection des sols pour un montant de 18 800 euros TTC, les frais de nettoyage des locaux pour un montant de 3 800 euros TTC, les frais de nettoyage ponçage pour un montant de 5 900 euros TTC, les frais de maîtrise d'œuvre d'un montant de 46 720 euros TTC, les frais de contrôle technique construction d'un montant de 6 800 euros TTC, les frais de coordination sécurité protection de la santé à la somme de 4 700 euros TTC, la somme de 18 000 euros au titre des aléas, les frais de location de locaux modulaires à la somme de 152 340 euros, les frais de raccordement au réseau pour un montant de 12 000 euros TTC, les frais de déménagement pour un montant de 5 524,80 euros TTC.

Par mémoire enregistré le 4 octobre 2021, la société Secoba représentée par la Selarl Tournaire Meunier, conclut au rejet des conclusions de la requête dirigées contre elle et demande à la cour ;

1°) par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en ce que le tribunal l'a condamnée in solidum, avec la société Socotec et l'Etat, à verser à la commune de Vendat la somme de 487 195,45 euros TTC ainsi que la somme de 14 106,67 euros TTC au titre des dépens ;

2°) par la voie de l'appel provoqué, de porter la garantie de la société Jacque et Cie, de la société SA3E, de la société Socotec Construction et de l'Etat à 100% de sa condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Vendat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les désordres affectant la toiture relèvent d'un problème de mise en œuvre et ne sont pas imputables à la conception et à la maîtrise d'œuvre ;

- à supposer que les désordres soient imputables à la conception, ils ne lui sont pas imputables dès lors, d'une part, que l'acte d'engagement régularisé le 21 octobre 2002 démontre que le groupement de maîtrise d'œuvre dont elle était membre était un groupement conjoint avec mandataire commun solidaire (la Sarl Les Indiens Blancs) défini par les dispositions de l'article 51 du code des marchés publics et dont les missions et la solidarité dues par les membres de groupement au titre de ces missions, ont pris fin à la réception des travaux ; et que, d'autre part, les désordres ne trouvent pas leur origine, même partiellement, dans la mission qui lui a été confiée en sa qualité de bureau d'études techniques du groupement de maîtrise d'œuvre ; sa mission structure ne concernait pas le lot n°3 Couverture-Bardage confié à l'entreprise Jacque et Cie et le rapport d'expertise ne met pas en cause les ouvrages relevant des lots gros-œuvre et charpente sur lesquels portaient les études structures qu'elle a réalisées et dont les titulaires n'ont pas été mis en cause par la commune ;

- les montants demandés par la commune sont manifestement excessifs ; c'est à tort que l'expert a écarté toute possibilité de réparation point par point de la toiture alors que des réparations ponctuelles d'un montant moindre ont été effectuées à la demande de l'assureur de la commune et se sont avérées pérennes ; les postes relatifs au déménagement et à la location de locaux modulaires à destination des enseignants et des élèves durant les travaux de reprise apparaissent excessifs alors qu'aucune solution de fermeture partielle ni de relogement ponctuelle dans des locaux communaux des usagers de l'école n'a été envisagée ;

- les travaux de reprise tendant à une réfection complète de la toiture dix ans après réception engendrent une amélioration de l'ouvrage dont la prise en compte limitera l'indemnité versée à hauteur de 50 % du montant des travaux ;

- c'est à tort que la commune conteste le coefficient de vétusté retenu par le tribunal à hauteur de 35 % et l'existence de plus-values apportées à l'ouvrage par la création d'échelles d'accès, de plateformes sécurisées et par le remplacement du matériau de toiture ;

- elle est fondée à demander à ce que les société Jacque et Cie, SA3E, Socotec et l'État la garantissent à hauteur de 100 % des condamnations qui pourraient être retenues à son égard.

Par mémoires enregistrés les 24 novembre 2021 et 26 octobre 2022, la société Socotec, représentée par Me Lacaze, conclut au rejet de toutes les conclusions dirigées contre elle et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce que le tribunal l'a condamnée in solidum avec les autres locateurs, et à titre subsidiaire, de limiter le montant de sa condamnation à la somme de 30 648,86 euros TTC ;

2°) par la voie de l'appel provoqué, de porter la garantie de la société Secoba, des sociétés Jacque et Cie, Secoba, SA3E et de l'État à 92,5% de sa condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Vendat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le tribunal a omis de statuer sur son intervention volontaire ; il a omis de statuer sur sa quote-part précise de responsabilité en violation de l'article L. 111-24 du code de la construction de l'habitation ;

- les désordres ne sont pas imputables à ses missions de contrôleur technique ; sa responsabilité décennale ne saurait être engagée et aucune condamnation ne peut être mise à sa charge ; à titre subsidiaire, si une condamnation devait être mise à sa charge au titre de sa responsabilité décennale, ce ne pourrait être que dans la limite de sa quote-part de responsabilité sans solidarité avec les autres locateurs, fixée ici à 7,5 % ;

- les désordres liés aux infiltrations ne justifiaient pas le remplacement de l'ensemble de la couverture par un nouvel ouvrage sans lien avec la nature et le coût des travaux initiaux ; une expertise de M. A..., diligentée par l'assureur de la commune, avait conclu à la seule nécessité d'intervenir au droit des chéneaux dont l'étanchéité pouvait être traitée moyennant un coût de 30.648,86 euros TTC ; c'est à cette somme que doit se limiter l'indemnisation des préjudices de la commune ; subsidiairement, le montant du préjudice indemnisé au titre des travaux de reprise retenu par le tribunal, chiffré à 487 195,46 euros sera confirmé de même que seront confirmés les déductions de plus-value à l'ouvrage du fait de la création de la plateforme et d'échelle et du choix d'un nouveau matériau de couverture avec des caractéristiques supérieures à celles d'origine ainsi que le coefficient de vétusté de 35% et la limitation à 5 mois de la durée des travaux ;

- la société Jacque et Cie prise en la personne de son liquidateur, la Sarl MJ Synergie, les sociétés Secoba et SA3E ainsi que l'Etat doivent la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre dès lors que les désordres ont pour cause des défauts de conception et d'exécution ainsi qu'une insuffisance surveillance de l'exécution des travaux par le maître d'œuvre.

Par mémoire du 18 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête et au rejet des appels incidents et provoqués des sociétés Socotec et Secoba.

Il fait valoir que :

- la difficulté particulière de l'entretien de l'ouvrage n'affecte pas sa solidité et ne le rend pas impropre à sa destination ; par conséquent, la pose de plateformes sécurisées et d'échelles lors des travaux de reprise est sans lien avec les désordres de nature décennale dont la commune demande l'indemnisation et constitue des plus-values dont la commune ne peut être indemnisée ;

- la commune n'est pas fondée à contester l'abattement de son indemnisation à raison de la plus-value apportée par la réfection complète de la toiture plus de dix ans après la réception des travaux, avec un matériau présentant des caractéristiques supérieures ; elle n'est pas non plus fondée à se prévaloir de l'absence de conformité de la toiture aux normes incendies ; la commune en sa qualité de maître d'ouvrage est responsable du choix du matériau initial ;

- c'est à bon droit que le tribunal a appliqué un coefficient de vétusté à hauteur de 35% ;

- les appels incidents et les appels en garantie contre l'Etat des sociétés Socotec et Socoba portent sur des chefs de préjudice distincts de l'appel principal et sont irrecevables ; à titre subsidiaire, leurs conclusions sont infondées ; la société Socotec a manqué à ses missions de contrôle des études de conception et d'exécution ainsi qu'à sa mission relative à la sécurité des personnes ; les rapports final et " spécifique mission sécurité des personnes " remis au maître d'ouvrage ne mentionnent pas les verrières de toiture alors qu'au regard des caractéristiques et des spécificités du projet, le bureau Socotec aurait dû signaler la non-conformité du matériau polycarbonate alvéolaire pour une utilisation en toiture ; les désordres lui sont donc imputables ; la société Secoba qui se borne à produire le tableau de répartition des rémunérations de l'équipe de maîtrise d'œuvre annexé à l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre ne démontre pas que les désordres ne relèvent pas des tâches qui lui étaient imparties au sein de ce groupement ; en outre en sa qualité de cotraitant solidaire au sein du groupement de maîtrise d'œuvre, sa responsabilité peut être engagée solidairement ; les désordres sont imputables au groupement de maîtrise d'œuvre dès lors qu'ils trouvent partiellement leur cause dans la conception du projet et que cette mission relevait de la responsabilité du groupement dont est membre la société Socoba ;

- les désordres sont imputables à l'Etat de manière très marginale, dès lors que la convention de conduction d'opération conclue avec la commune ne comportait qu'une mission d'assistance et de conseil juridique et administrative ;

- les appels en garantie des sociétés Socotec et Secoba tendant à majorer la part de responsabilité de l'Etat en les garantissant à hauteur de 100 % de leur condamnation respective au lieu de 2,5% retenus par le tribunal ne sont pas fondés ; ces conclusions ne sont pas étayées et l'Etat ne peut être condamné qu'à hauteur des dommages qui lui sont imputables.

Par mémoire du 28 novembre 2022, la commune de Vendat déclare se désister purement et simplement de ses conclusions dirigées contre la société Sarl SA3E.

En application des articles R. 611-11-1, R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative l'instruction a été close le 13 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le décret n°93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 13 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christine Psilakis, première conseillère,

- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public,

- les observations de Me Maisonneuve pour la commune de Vendat, et celles de Me Meunier pour la société Secoba ;

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Vendat, assistée de l'Etat (direction départementale de l'équipement de l'Allier), conducteur d'opération, a engagé des travaux de réhabilitation et d'agrandissement de son groupe scolaire et a passé à cette fin, le 21 octobre 2002, un marché de maîtrise d'œuvre avec un groupement solidaire composé notamment de la Sarl Les Indiens Blancs, architecte mandataire, et de la Sarl Secoba, bureau d'études structures. Le lot n° 3 " Couverture Bardage " a été confié à la société Jacque et Cie. La commune a confié à la SA 3E une mission de coordination sécurité protection de santé et une mission de contrôle technique à la société Socotec. La réception des travaux a été prononcée le 13 mars 2009, assortie de réserves portant notamment sur des fuites sur chéneaux, l'absence d'étanchéité d'éléments métalliques formant fronton à la jonction des arêtiers et du faîtage des toitures, la condensation dans les alvéoles sur les bardages polycarbonate, les fuites de gouttières au droit des menuiseries extérieures au niveau du bureau de la directrice et de l'infirmerie, ainsi que sur la mise en place de descentes d'eaux pluviales dans les deux chéneaux de part et d'autre du préau. Ces réserves ont été levées le 25 juin 2010. De multiples infiltrations s'étant manifestées dès 2016, la commune a obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand la désignation d'un expert aux fins de déterminer l'origine des désordres et les moyens d'y remédier. Sur la base des conclusions de ce rapport, déposé en février 2019, la commune a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand la condamnation solidaire sur le fondement de leur responsabilité décennale des sociétés Secoba, Socotec, SA3E et de l'Etat à lui verser la somme de 821 784,80 euros TTC en réparation des désordres affectant la toiture de son centre scolaire. Par jugement n° 1901981 du 12 mai 2021 dont la commune relève appel, le tribunal a condamné solidairement les sociétés Secoba, Socotec et l'Etat à verser à la commune la somme de 487 195,46 euros TTC, outre les dépens liquidés à 14 106,67 euros, a condamné la société Jacque et Cie, la société MJ Synergie et l'Etat à garantir la société Socotec à hauteur de respectivement 45 % et 2,5 % de ses condamnations, la société Jacque et Cie, la société Socotec et l'Etat à garantir la société Secoba à hauteur respectivement de 45%, 7,5% et 2,5% de ses condamnations.

Sur la régularité du jugement :

2. Il est constant que la société Socotec Construction, dès la première instance, a succédé et est venue aux droits de la société Socotec France. Par suite, c'est sans irrégularité que les écritures présentées par la société Socotec Construction ont été regardés par le tribunal comme des mémoires en défense de la Socotec Construction, désormais tenue de répondre des obligations de Socotec France, et non pas comme une intervention volontaire sur laquelle il aurait omis de statuer. Par ailleurs, il résulte des termes du jugement qu'en retenant que les désordres étaient au moins partiellement imputables à la société Socotec et en statuant ensuite sur sa quote-part de responsabilité pour les appels en garantie, le tribunal n'a pas omis de statuer sur la demande de limitation de responsabilité du contrôleur technique dans les limites de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation.

Sur les conclusions de la requête dirigées contre la société SA3E :

3. Par mémoires enregistrés le 28 novembre 2022, la commune de Vendat se désiste purement et simplement des conclusions de sa requête dirigées contre la société SA3E. Il y a lieu pour la cour de lui en donner acte.

Sur le surplus des conclusions de la requête :

4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans, dès lors que les désordres leur sont imputables, même partiellement. La commune de Vendat fait état de deux types de désordres, les uns afférents à l'accessibilité à la toiture et les autres afférents au défaut d'étanchéité de cette toiture.

En ce qui concerne le défaut d'accès à la toiture :

5. Si la configuration de la toiture, qui n'a pas fait l'objet de réservations pour les circulations ni d'accès, en complique la maintenance, ce vice de conception fait obstacle au nettoyage des éléments de couverture, mais ne compromet pas la solidité de cette partie d'ouvrage ni ne le rend impropre à sa destination. Il ne relève pas des catégories de désordres qui peuvent être indemnisés au titre de la responsabilité décennale. Par suite les conclusions de la commune de Vendat, tendant à la condamnation solidaire des constructeurs à lui verser la somme de 91 423, 20 euros TTC correspondant à la création d'un dispositif d'accès à la toiture, doivent être rejetées.

En ce qui concerne le défaut d'étanchéité :

6. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise judiciaire, que le groupe scolaire se compose de neuf cubes maçonnés surmontés, chacun, d'une couverture à quatre pans en bacs acier. Les circulations desservant ces blocs sont couvertes par des rangées de toits à deux pans (sheds) composés de panneaux alvéolaires en polycarbonate translucides, séparés par des chéneaux récupérant les eaux pluviales. Cette toiture à sheds jointoyés se prolonge en débord pour couvrir le préau côté cour et les accès. Elle est elle-même équipée de brise-soleil à lames métalliques et madriers de bois. Les infiltrations des eaux pluviales en toiture puis dans le hall, les salles de classe et sous les sheds offrant des abris extérieurs sont favorisées par une grande diversité de points singuliers, leur quantité (linéaire de chéneau encaissé, solins), des défauts de conception (absence de joints de dilatation, de trop pleins et de descentes d'eau sur les chéneaux, absence d'engravure des solins et de regards en pied des descentes d'eaux pluviales) ainsi que par de nombreuses malfaçons au stade de l'exécution (défaut de raccordement ou de colmatage, absence de joints de dilatation, d'engravure des bavettes).

7. En premier lieu, d'une part et contrairement à ce que soutient la société Secoba, le défaut d'étanchéité de la toiture n'est pas uniquement imputable à l'exécution des travaux assurée par l'entreprise Jacque et Cie, mais l'est aussi au groupement de maîtrise d'œuvre lequel était en charge tant de la conception du projet, que du suivi du chantier. D'autre part, la solidarité contractuelle des cotraitants du groupement de maîtrise d'œuvre, qui survit à la réception des travaux, a pour effet d'obliger chacun d'eux à répondre de la totalité des désordres dès lors qu'ils sont au moins partiellement imputables à l'un d'eux. Or, en se bornant à produire l'acte d'engagement et ses annexes, signé le 21 octobre 2002 entre la commune de Vendat et le groupement de maitrise d'œuvre, où est seulement mentionnée la décomposition de la rémunération des membres de l'équipe de maîtrise d'œuvre sans limitation des missions incombant à chacun d'eux, la société Secoba n'établit pas qu'elle ne devrait pas répondre solidairement des désordres imputables au groupement dont elle était membre. Par suite, cette société n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il a retenu une imputabilité des désordres à son encontre et l'engagement de sa responsabilité décennale et solidaire.

8. En second lieu, il résulte de l'instruction que la société Socotec Construction, contrôleur technique, était investie d'une mission L+P1 (solidité des ouvrages et des éléments d'équipements dissociables et indissociables) qui incluait nécessairement la solidité et l'étanchéité des éléments de toiture. Les désordres en cause lui étaient ainsi partiellement imputables, alors même qu'il est constant que cette société ne pouvait pas intervenir sur les choix architecturaux du projet et qu'elle a réservé son avis technique quant à l'utilisation de plaques de polycarbonate Arcoplus 626 en toiture.

En ce qui concerne les préjudices

S'agissant de l'évaluation des travaux de reprise de la toiture

9. En premier lieu, les sociétés Socotec Construction et Secoba font valoir que l'indemnisation des préjudices afférents au travaux de reprise de la toiture du groupe scolaire devait se limiter à la somme de 30 648,86 euros TTC correspondant à l'estimation d'un consultant mandaté par la commune avant la phase judicaire, dont il résulterait que des reprises partielles seraient suffisantes et une réfection complète, inutile et disproportionnée. Il résulte, toutefois, de cette pièce que de tels travaux se limitaient à une intervention d'urgence sur les chenaux au droit des solins et n'avaient qu'une portée provisoire ne permettant pas de prévenir de nouvelles fuites ni une dégradation ultérieure de la structure du toit. Dans ces conditions, la demande de réduction de ce poste de dépense doit être écartée.

10. En deuxième lieu, si les travaux de reprise nécessitent la réalisation de prestations qui n'étaient pas prévues par le marché initial et qui apportent à l'ouvrage une plus-value, celle-ci doit être déduite du montant de l'indemnisation due au maître d'ouvrage, même si la réalisation de ces prestations est le seul moyen de remédier aux désordres. Toutefois, dans le cas où des travaux sont nécessaires pour rendre un ouvrage conforme à sa destination, il n'y a lieu d'opérer un abattement sur les indemnités mises à la charge des entrepreneurs responsables des désordres auxquels lesdits travaux doivent mettre fin que si ceux-ci ont apporté à l'ouvrage une plus-value par rapport à la valeur des ouvrages et installations prévues au contrat. Dans le cas où le montant d'un marché serait inférieur à son coût réel de réalisation et que les entrepreneurs n'ont pas exécuté le marché conformément à ses stipulations, les travaux nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme à ses caractéristiques contractuelles ne peuvent être regardés comme lui conférant une plus-value dont bénéficierait le maitre d'ouvrage.

11. Le tribunal a appliqué au coût des travaux de réfection de la toiture un abattement de 44 352 euros TTC correspondant à la plus-value induite par la substitution du matériau Polytherm au matériau Arcoplus 323 utilisé pour la verrière et les sheds. Toutefois, il résulte de l'instruction que le matériau Arcoplus 323 utilisé en verrière n'était pas celui contractuellement prévu par le CCTP du lot n° 3, le titulaire de ce lot n'ayant pas exécuté le marché conformément à ses stipulations. Dans ces conditions, la commune de Vendat est fondée à soutenir que l'abattement de la somme de 44 352 euros TTC retenue par le tribunal n'est pas fondé et que cette somme doit être réintégrée au montant de l'indemnisation qui lui est due.

S'agissant des travaux connexes

12. La commune de Vendat demande le paiement des frais connexes aux travaux de réfection de la toiture correspondant au coût de protection des sols pour un montant de 18 800 euros TTC, aux travaux d'embellissement pour un montant de 19 600 euros TTC, aux frais de nettoyage des locaux pour un montant de 3 800 euros TTC, aux frais de nettoyage ponçage préservation du bois pour un montant de 5 900 euros TTC, aux frais de contrôle technique construction d'un montant de 6 800 euros TTC, aux frais de coordination sécurité protection de la santé à la somme de 4 700 euros TTC et à la somme de 18 000 euros au titre des aléas. En l'absence de contestation sérieuse de leur montant et de la consistance de ces postes de préjudice et dès lors que ceux-ci ont un lien direct avec les désordres en cause, il convient de les indemniser à hauteur de ce que demande la commune de Vendat.

13. En revanche, et d'une part, il y a lieu d'écarter par les motifs du point 27 du jugement, le supplément de 5 000 euros TTC demandée par la commune au titre du poste de sécurisation du chantier. D'autre part, le montant des travaux indemnisés s'élevant tout postes confondus à 508 776,80 euros TTC, soit 78 % du montant des conclusions de la commune, les frais de maîtrise d'œuvre indemnisables, correspondant à 7% de l'ensemble des travaux de reprise, doivent être limités dans les mêmes proportions, soit 35 614,38 euros TTC et le surplus des conclusions, soit 11 105,62 euros TTC, présenté de ce chef doit être rejeté.

14. Il résulte des points 9 à 13 que le montant des travaux de reprise à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité doit être fixé à 544 391,18 euros TTC.

S'agissant de l'application d'un coefficient de vétusté

15. Le tribunal a appliqué au coût total des travaux de réfection un coefficient de vétusté de 35% pour prendre en compte, d'une part, l'écoulement du temps depuis l'achèvement de la couverture en 2010 et l'obsolescence normale d'une toiture de ce type sur une durée comprise entre 20 et 30 ans, d'autre part, la circonstance que la commune aurait pu engager les travaux dès la remise du rapport d'expertise en février 2019. S'il y a lieu de tenir compte de la vétusté de l'installation, celle-ci doit s'apprécier à la date d'apparition des désordres. Il résulte de l'instruction que les infiltrations sont apparues dans les quatre années après réception et qu'il convient, en conséquence, de limiter l'abattement de vétusté à 10 %. Après application de ce taux à la somme énoncée au point 14, le montant des travaux indemnisable doit être fixé à 489 952,06 euros TTC.

S'agissant des troubles de jouissance

16. La réparation du préjudice résultant pour la commune de Vendat des frais de remise en état de son groupe scolaire n'exclut pas le dédommagement des frais liés à la nécessité de continuer l'activité des établissements communaux d'enseignement dans des locaux différents de ceux où se déroulent les travaux. Il ressort du rapport d'expertise que les travaux de réparation de la couverture nécessiteront un délai de six mois pour leur réalisation. Si les sociétés Secoba et Socotec font valoir que ces travaux pourraient être intégralement réalisés pendant les vacances scolaires, ce qui ne rendrait pas nécessaire la location de locaux modulaires pour y transférer les salles de classes, ou bien que la commune pourrait mobiliser son patrimoine immobilier pour pallier aux locaux rendus indisponibles, elles n'apportent aucun élément vérifiable au soutien de cette allégation. Elles ne sont, dès lors, pas fondées à contester les sommes de 133 800 euros TTC pour les frais de location des locaux modulaires, 12 000 euros TTC pour les frais de raccordement des locaux modulaires et 5 524 euros TTC pour les frais de déménagement allouées par le tribunal.

17. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité que la commune de Vendat est fondée à demander doit être portée de 487 195,46 euros TTC à 641 276,06 euros TTC.

S'agissant des intérêts et de leur capitalisation :

18. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1231-6 du même code, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

19. Il résulte de l'instruction que la commune de Vendat, qui le demande pour la première fois en appel, a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité mentionnée au point 17 à compter de la date d'enregistrement de sa demande au tribunal, soit le 8 octobre 2019. Par ailleurs, la capitalisation de ces intérêts doit être prononcée au 12 juillet 2021, en application de l'article 1343-2 du code civil, dès lors qu'à cette date était dû au moins une année échue d'intérêts, puis 12 juillet 2022.

Sur les appels provoqués :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir du ministre de la transition écologique, et de la cohésion des territoires ;

20. En premier lieu, les conclusions de la société Secoba tendant à ce que la Sarl Les Indiens Blancs, architecte, la garantisse de sa condamnation sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

21. En second lieu, il résulte de l'instruction que les infiltrations sont dues, à titre principal, aux erreurs de conception de la Sarl Les indiens blancs, architecte, qui a choisi des matériaux de couverture inadaptés et n'a pas surveillé la réalisation des chenaux, et pour une part presque équivalente, à la mauvaise qualité d'exécution des chenaux assurée par la société Jacque et Cie. Ils sont dus, dans une moindre mesure, à la société Socotec qui n'a pas détecté les erreurs entachant les études d'exécution des ouvrages d'étanchéité et, marginalement, à l'État dont les appelants en garantie n'établissent pas en quoi il devrait répondre d'une part de responsabilité supérieure à celle qu'a fixée le tribunal. Enfin, la société Secoba, qui est intervenue en tant que bureau d'étude technique " structure " et la société SA3E, chargée d'une mission de coordinateur en matière de sécurité et de santé des travailleurs, n'ont pris aucune part à la survenance des désordres.

22. Il s'ensuit qu'en attribuant, pour régler les appels en garantie, à l'architecte une part de 45%, au contrôleur technique une part de 7,5% et à l'Etat une part de 2,5%, ce qui laissait au couvreur qui n'était pas appelé en garantie une part de 45%, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation des fautes individuelles ayant concouru à la survenance des désordres et qu'en appel, la société Socotec Construction et la société Secoba n'établissent pas par quel motif ces parts devraient être réévaluées à leur bénéfice. Les appels provoqués qu'elles présentent à cette fin doivent être rejetés.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la commune de Vendat dirigées contre la société SA3E.

Article 2 : La condamnation que la société Socotec, l'État et la société Secoba sont condamnées solidairement à verser à la commune de Vendat est portée de 487 195,46 euros TTC à la somme de 641 276,06 euros TTC.

Article 3 : La condamnation prononcée à l'article 2 portera intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2019. Ces intérêts seront capitalisés au 12 juillet 2021 et au 12 juillet 2022.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand n° 1901981 du 12 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 2 et 3 du présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Socotec, Secoba et SA3E, à la société MJ Synergie, mandataire liquidateur de la société Jacque et Cie, à la commune de Vendat et au ministre de la transition écologique et de de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 16 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Philippe Arbaretaz, président

Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

Mme Christine Psilakis, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

La rapporteure,

Christine Psilakis

Le président,

Philippe Arbaretaz

Le greffier,

Julien Billot

La République mande et ordonne au le ministre de la transition écologique et de de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

2

N° 21LY02320


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02320
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Christine PSILAKIS
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : MONTALESCOT AILY LACAZE et Associés

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-04-06;21ly02320 ?
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