La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/06/2023 | FRANCE | N°22LY00833

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 08 juin 2023, 22LY00833


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 mars et 28 octobre 2022 ainsi que le 17 janvier 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Boralex Trizac, représentée par Me Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2022 par lequel le préfet du Cantal a refusé sa demande d'autorisation environnementale pour un parc éolien de douze éoliennes sur la commune de Trizac ;

2) de lui accorder l'autorisation environnementale sollicitée et l'assortir, en tant qu

e besoin, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'articl...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 mars et 28 octobre 2022 ainsi que le 17 janvier 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Boralex Trizac, représentée par Me Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2022 par lequel le préfet du Cantal a refusé sa demande d'autorisation environnementale pour un parc éolien de douze éoliennes sur la commune de Trizac ;

2) de lui accorder l'autorisation environnementale sollicitée et l'assortir, en tant que besoin, des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 du code de l'environnement ;

3°) d'enjoindre au préfet du Cantal de lui délivrer l'autorisation sollicitée et de fixer, s'il y a lieu, les prescriptions techniques dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État et de chaque intervenant en défense une somme de 2 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté méconnaît l'article R. 181-16 du code de l'environnement ; le préfet aurait dû l'inviter à régulariser son dossier de demande en déposant une demande de dérogation espèces protégées ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des enjeux paysagers ;

- il est entaché d'une violation de la loi en tant qu'il considère qu'une dérogation espèces protégées aurait dû être sollicitée au regard d'un seul risque en application de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, et compte tenu du fait qu'il ne tient pas compte des effets des mesures d'évitement et de réduction en méconnaissance des articles L. 163-1 et L. 181-3 de ce code.

Par un mémoire enregistré le 20 juin 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par des mémoires enregistrés les 7 et 22 octobre 2022 ainsi que le 17 janvier 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, l'association Vent des planèzes de Trizac et la commune de Trizac, représentées par Me Fournier Pieuchot, concluent au rejet de la requête.

Elles soutiennent qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 2 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Deldique, pour la société Boralex Trizac, ainsi que celles de Me Gauthier pour l'association Vent des planèzes de Trizac et la commune de Trizac ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Boralex Trizac a déposé le 2 septembre 2019 auprès du préfet du Cantal une demande d'autorisation environnementale pour l'exploitation sur le territoire de commune de Trizac d'une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent, avec quatre postes de livraison électrique, constituée de douze aérogénérateurs d'une hauteur de 150 mètres en bout de pâles, réparties sur trois lignes distinctes selon un axe nord/sud. Elle demande l'annulation de l'arrêté du 18 janvier 2022 portant refus de délivrance de cette autorisation sur le fondement des dispositions des articles L. 181-3, L. 411-1, L. 411-2 et L. 511-1 du code de l'environnement en raison des atteintes que le projet pourrait entraîner pour les paysages et à des individus d'espèces d'oiseaux protégées (milan royal et pie grièche).

Sur l'intervention :

2. Aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct (...) ". Toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige est recevable à former une intervention.

3. Il résulte de l'instruction que l'association Vent des planèzes de Trizac, dont le siège est à Trizac, où est envisagé le projet, a pour objet, " face aux multiples projets d'implantation d'éoliennes (...) ", de " (...) veiller au respect des lois, des règlements et des préconisations en vigueur pour ce type d'installation. Sa mission est notamment de lutter par toute action contre les projets et installations des parcs éoliens sur les planèzes de Trizac ". Eu égard à un tel objet, et en particulier à son champ d'intervention géographique comme matériel, elle justifie ainsi d'un intérêt suffisant au maintien de la décision de refus contestée. L'intervention collective, à l'appui des conclusions de la ministre de la transition écologique, dont cette association, avec la commune de Trizac, est l'auteur, qui est recevable, doit donc être admise dans son ensemble.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. " L'article L. 511-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au refus d'autorisation en litige, dispose que : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments (...) ".

5. L'appréciation de l'exigence de protection et de conservation de la nature, des paysages, des sites et des monuments énoncée ci-dessus implique une évaluation du secteur d'implantation du projet et une prise en compte de la taille des éoliennes projetées, de la configuration des lieux et des enjeux de co-visibilité, au regard, notamment, de la présence éventuelle, à proximité, de plusieurs monuments et sites classés et d'autres parcs éoliens, et des effets d'atténuation de l'impact visuel du projet.

6. Le planèze de Trizac, où doit être implanté le projet, est un plateau situé à une altitude proche de 1 200 mètres, constitué de grands espaces de prairies d'altitude dédiées à l'élevage bovin et entouré de vallées creusées par les cours d'eau, se trouvant à moins de dix kilomètres au nord-ouest du site classé du massif cantalien, classé par décret du 23 octobre 1985, et dans le périmètre de cohérence paysagère du Puy Marie volcan, site labélisé en vertu de l'article L. 341-15-1 du code de l'environnement, à une douzaine de kilomètres du Puy Mary. Le massif cantalien constitue un vaste ensemble homogène dont les crêtes, qui culminent à 1 806 mètres avec le Puy de Peyre Arse, sont formées par le Puy Mary, le Chavaroche, le Puy de la Tourte et le Violent, constituant les derniers vestiges d'un immense volcan d'âge tertiaire, d'une exceptionnelle qualité paysagère, en grande partie préservé de tout aménagement marquant et habitat permanent, à l'exception de quelques burons d'estive.

7. Il résulte de l'instruction que le projet litigieux se caractérise par l'introduction dans un environnement vierge de toute artificialisation, assez dépouillé, sur des plateaux d'altitude découverts et aux abords de sites protégés, en particulier ceux du massif cantalien et du Puy Marie, d'éléments verticaux et en nombre, visibles ou co-visibles depuis plusieurs points d'observation, notamment le Puy Violent et le Puy Chavaroche qui, en dépit d'effets d'atténuation apportés notamment par le relief et la présence de massifs forestiers, voire des phénomènes de nébulosité, demeurent difficilement compatibles avec l'harmonie d'ensemble des paysages et la préservation des vues sur les panoramas, proches ou plus éloignés, le volcan et ses coulées annexes. A cet égard, la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) a estimé, le 8 février 2021, que le " parc éolien s'inscrit dans une zone à forte sensibilité pour le paysage dans la charte du parc naturel régional des volcans d'Auvergne " et, dans son avis défavorable du 19 octobre 2021, la commission d'enquête a relevé que " les éoliennes seraient visibles depuis plusieurs sites emblématiques du Cantal ". Ainsi, si sa visibilité depuis le sommet du Puy Mary pourrait être occultée par la masse du Suc de Rond, il serait, comme l'admet le porteur de projet dans son mémoire en réponse à l'avis de la MRAe, visible depuis plusieurs sommets (Puy violent, Puy de la Tourte, Puy de Peyre-Arse, Puy du Rocher, Puy de Seycheuse, Puy de Chavaroche...) inclus dans le périmètre du territoire labellisé " Grand site de France du Puy Mary ". Pour des raisons similaires, le syndicat mixte du Parc Naturel Régional des Volcans d'Auvergne, la communauté de communes du Pays de Gentiane et d'autre communes riveraines du projet, comme l'inspection des installations classées, le 25 novembre 2021 et la commission départementale de la nature des sites et des paysages (CNDPS), le 15 décembre suivant, ont émis des avis défavorables. Il apparaît encore, sur ce point, que le projet porte en particulier atteinte aux vues depuis Bort les Orgues, avec un " effet barrière " dans le paysage. Plus localement, et compte tenu de la proximité du projet, de nombreuses co-visibilités existent également avec des bourgs, comme celui de Trizac, plusieurs hameaux ou lieux dits, comme ceux du Couderc, de la Besseyre ou encore du Manclaux ou de Sourniac, des gîtes, comme celui du Panda à proximité du col de la Besseyre, et même des burons, sans que les atteintes en résultant notamment pour les habitants, compte tenu d'un contexte végétal et bâti peu dense, se trouvent spécialement et durablement limitées. Dans ces circonstances, et en l'absence de mesures d'évitement ou de réduction particulières dont la mise en œuvre aurait permis de limiter notablement les impacts du projet sur le paysage, l'appréciation à laquelle s'est livrée le préfet pour opposer le refus d'autorisation contesté n'apparaît pas ici erronée.

8. Même en admettant que l'administration aurait dû inviter l'exploitante à régulariser son dossier en déposant une demande de dérogation " espèces protégées " en application de l'article R. 181-16 du code de l'environnement ou que le risque que le projet comporte pour le milan royal et la pie grièche, compte tenu des mesures d'évitement et de réduction envisagées, ne serait pas suffisamment caractérisé et qu'aucune dérogation " espèces protégées " en application de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ne s'imposait, il apparaît que le préfet, s'il s'était uniquement fondé sur le motif relevé précédemment, tenant à l'atteinte au paysage, aurait refusé d'autoriser le projet éolien.

9. Par suite, la requête de la société Boralex Trizac doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'association Vent des planèzes de Trizac et de la commune de Trizac est admise.

Article 2 : La requête de la société Boralex Trizac est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Boralex Trizac, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à l'association Vent des planèzes de Trizac et à la commune de Trizac.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

M. Seillet, président assesseur ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023.

La rapporteure,

C. DjebiriLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 22LY00833 2

ap


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00833
Date de la décision : 08/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

29-035 Energie.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Christine DJEBIRI
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : GREENLAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-06-08;22ly00833 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award