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02/05/2024 | FRANCE | N°22LY02256

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 02 mai 2024, 22LY02256


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



MM. A... H..., G... E... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter dans le délai de vingt-quatre heures le terrain qu'ils occupaient avec d'autres personnes à Saint-Pierre-en-Faucigny.



Par un jugement n° 2204552 du 22 juillet 2022, la magistrate désignée du tribunal a rejeté leur demande.





Procédure d

evant la cour



Par une requête enregistrée le 22 juillet 2022, MM. H..., E... et D..., représentés par Me Arvis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

MM. A... H..., G... E... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter dans le délai de vingt-quatre heures le terrain qu'ils occupaient avec d'autres personnes à Saint-Pierre-en-Faucigny.

Par un jugement n° 2204552 du 22 juillet 2022, la magistrate désignée du tribunal a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2022, MM. H..., E... et D..., représentés par Me Arvis, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement ne mentionne pas l'heure à laquelle l'instruction a été close, en méconnaissance des articles R. 741-2 et suivants du code de justice administrative, ni le caractère public de l'audience ;

- le jugement est entaché d'omissions à statuer s'agissant des deux moyens soulevés dans leur mémoire en réplique ;

- le principe du contradictoire a été méconnu ; le premier juge n'a pas versé aux débats l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 16 avril 2021 portant délégation de signature ; ils n'ont pu répliquer au mémoire produit par le préfet quelques minutes avant l'audience ;

- le mémoire en défense produit en première instance aurait dû être écarté des débats car son signataire, le secrétaire général de préfecture, ne justifie pas d'une délégation du préfet ;

- l'arrêté préfectoral a été pris par une autorité incompétente et est insuffisamment motivé ;

- il a été pris en violation du I de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 dès lors que la commune de Saint-Pierre-en-Faucigny ne dispose pas d'une aire d'accueil de grand passage et que le département de la Haute-Savoie ne respecte pas ses obligations quant à la création des aires de grand passage ;

- le préfet ne justifie pas de sa saisine par l'une des personnes énumérées par le II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 ; le président de la communauté de communes du Pays Rochois ne justifie pas de sa compétence pour prendre un arrêté interdisant le stationnement de gens du voyage et il n'est pas justifié d'un transfert de compétences à la communauté de communes en matière d'aires d'accueil de gens du voyage ;

- aucune atteinte à l'ordre public n'est démontrée.

La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie qui n'a pas produit de mémoire.

Par ordonnance du 11 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 19 juillet 2022, le préfet de la Haute-Savoie a, sur demande du président de la communauté de communes du Pays Rochois, mis en demeure les occupants d'un terrain situé sur le territoire de la commune de Saint-Pierre-en-Faucigny de quitter les lieux dans un délai de vingt-quatre heures. Par un jugement du 22 juillet 2022, dont MM. H..., E... et D... relèvent appel, la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique ". Le jugement attaqué de la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble ne comporte pas la mention de ce que l'audience a été publique. En l'absence de tout élément au dossier permettant d'estimer qu'elle l'a effectivement été, la procédure n'a pas été régulière.

3. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué et de statuer sur la demande de MM. H... et autres par la voie de l'évocation, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de régularité soulevés.

Sur la recevabilité des écritures en défense :

4. Aux termes de l'article 15 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " Le préfet prend les décisions dans les matières relevant des attributions des services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans (...) le département. ". Aux termes de l'article 45 du même décret : " (...) En cas de vacance momentanée du poste de préfet, l'intérim est assuré par le secrétaire général de la préfecture. (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier qu'il a été mis fin aux fonctions de M. F..., préfet de la Haute-Savoie, par décret du Président de la République du 7 juillet 2022, régulièrement publié au journal officiel de la République française du lendemain et que l'installation du nouveau préfet, nommé par décret du 20 juillet 2022, n'est intervenue que le 23 août 2022. Dans ces conditions, à la date de l'arrêté en litige, le 19 juillet 2022, le poste de préfet de la Haute-Savoie était momentanément vacant. Toutefois, en vertu des dispositions rappelées au point précédent, M. Fauconnier, secrétaire général de la préfecture, se trouvait chargé de l'intérim du préfet durant cette vacance et était, à ce titre, compétent pour signer le mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal le 21 juillet 2022, attribution qui relève de celles dévolues au préfet en vertu de l'article 15 précité du décret du 29 avril 2004. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander que les écritures en défense du préfet de la Haute-Savoie produites en première instance soient écartées.

Sur la légalité de l'arrêté du 19 juillet 2022 :

6. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, M. Fauconnier, secrétaire général de préfecture chargé de l'intérim du préfet de la Haute-Savoie, était compétent pour signer l'arrêté en litige.

7. En deuxième lieu, la décision en litige vise notamment l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage et le rapport établi par la gendarmerie départementale de la Haute-Savoie le 17 juillet 2022. Elle relève le risque d'atteinte à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publique engendré par l'installation des requérants sur le terrain en cause. Ainsi, et alors même que cette décision ne précise pas les modalités d'accueil des groupes de " grand passage " dans le département de la Haute-Savoie, M. H... et autres ne sont pas fondés à soutenir que cette décision ne comporte pas les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et qu'elle est ainsi insuffisamment motivée.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage : " I. Les communes participent à l'accueil des personnes dites gens du voyage et dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d'accueil ou des terrains prévus à cet effet (...) / II. Dans chaque département, (...) un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d'implantation et les communes où doivent être réalisés : / 1° Des aires permanentes d'accueil (...) / 2° Des terrains familiaux locatifs (...) / 3° Des aires de grand passage (...) / Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " I.-A.- Les communes figurant au schéma départemental et les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de création, d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires d'accueil des gens du voyage et des terrains familiaux locatifs définis aux 1° à 3° du II de l'article 1er sont tenus, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma, de participer à sa mise en œuvre. / B.- Les communes membres d'un établissement public de coopération intercommunale compétent remplissent leurs obligations en accueillant sur leur territoire les aires et terrains mentionnés au A du présent I. / L'établissement public de coopération intercommunale compétent remplit ses obligations en créant, en aménageant, en entretenant et en assurant la gestion des aires et terrains dont le schéma départemental a prévu la réalisation sur son territoire (...). ". Aux termes de l'article 9 de cette loi : " I.- Le maire d'une commune membre d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de création, d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires d'accueil des gens du voyage et des terrains familiaux locatifs définis aux 1° à 3° du II de l'article 1er peut, par arrêté, interdire en dehors de ces aires et terrains le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles mentionnées au même article 1er, dès lors que l'une des conditions suivantes est remplie : 1° L'établissement public de coopération intercommunale a satisfait aux obligations qui lui incombent en application de l'article 2 (...). II. En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. / La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques (...). ".

9. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au litige : " I (...) Par dérogation à l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est compétent en matière de réalisation d'aires d'accueil ou de terrains de passage des gens du voyage, les maires des communes membres de celui-ci transfèrent au président de cet établissement leurs attributions dans ce domaine de compétences. (...) ".

10. D'une part, il ressort des termes de l'arrêté en litige que le président de la communauté de communes du Pays Rochois, à laquelle adhère la commune de Saint-Pierre-en-Faucigny sur laquelle se trouve le terrain occupé, a demandé au préfet de la Haute-Savoie de mettre en demeure les occupants de ce terrain de quitter les lieux, conformément à ce que prévoient les dispositions combinées rappelées aux points 8 et 9. Si cet arrêté mentionne à tort que la demande porte sur la commune du président de la communauté de communes, alors que le président de la communauté de communes du Pays Rochois n'est pas maire de Saint-Pierre-en-Faucigny, cette erreur matérielle n'entache toutefois l'arrêté litigieux d'aucune illégalité, dès lors que sont précisément identifiés la nature et les lieux de l'occupation illicite ainsi que l'autorité à l'origine de la saisine du préfet.

11. D'autre part, il ressort de la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes du Pays Rochois du 19 juin 2018 publiée sur le site internet de l'intercommunalité, et qui, transmise au contrôle de légalité, était donc exécutoire à la date de l'arrêté en litige, que cet établissement public est compétent en matière d'aménagement, entretien et gestion des aires d'accueil des gens du voyage. Par suite le président de la communauté de communes du pays Rochois était compétent, en application des dispositions précitées au point 8 pour édicter un arrêté interdisant en dehors des aires et terrains d'accueil existants, le stationnement des résidences mobiles sur le territoire de la commune de Saint-Pierre-en-Faucigny. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la communauté de communes a satisfait à ses obligations prévues par le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage de la Haute-Savoie 2019-2025 à l'échéance du 1er janvier 2022, et consistant au maintien des quinze places de l'aire permanente d'accueil implantée sur le territoire de Saint-Pierre-en-Faucigny. Est ainsi sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué la circonstance qu'il n'existe aucune aire de grand passage sur le territoire de la communauté de communes, alors que le schéma départemental ne prévoyait pour celle-ci aucune obligation en ce sens, ou la circonstance que d'autres aires de grands passage prévues par le schéma départemental à l'échelle du département n'aient pas encore été réalisées en méconnaissance des objectifs assignés.

12. Par suite, le moyen tiré de ce que les requérants ne pouvaient être mis en demeure de quitter les lieux par le préfet de la Haute-Savoie, faute pour la communauté de communes du Pays Rochois de remplir les conditions posées par le I de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000, notamment de respecter ses obligations en matière de création d'aires d'accueil, n'est pas fondé et doit être écarté.

13. En quatrième lieu, le rapport du 17 juillet 2022 du groupement de gendarmerie départemental de la Haute-Savoie, visé par l'arrêté litigieux, décrit les atteintes à la tranquillité, à la salubrité et à la sécurité publiques alors constatées. Il résulte de ce rapport que plus de trois cent cinquante véhicules et caravanes étaient installés sur un terrain privé dépourvu d'installations sanitaires et de dispositif d'évacuation des eaux usées. Les branchements en eau étaient réalisés sur une borne à incendie. Un branchement électrique illicite avait été réalisé sur une borne EDF à proximité de l'entrée de l'autoroute. Compte tenu de l'emplacement du campement, situé à proximité d'habitations et en bordure d'un commerce de grande surface de bricolage, provoquant de nombreuses tensions avec les riverains et clients, et des risques d'accidents liés à la fréquentation importante de la RD 1203 desservant le terrain et la zone commerciale, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le stationnement était de nature à porter atteinte à la sécurité, la salubrité et à la tranquillité publiques.

14. En dernier lieu, le préfet de la Haute-Savoie a assorti la mise en demeure prise sur le fondement de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 d'un délai de vingt-quatre heures, délai minimal prévu par ces dispositions. Si les requérants font valoir qu'ils s'étaient engagés à libérer les terrains sous une semaine et que la taille de leur groupe nécessitait un délai plus important, ces seules circonstances ne démontrent pas qu'ils étaient dans l'impossibilité de quitter les lieux dans le délai imparti et ne caractérisent ainsi pas une erreur manifeste d'appréciation du préfet quant à la fixation du délai d'exécution de la mesure.

15. Il résulte de ce qui précède que MM. H..., E... et D... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 19 juillet 2022.

Sur la prise en charge des frais de l'instance :

16. MM. H..., E... et D... étant parties perdantes à l'instance, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2204552 du tribunal administratif de Grenoble du 22 juillet 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de MM. H..., E... et D... tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel le préfet de la Haute-Savoie les a mis en demeure de quitter dans le délai de vingt-quatre heures le terrain qu'ils occupaient avec d'autres personnes à Saint-Pierre-en-Faucigny ainsi que leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... H..., premier dénommé, pour tous les requérants, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Aline Evrard, présidente de la formation de jugement,

Mme Christine Psilakis, première conseillère,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.

La rapporteure,

C. C...

La présidente,

A. Evrard

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02256


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02256
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05-03 Police. - Polices spéciales. - Police des gens du voyage.


Composition du Tribunal
Président : Mme EVRARD
Rapporteur ?: Mme Christine PSILAKIS
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : ARVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;22ly02256 ?
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