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05/06/2003 | FRANCE | N°99MA02203

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ere chambre, 05 juin 2003, 99MA02203


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 26 novembre 1999 sous le n°99MA02203, présentée pour Mme veuve Y, Mlle Stéphanie Y, Mlle Emilie Y, demeurant ... par Me BRUNEL, avocat ;

Mme et autres demandent à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 94-68 en date du 29 septembre 1999, en tant que par ce jugement, le Tribunal administratif de Montpellier n'a que partiellement fait droit à leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice matériel et moral qu'elles ont subi du fait du décès de leur mar

i et père, M. Antonio Y, survenu le 31 août 1989 à la maison d'arrêt de Montp...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 26 novembre 1999 sous le n°99MA02203, présentée pour Mme veuve Y, Mlle Stéphanie Y, Mlle Emilie Y, demeurant ... par Me BRUNEL, avocat ;

Mme et autres demandent à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 94-68 en date du 29 septembre 1999, en tant que par ce jugement, le Tribunal administratif de Montpellier n'a que partiellement fait droit à leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice matériel et moral qu'elles ont subi du fait du décès de leur mari et père, M. Antonio Y, survenu le 31 août 1989 à la maison d'arrêt de Montpellier ;

Classement CNIJ : 60-04-03

C

2°/ de condamner l'Etat à payer à Mme Chantal la somme de 40.276,31 F à titre d'arriéré de pension alimentaire, arrêtée au 30 octobre 1999 pour Stéphanie Y ;

3°/ de condamner l'Etat à payer à Mme Chantal , pour le compte de ses filles Stéphanie et Emilie, les pensions alimentaires arrêtées par le jugement de divorce en date du 29 juin 1989 jusqu'à la cessation des études de celles-ci ;

4°/ de condamner l'Etat à payer à chacune des enfants, Stéphanie et Emilie Y, la somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

5°/ de condamner l'Etat à payer à Mme Chantal la somme de 100.000 F en réparation de son préjudice moral ;

6°/ de condamner l'Etat à leur payer la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article L.8(1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Elles font valoir que leur mari et père, incarcéré le 28 août 1989 à la maison d'arrêt de Montpellier, pour y purger une peine de cinq mois d'emprisonnement, est décédé le 31 août suivant alors qu'il avait été placé en cellule d'isolement ; que le tribunal administratif a, à juste titre, retenu par son jugement, qu'elles ne contestent pas sur ce point, le responsabilité de l'Etat dans la survenance de ce décès ; qu'elles contestent, en revanche, l'évaluation de leur préjudice telle qu'elle a été effectuée par les premiers juges ;

Elles soutiennent, en premier lieu, que c'est à tort que le tribunal administratif a limité la réparation du préjudice matériel subi au titre des pensions alimentaires à verser aux enfants Emilie et Stéphanie jusqu'à la date de leur majorité, au motif qu'il n'était pas certain que Mme ZY aurait été en mesure d'obtenir par une nouvelle saisine du juge judiciaire le versement par son ex-mari d'une contribution pour ses enfants devenus majeurs ; qu'en effet, une pension alimentaire pour l'entretien et l'éducation des enfants est due jusqu'à ce que ces derniers n'aient plus besoin de la recevoir et ne s'éteint pas à la majorité des enfants ; qu'ainsi, il était dû pour Stéphanie, devenue majeure le 25 mai 1996, et qui a poursuivi ses études une indemnité complémentaire de 40.276,31 F ; que la Cour devra également préciser que les pensions alimentaires continueront à courir jusqu'à ce que les deux enfants cessent leurs études ;

Elles soutiennent, en deuxième lieu, en ce qui concerne le préjudice moral des enfants, que la somme de 80.000 F, allouée à ce titre par le tribunal administratif pour chacune des enfants, est dérisoire et devra être portée à 500.000 F pour chacune des enfants ;

Elles soutiennent, en troisième lieu, que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté la demande de réparation du préjudice moral subi par Mme dès lors que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elle n'était pas divorcée de son mari lorsque ce dernier est décédé ; qu'en effet, le jugement de divorce du 29 juin 1989, notifié le 31 juillet 1989, n'est jamais devenu définitif du fait du décès de M . Y le 31 août 1989 ; qu'en outre, Mme n'a engagé une procédure de divorce qu'en raison de l'état d'alcoolisme de son conjoint ;

Elles soutiennent, enfin, que la somme de 6.000 F allouée par les premiers juges au titre des frais irrépétibles est insuffisante dès lors que le jugement n'a pas pris en compte les frais résultant de la procédure pénale également engagée parallèlement et n'indemnise pas les frais qu'elles ont supportés tout au long de dix ans de procédure ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er février 2000, présenté au nom de l'Etat, par le Garde des Sceaux, ministre de la justice et par lequel il demande à la Cour d'accueillir son appel incident quant au montant de la réparation du préjudice économique et pour le surplus de rejeter la requête susvisée ;

Il soutient, en premier lieu, sur le préjudice économique lié au manque à gagner correspondant au montant des contributions mises à la charge de l'ex-mari de Mme pour l'entretien et l'éducation de ses enfants jusqu'à leur majorité, que c'est à tort que les premiers juges ont indemnisé ce chef de préjudice sur la base des pensions alimentaires fixées par le jugement de divorce ; qu'en effet, ce chef de préjudice apparaît comme éventuel dès lors que cette contribution est fonction des ressources des parents et que M. Y aurait pu obtenir une réduction voire une suppression de la pension due pour ses filles ; qu'en outre, compte tenu de l'alcoolisme sévère dont souffrait la victime, qui est souvent incompatible avec l'exercice d'une activité professionnelle régulière, il ne saurait être exclu que M. Y aurait pu se trouver dans l'incapacité de satisfaire à ses obligations à l'égard de ses filles ; qu'ainsi ce manque à gagner doit être indemnisé qu'au titre de la perte de chance ; que, l'indemnité allouée à ce titre doit donc être réduite à de plus justes proportions ;

Il soutient, en deuxième lieu, en ce qui concerne le préjudice moral, que Mme n'a droit à aucune réparation à ce titre dès lors que le divorce avait été prononcé et signifié à son ex-mari avant son décès même si du fait de ce décès, cet acte n'a pas été retranscrit dans les registres de l'Etat Civil ; que s'agissant du préjudice moral des deux enfants, la somme réclamée à ce titre est excessive surtout au regard du contexte familial ; qu'en effet, il ressort du jugement du divorce que seul un droit de visite du père à exercer chez la mère était prévu par ce jugement, ce qui laisse supposer d'importantes difficultés dans les relations père/enfants ; qu'ainsi la somme allouée par les premiers juges devra être confirmée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel en vigueur jusqu'au 31 décembre 2000, ensemble le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mai 2003 :

- le rapport de Mme BUCCAFURRI, premier conseiller ;

- les observations de Me BRUNEL pour Mme Chantal ZY et Mlles Stéphanie et Emilie Y ;

- et les conclusions de M. BENOIT, premier conseiller ;

Considérant que Mme ZY et Mlles Stéphanie et Emilie Y demandent l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Montpellier en date du 29 septembre 1999, en tant que par ce jugement, le tribunal n'a que partiellement fait droit à leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice matériel et moral résultant pour elles du décès de leur époux et père, M. Antonio Y, survenu le 31 août 1989 à la maison d'arrêt de Montpellier et n'a fait droit à leur demande de remboursement de frais irrépétibles qu'à hauteur d'une somme de 6.000 F ; que, par la voie du recours incident, le Garde des Sceaux, ministre de la justice demande la réformation dudit jugement et à ce que l'indemnité à laquelle l'Etat a été condamné au titre de la réparation du préjudice matériel soit ramenée à de plus justes proportions ;

Sur l'évaluation du préjudice matériel :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un jugement de divorce prononcé le 29 juin 1989, des pensions alimentaires, d'un montant mensuel de 750 F pour chacune des enfants Emilie et Stéphanie, ont été mises à la charge de M. Y pour l'éducation et l'entretien de ses deux filles ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné l'Etat à payer à Mme ZY une indemnité d'un montant de 152.250 F en réparation du préjudice résultant pour l'intéressée du manque à gagner correspondant au montant des pensions alimentaires mensuelles, auxquelles elle pouvait prétendre en exécution d'un jugement de divorce et dont elle avait été privée par le décès de son ex-conjoint ; que les premiers juges ont estimé que ce chef de préjudice devait être calculé jusqu'à ce que les deux enfants aient atteint l'âge de la majorité dès lors qu'il n'était pas certain que Mme ZY aurait été en mesure d'obtenir, par une nouvelle saisine du juge judiciaire compétent, le versement par son ex-conjoint d'une contribution pour ses enfants devenus majeurs ;

Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient le ministre, par la voie de l'appel incident, ce chef de préjudice, alors que les contributions pour l'éducation et l'entretien des enfants de M. Y avaient été mises à la charge de ce dernier par une décision judiciaire, ne présente pas un caractère purement éventuel ; que le ministre n'établit pas, par ses simples allégations, que, compte tenu de la situation personnelle et l'état d'intempérance de M. Y, ce dernier n'aurait pas été à même d'assumer ses obligations à l'égard de ses enfants ; que le ministre n'est par suite pas fondé à soutenir que ledit préjudice aurait dû être évalué au titre seulement d'une perte de chance ; qu'ainsi c'est à juste titre que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont, pour évaluer ce chef de préjudice, pris en compte les contributions mises à la charge de M. Y par le jugement du divorce précité ; que l'appel incident formé par le ministre doit, dès lors, être rejeté ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions des articles 288 et 293 du code civil que les contributions versées, pour l'éducation et l'entretien des enfants, par un parent divorcé au parent chez qui résident habituellement les enfants, sont dues, en l'absence de disposition contraire dans le jugement de divorce, jusqu'à ce que les enfants concernés soient en mesure de subvenir eux-mêmes à leurs besoins ; que dans cette hypothèse, lesdites contributions doivent être versées alors même que les enfants en cause ont atteint leur majorité et quand bien même le parent assumant principalement la charge financière de ces enfants n'aurait pas, à la date de leur majorité, saisi le juge compétent en vertu des dispositions de l'article 295 du code civil ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le jugement de divorce prononcé le 29 juin 1989 ne dispose pas que les pensions alimentaires mises à la charge de M. Y ne seraient dues que jusqu'à ce que les enfants Emilie et Stéphanie aient atteint l'âge de leur majorité ; qu'il résulte de ce qui a été rappelé ci-dessus que les appelantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que ce chef de préjudice ne pouvait être indemnisé que jusqu'à la majorité des enfants Emilie et Stéphanie ; que, toutefois, pas plus en appel qu'en première instance, au cours de laquelle n'ont été produits au dossier que des certificats attestant de l'inscription en collège d'Emilie et Stéphanie, les appelantes ne justifient, qu'à la date de leur majorité, les enfants Emilie et Stéphanie n'étaient pas en mesure de subvenir par elles-mêmes à leurs besoins notamment en poursuivant des études après cet âge ; que, par suite, les appelantes ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le préjudice matériel subi par Mme ZY a été limité à la somme de 152.250 F ;

Sur le préjudice moral :

Considérant, en premier lieu, qu'ainsi que l'ont à juste titre estimé les premiers juges, Mme ZY, qui était divorcée de M. Y au moment du décès de ce dernier en vertu du jugement de divorce prononcé le 29 juin 1989 et signifié à son ex-conjoint le 31 juillet suivant, ne peut prétendre à titre personnel à l'indemnisation d'aucun préjudice moral alors même que, du fait du décès de son ex-conjoint, ledit jugement de divorce ne serait pas devenu définitif et n'aurait pas été retranscrit dans les actes de l'Etat civil ;

Considérant, en second lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une insuffisante évaluation du préjudice moral subi par les enfants Emilie et Stéphanie du fait du décès de leur père, en allouant pour chacune d'entre elles une somme de 80.000 F ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les appelantes ne sont pas fondées à demander la réformation du jugement contesté en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à leurs conclusions indemnitaires ;

Sur la condamnation prononcée en première instance au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel alors en vigueur : Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées des considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;

Considérant d'une part qu'il résulte des termes mêmes des dispositions précitées que les premiers juges n'avaient pas, pour l'application desdites dispositions, à prendre en compte les frais engagées par Mme ZY et Mlles Y au cours d'une instance pénale engagée devant les tribunaux judiciaires dès lors que lesdits frais ne se rattachaient pas à l'instance pendante devant eux ; que d'autre part, il ne résulte pas de l'instruction qu'en allouant aux requérantes une somme de 6.000 F au titre des frais non compris dans les dépens qu'elles avaient exposés devant le tribunal administratif, les premiers juges aient fait une inexacte application des dispositions législatives précitées ; que, par suite, les appelantes ne sont pas fondées à demander la réformation du jugement attaqué sur ce point ;

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à payer à Mme ZY et à Mlles Y, une somme au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les consorts Y et le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement attaqué ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête des consorts Y est rejetée.

Article 2 : L'appel incident du Garde des Sceaux, ministre de la justice, est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme ZY, à Mlles Stéphanie et Emilie Y et au Garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de l'audience du 7 mai 2003, où siégeaient :

M. ROUSTAN, président de chambre,

M. HERMITTE et Mme BUCCAFURRI, premiers conseillers,

assistés de Mme RANVIER, greffier ;

Prononcé à Marseille, en audience publique le 5 juin 2003.

Le président, Le rapporteur,

Signé Signé

Marc ROUSTAN Isabelle BUCCAFURRI

Le greffier,

Signé

Patricia RANVIER

La République mande et ordonne au Garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

N°99MA02203 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 99MA02203
Date de la décision : 05/06/2003
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROUSTAN
Rapporteur ?: Mme BUCCAFURRI
Rapporteur public ?: M. BENOIT
Avocat(s) : BRUNEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2003-06-05;99ma02203 ?
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