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13/11/2023 | FRANCE | N°22LY01460

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 13 novembre 2023, 22LY01460


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 11 octobre 2021 par lesquelles la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Par jugement n° 2110464 du 19 avril 2022, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à ses demandes d'annulation et a enjoint à la préfète de l'Ain de réexami

ner la situation de l'intéressée après remise d'une autorisation provisoire de séjour....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 11 octobre 2021 par lesquelles la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Par jugement n° 2110464 du 19 avril 2022, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à ses demandes d'annulation et a enjoint à la préfète de l'Ain de réexaminer la situation de l'intéressée après remise d'une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 13 mai 2022, la préfète de l'Ain demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 avril 2022 du tribunal administratif de Lyon en qu'il annule ses décisions du 11 octobre 2021 faisant obligation de quitter le territoire français à Mme C... et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui enjoint de réexaminer la situation de l'intéressée après remise d'une autorisation provisoire de séjour ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme C... devant le tribunal administratif de Lyon.

Elle soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas le 5° de L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que la reconnaissance de paternité de l'enfant de l'intéressée procède d'une fraude, que la seule cohabitation de l'intéressée avec son enfant ne suffit pas à démontrer sa contribution effective à son éducation et à son entretien, que l'auteur de la reconnaissance de paternité ne justifie pas davantage de sa contribution, en méconnaissance de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et que Mme C... a fait l'objet de deux refus de titre de séjour, confirmés par la juridiction administrative ;

- l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français litigieuse n'impliquait pas l'injonction prononcée par le tribunal, dès lors qu'en l'absence de changement de circonstances, les refus de titre de séjour opposés à deux reprises à l'intéressée impliquent qu'elle quitte le territoire français, en application de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ladite injonction méconnaissant l'autorité absolue de la chose jugée attachée au jugement rejetant le recours formé contre le premier de ces refus ;

- les autres moyens soulevés en première instance n'étaient pas fondés.

Par mémoire enregistré le 13 juillet 2022, Mme C..., représentée par Me Deme, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 avril 2023.

Un mémoire, enregistré le 14 août 2023, a été présenté pour Mme C... et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport D... Sophie Corvellec,

- et les observations de Me Halard, pour Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante marocaine née le 9 septembre 1993, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par décisions du 11 octobre 2021, la préfète de l'Ain a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Ces deux dernières décisions ont été annulées, à la demande D... C..., par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 avril 2022, enjoignant en outre à la préfète de l'Ain de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder à un nouvel examen de sa situation. La préfète de l'Ain relève, dans cette mesure, appel de ce jugement.

Sur l'annulation prononcée par le tribunal administratif de Lyon :

2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ".

3. En premier lieu, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'actes de droit privé opposables aux tiers.

4. Il ressort des pièces du dossier que le fils aîné D... Mme C..., né le 21 juillet 2017, est de nationalité française en raison de sa reconnaissance par M. A..., ressortissant français. Si, pour attribuer un caractère frauduleux à cette reconnaissance, la préfète de l'Ain invoque les multiples reconnaissances de paternité que M. A... aurait souscrites à l'égard d'enfants de ressortissantes étrangères, seule la réalité de deux de ces reconnaissances est démontrée par les relevés informatiques versés au dossier. Par ailleurs, la circonstance que les parents n'auraient jamais vécu ensemble ne permet nullement de suspecter la paternité de l'enfant. Enfin, la préfète de l'Ain ne produit pas de pièces tendant à établir que le père de cet enfant serait l'actuel compagnon D... C.... Dans ces conditions, la préfète de l'Ain ne démontre pas le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité à l'origine de la nationalité française de l'enfant D... C....

5. En deuxième lieu, il est constant que Mme C... assume la garde de son fils depuis sa naissance. Dans un jugement du 15 avril 2021, le juge aux affaires familiales a ainsi relevé que l'enfant a, depuis la séparation de ses parents quatre mois après sa naissance, toujours vécu avec sa mère, pour lui attribuer l'exercice exclusif de l'autorité parentale et fixer la résidence de cet enfant à son domicile. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient la préfète de l'Ain, Mme C... doit être regardée, indépendamment de ses ressources financières, comme contribuant effectivement à l'éducation et à l'entretien de son enfant depuis sa naissance, au sens de l'article 371-2 du code civil et de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En troisième lieu, la préfète de l'Ain ne saurait utilement se prévaloir de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'exigence de contribution de l'auteur de la reconnaissance de paternité à l'éducation et à l'entretien de l'enfant qui en résulte, celui-ci régissant uniquement la délivrance des titres de séjour.

7. Enfin, les circonstances que deux refus de titre de séjour ont été opposés à Mme C..., notamment en qualité de mère d'un enfant de nationalité française, et que les recours contentieux engagés contre ces refus ont été rejetés ne font pas obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision du 11 octobre 2021 faisant obligation de quitter le territoire français à Mme C..., ainsi que, par voie de conséquence, celle du même jour fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Lyon :

9. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

10. Alors même qu'en application de l'article L. 411-2 du même code, l'étranger dont le titre de séjour n'a pas été renouvelé est tenu de quitter le territoire français, l'annulation, par les premiers juges, de l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre D... C... impliquait nécessairement, en vertu des dispositions citées au point 9, que l'autorité administrative lui délivre une autorisation provisoire de séjour et statue à nouveau sur son cas. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.

11. Enfin, et contrairement à ce que soutient la préfète de l'Ain, l'injonction ainsi prononcée ne méconnaît nullement l'autorité, d'ailleurs relative, de la chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 décembre 2020, rejetant la demande D... C... dirigée contre un précédent refus de titre de séjour, distinct des décisions en litige en l'espèce.

12. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon lui a enjoint de délivrer une autorisation provisoire de séjour à Mme C... et de réexaminer sa situation.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la préfète de l'Ain est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Mme C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,

Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2023.

La rapporteure,

S. CorvellecLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. ProuteauLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N°22LY01460


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01460
Date de la décision : 13/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : DEME

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-11-13;22ly01460 ?
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