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30/04/2024 | FRANCE | N°23LY01592

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 30 avril 2024, 23LY01592


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2023 par lequel le préfet de Saône-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois années.



Par un jugement n° 2300314 du 7 avril 2023, le magistrat désigné par le pré

sident du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2023 par lequel le préfet de Saône-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois années.

Par un jugement n° 2300314 du 7 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 9 mai 2023, M. A..., représenté par Me Djermoune, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 avril 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2023 par lequel le préfet de Saône-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois années ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement a été irrégulièrement rendu, dès lors qu'il n'a pu se présenter personnellement devant le tribunal ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est irrégulière dès lors que le préfet n'a pas recueilli l'avis du collège de médecins ;

- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et a méconnu son droit à une vie privée et familiale, compte tenu notamment des vingt-trois années qu'il a passées sur le territoire français en situation régulière et de la présence de sa fille, de nationalité française ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination doit être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

La requête de M. A... a été communiquée au préfet de Saône-et-Loire, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant tunisien, né en 1975 en Tunisie, a été incarcéré au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand afin de purger une peine de six mois d'emprisonnement prononcée par le tribunal judicaire de Mâcon le 2 janvier 2023, pour des faits de vol en récidive et recel de bien provenant d'un vol en récidive. A l'issue d'une procédure contradictoire, par un arrêté du 19 janvier 2023, le préfet de Saône-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. M. A... interjette appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 614-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions et délais prévus au présent chapitre, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision relative au délai de départ volontaire et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. Les dispositions du présent chapitre sont applicables au jugement de la décision fixant le pays de renvoi contestée en application de l'article L. 721-5 (...) ". Aux termes de l'article L. 614-6 du même code : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure. Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus, selon le fondement de la décision portant obligation de quitter le territoire français, aux articles L. 614-4 ou L. 614-5. ". Selon le 5ème alinéa de ce dernier article, l'audience est publique et se déroule sans conclusions du rapporteur public, en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas, et l'étranger est assisté de son conseil s'il en a un. Aux termes de l'article L. 614-15 de ce code : " Les dispositions des articles L. 614-4 à L. 614-6 sont applicables à l'étranger détenu. / Toutefois, lorsqu'il apparaît, en cours d'instance, que l'étranger détenu est susceptible d'être libéré avant que le juge statue, l'autorité administrative en informe le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné. Il est alors statué sur le recours dirigé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français selon la procédure prévue aux articles L. 614-9 à L. 614-11 et dans un délai de huit jours à compter de l'information du tribunal par l'autorité administrative. " Aux termes de l'article R. 431-1 du code de justice administrative : " " Lorsqu'une partie est représentée devant le tribunal administratif par un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2, les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire ". Enfin, aux termes de l'article R. 776-7 de ce dernier code : " Les mesures prises pour l'instruction des affaires, l'avis d'audience et le jugement sont notifiés aux parties par tous moyens ".

3. Par dérogation à l'article R. 431-1 du code de justice administrative, les dispositions spéciales précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposent une convocation personnelle du requérant à l'audience, dans les litiges relatifs aux mesures d'éloignement portés devant le tribunal administratif. Dès lors, l'étranger doit, même s'il est assisté d'un avocat, être personnellement convoqué à l'audience devant le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne.

4. Aux termes de l'article D. 215-27 du code pénitentiaire, reprenant les dispositions abrogées de l'article D. 316 du code de procédure pénale : " Le préfet apprécie si l'extraction des personnes détenues appelées à comparaître devant des juridictions ou des organismes d'ordre administratif est indispensable. Dans l'affirmative, il requiert l'extraction par les services de police ou de gendarmerie selon la distinction de l'article D. 215-26. ". Il résulte de ces dispositions que l'administration n'est pas tenue de faire droit à une demande d'extraction d'une personne détenue.

5. Il ressort des pièces du dossier de première instance que par courrier du 5 avril 2023 adressé au préfet de Saône-et-Loire, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a sollicité du préfet, en application de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des dispositions citées au point 4, qu'il procède à l'extraction de M. A..., détenu au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand. En dépit d'une demande ayant le même objet également présentée le lendemain devant le tribunal par le conseil de M. A..., la circonstance que le préfet n'a pas répondu favorablement à cette demande d'extraction par un courrier du 6 avril 2023 est sans incidence sur la régularité du jugement. Il s'ensuit que, alors par ailleurs que M. A... a été représenté à l'audience par son avocat, le moyen tiré de l'irrégularité de la tenue de l'audience et, par suite, de celle du jugement attaqué, doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Toutefois, lorsque l'étranger est assigné à résidence aux fins d'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français ou placé ou maintenu en rétention administrative en application du titre IV du livre VII, l'avis est émis par un médecin de l'office et transmis sans délai au préfet territorialement compétent. " Lorsqu'il envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, le préfet n'est tenu, en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) que s'il dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement en application du 9° de l'article L. 611-3 du même code.

7. Pour soutenir que le préfet aurait dû soumettre sa situation médicale à l'avis du collège de médecins de l'OFII, M. A... produit deux documents médicaux des 27 septembre 2022 et 24 mars 2023 émanant des Hospices Civils de Lyon dont il ne ressort pas que son état de santé nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité ni qu'il ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Il ne résulte en outre pas de l'instruction que ces documents auraient été préalablement transmis au préfet, contrairement à ce qu'indique le requérant. Par conséquent, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure précédant l'édiction de l'arrêté attaqué doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le premier juge et qui ne sont ni utilement critiqués en appel ni étayés d'éléments nouveaux, d'écarter les moyens tirés de ce que l'arrêté aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses attaches familiales en France, invoqués à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement :

10. Il résulte des points précédents que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la mesure portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

11. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. "

12. A supposer que M. A..., qui n'a pas critiqué cette décision devant le premier juge, soit recevable à le faire en cause d'appel, il ressort des motifs de celle-ci que le préfet a retenu, après avoir rappelé les dispositions citées au point précédent, que le requérant ne justifiait d'aucune circonstance humanitaire de nature à faire obstacle à l'édiction d'une interdiction de retour, ne démontrait pas l'intensité des liens qu'il pourrait conserver avec sa fille majeure de nationalité française, nonobstant l'absence de mesure d'éloignement antérieure, et qu'au vu, en dernier lieu, des dix condamnations dont il a fait l'objet de 2010 à 2023, l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée pour une période de trois ans ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dès lors que le requérant n'apporte aucun élément de nature à contredire l'appréciation ainsi faite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions rappelées au point précédent en prononçant à son encontre, au terme d'une motivation suffisante, une interdiction de retour sur le territoire français, et n'a pas entaché cette décision de disproportion ni d'erreur d'appréciation en fixant à trois ans la durée de cette interdiction, au vu notamment de son comportement représentant une menace pour l'ordre public.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 janvier 2023 du préfet de Saône-et-Loire.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. A....

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01592


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01592
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : DJERMOUNE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;23ly01592 ?
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