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18/04/2024 | FRANCE | N°23LY03683

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 2ème chambre, 18 avril 2024, 23LY03683


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination t et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2306642 du 10 novembre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et e

njoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2023 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination t et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2306642 du 10 novembre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que :

- il n'a pas méconnu le droit d'être entendu de M. B... qui a été auditionné le 15 octobre 2023 par les forces de l'ordre, et dès lors que l'intéressé ne disposait pas d'éléments de situation personnelle qui auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de l'obligation de quitter le territoire français ;

- la signataire de l'obligation de quitter le territoire français était compétente ;

- l'obligation de quitter le territoire français est suffisamment motivée ;

- il a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... avant d'édicter la mesure d'éloignement ;

- l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B... ;

- M. B... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ;

- la décision de refus de délai de départ volontaire est suffisamment motivée et fondée eu égard au risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement ;

- cette décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B... ;

- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français est motivée et fondée ;

- cette décision ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B... ;

- M. B... ne démontre pas encourir des risques de tortures ou traitements inhumains en cas de retour dans son pays d'origine au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. B..., qui a été avisé de la requête, n'a pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Le rapport de M. Porée, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant algérien né le 11 juin 1990, a été interpellé le 15 octobre 2023 par les services de la police nationale de Grenoble. Par arrêté du même jour, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 10 novembre 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé et de lui délivrer durant ce réexamen une autorisation provisoire de séjour.

2. Il ressort du procès-verbal de police du 15 octobre 2023, produit pour la première fois en appel, que M. B... a été interrogé notamment sur sa situation administrative au regard du séjour en France et en Europe, sur les raisons et les conditions de son séjour en France, sur des problèmes de santé éventuels, sur sa réaction en cas d'édiction d'une mesure d'éloignement par la préfecture, et qu'il a indiqué de manière spontanée lors de son audition qu'il avait de la " famille française ". Il en résulte que le requérant a été mis à même de présenter ses observations sur l'irrégularité de son séjour en France et sur les motifs susceptibles de justifier que le préfet s'abstienne de prendre à son égard une mesure d'éloignement. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a estimé que l'obligation de quitter le territoire français avait méconnu le droit d'être entendu, et l'a, pour ce motif, annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour refusant un délai de départ volontaire et fixant le pays de renvoi.

3. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif.

4. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme Nathalie Cencic, secrétaire générale adjointe de la préfecture de l'Isère, qui a reçu délégation de signature par un arrêté du 21 août 2023 du préfet de l'Isère régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'acte manque en fait et doit être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'arrêté en litige, que le préfet de l'Isère a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... avant de l'édicter.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

7. M. B..., qui est entré sur le territoire français le 10 mai 2023 selon ses déclarations, a vécu ainsi la majeure partie de son existence en Algérie où il ne peut être dépourvu de toute attache personnelle. Il ne séjourne sur le territoire français que depuis cinq mois, et il ne justifie pas d'une insertion particulière dans la société française, alors qu'il a indiqué, lors de son audition par la police, qu'il consomme des stupéfiants tous les jours. M. B... est célibataire, sans enfant, et il ne justifie pas avoir des membres de sa famille en France. L'intéressé n'est pas dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine où vivent à tout le moins ses parents. Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

8. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision de refus de délai de départ volontaire.

9. En cinquième lieu, l'arrêté vise les articles L. 612-2 et L. 612-3 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et mentionne que M. B... est entré irrégulièrement sur le territoire français, qu'il n'a procédé à aucune démarche en vue de régulariser sa situation administrative, qu'il déclare être sans domicile fixe, qu'il n'a pas de ressources propres, qu'il est défavorablement connu des forces de l'ordre, et qu'ainsi, il existe un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire doit être écarté.

10. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7 du présent arrêt, les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur la situation personnelle de M. B..., doivent être écartés.

11. En septième lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision de fixation du pays de destination.

12. En huitième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

13. M. B... n'apporte aucune précision sur les craintes qu'il encourrait en cas de retour en Algérie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. En neuvième lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.

15. En dixième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

16. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit, par ailleurs, faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

17. La décision d'interdiction de retour sur le territoire français vise l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et mentionne que M. B... est entré en France au cours de l'année 2023, que sa durée de présence est ainsi brève, que s'il déclare avoir de la famille en France, il n'apporte aucune précision au cours de son audition sur l'existence de ces membres de famille, ni sur les liens qu'il entretiendrait avec eux, et qu'il a été interpelé le 15 octobre 2023 pour des faits de violation de domicile. Le préfet n'avait pas à se référer dans la motivation de sa décision à une précédente mesure d'éloignement qui n'existe pas. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision en litige doit être écarté.

18. En onzième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7 du présent arrêt, les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur la situation personnelle de M. B..., doivent être écartés.

19. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions du 15 octobre 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de destination.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2306642 du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble du 10 novembre 2023 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B..., présentée devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2023 du préfet de l'Isère est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

M. Laval, premier conseiller,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 avril 2024.

Le rapporteur,

A. Porée

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY03683


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY03683
Date de la décision : 18/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Arnaud POREE
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-18;23ly03683 ?
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