La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/11/2006 | FRANCE | N°02MA02145

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre - formation à 3, 23 novembre 2006, 02MA02145


Vu la requête transmise par télécopie, enregistrée le 23 décembre 2002, présentée pour la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE (SCI) SUZANNE GIL, représentée par son gérant en exercice, dont le siège social est 26 rue du Bivouac Napoléon à Cannes (06400) par Me Linotte, avocat ; la SCI SUZANNE GIL demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 98-2067 en date du 22 novembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Ville de Cannes à lui payer une indemnité de 898 950 francs, assortie des intérêts à compter de l'e

nregistrement de sa demande, en réparation du préjudice qu'elle a subi à la ...

Vu la requête transmise par télécopie, enregistrée le 23 décembre 2002, présentée pour la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE (SCI) SUZANNE GIL, représentée par son gérant en exercice, dont le siège social est 26 rue du Bivouac Napoléon à Cannes (06400) par Me Linotte, avocat ; la SCI SUZANNE GIL demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 98-2067 en date du 22 novembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Ville de Cannes à lui payer une indemnité de 898 950 francs, assortie des intérêts à compter de l'enregistrement de sa demande, en réparation du préjudice qu'elle a subi à la suite de deux arrêtés illégaux en date des 16 et 17 avril 1992 par lesquels le maire de la Ville de Cannes a, d'une part, retiré le permis de construire qui lui avait été délivré le 18 février 1992 et, d'autre part, ordonné l'interruption des travaux ;

2°/ de faire droit à sa demande de première instance et de condamner la Ville de Cannes à lui payer une indemnité de 137 044,04 euros, assortie des intérêts et capitalisation des intérêts ;

3°/ de condamner la Ville de Cannes à lui verser une somme de 4 573,47 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative;

...........................................................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 novembre 2006,

- le rapport de Mme Buccafurri, rapporteur ;

- les observations de Me Party, substituant Me Linotte, pour la SCI SUZANNE GIL représentée par son gérant M. Alain Chouraqui :

- et les conclusions de M. Cherrier, commissaire du gouvernement ;

Considérant que la SCI SUZANNE GIL relève appel du jugement susvisé en date du 22 novembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Ville de Cannes à réparer le préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait du retrait illégal, opéré par un arrêté municipal du 16 avril 1992, du permis de construire qui lui avait été délivré le 18 février 1992 pour la surélévation d'un bâtiment existant;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la Ville de Cannes à la requête d'appel :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande de première instance a été déposée devant le tribunal administratif par M. Chouraqui, agissant ès-qualité de gérant de la SCI SUZANNE GIL, qui était mentionnée comme étant «l'exposante» ; que, par suite, la Ville de Cannes n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance aurait été formulée par M.Chouraqui, à titre personnel ; que, la circonstance, invoquée par la Ville de Cannes, que la réclamation préalable aurait été formulée par M. Chouraki, à titre personnel est, par elle-même sans incidence sur la qualité et l'intérêt à faire appel de la SCI SUZANNE GIL ; qu'il suit de là que la SCI SUZANNE GIL, ayant été partie à la première instance, justifie de sa qualité à faire appel du jugement attaqué, qui lui fait grief ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de cette fin de non recevoir invoqué par la société appelante, la Ville de Cannes n'est pas fondée à soutenir que la requête d'appel serait irrecevable ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du commissaire du gouvernement, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ainsi que de la viser sans l'analyser ; que, s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la SCI SUZANNE GIL a adressé au Tribunal administratif de Nice une note en délibéré, par voie de télécopie le 18 novembre 2002, authentifiée par un exemplaire original, enregistré au greffe du tribunal le 20 novembre 2002, soit après la séance publique mais avant la lecture du jugement ; qu'il résulte de l'examen de la minute du jugement attaqué que cette note en délibéré n'est pas visée ; que, par suite, la SCI SUZANNE GIL est fondée à soutenir que le jugement contesté est entaché d'irrégularité et à demander, pour ce motif, son annulation ;

Considérant qu'il a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SCI SUZANNE GIL devant le Tribunal administratif de Nice ;

Sur les fins de non recevoir opposées en appel par la Ville de Cannes à la demande de première instance :

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction qu'une réclamation préalable a été adressée le 19 mai 1998 à la Ville de Cannes par M. Chouraqui, agissant ès-qualité de gérant de la SCI SUZANNE GIL et qu'ainsi, cette réclamation préalable doit être regardée, contrairement à ce que soutient la Ville de Cannes, comme ayant été présentée par la SCI SUZANNE GIL et non par M. Chouraqui, à titre personnel ; que, la fin de non recevoir opposée à ce titre doit, dès lors, être écartée ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que la SCI SUZANNE GIL recherchait la responsabilité de la Ville de Cannes notamment à raison de l'illégalité du retrait opéré le 16 avril 1992 par le maire, agissant au nom de la commune ; que sa demande indemnitaire dirigée contre la Ville de Cannes, à ce titre, était, dès lors, recevable alors même que la société requérante n'était pas recevable à rechercher la responsabilité de cette collectivité à raison de l'illégalité de l'arrêté interruptif de travaux du 17 avril 1992, pris par le maire, agissant au nom de l'Etat ; que cette fin de non recevoir doit, par suite, être écartée ;

Au fond :

Sur la responsabilité de la Ville de Cannes :

Considérant que, par un arrêt en date du 10 octobre 2003, le Conseil d'Etat a confirmé le jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 23 octobre 1997 annulant pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 avril 1992 par lequel le maire de la Ville de Cannes a procédé au retrait du permis de construire délivré le 18 février 1992 à la SCI SUZANNE GIL ; que cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de la Ville de Cannes ;

Sur le préjudice :

Considérant que la SCI SUZANNE GIL a droit à la réparation des préjudices directs et certains résultant du retrait illégal du 16 avril 1992 ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des correspondances échangées entre l'architecte de la SCI SUZANNE GIL et les services municipaux, que la SCI SUZANNE GIL a interrompu les travaux de surélévation du bâtiment existant, autorisés par le permis de construire qui lui avaient été délivré le 18 février 1992, à la suite du retrait opéré par le maire le 16 avril 1992 ; qu'il résulte des pièces produites en appel par la société requérante, que cette dernière a dû faire procéder à des travaux de mise en sécurité du chantier et des travaux destinés à la conservation des ouvrages partiellement réalisés et a été contrainte de mettre en place un échafaudage volant, afin d'assurer la protection des appareils de climatisation et d'appliquer une couche de fixation pour peinture sur la façade ; que la SCI SUZANNE GIL établit, par la production des devis estimatifs de ces travaux, des ordres de services établis par son architecte à l'égard de la société Bâtiment de Provence chargée de l'exécution des travaux de surélévation, et la situation de travaux n° 4 relative notamment aux travaux supplémentaires exécutés par cette entreprise, la réalité des travaux ainsi effectués et qui résultent directement de la décision illégale de retrait ; que, par suite, la SCI SUZANNE GIL est fondée à demander la réparation de ce préjudice qui présente un caractère direct et certain, et dont les pièces versées au dossier permettent de l'évaluer à la somme totale de 2 929, 24 euros ;

Considérant, en deuxième lieu, que si la SCI SUZANNE GIL soutient qu'elle aurait exposé des frais pour remédier à la dégradation des ouvrages de climatisation, elle n'établit pas, par la seule production de devis établis en octobre 1997, et faisant état d'une mise en conformité de ces installations, que la dépose et la remise en place des appareils en question seraient la conséquence d'une dégradation de ces ouvrages directement liée à l'interruption des travaux consécutive au retrait illégal du permis de construire ; qu'il en est de même des frais de reprise des arêtiers, des encadrements de fenêtres, des reprises d'enduits et de maçonnerie, cités dans un devis établi le 6 décembre 1997, et dont aucune des mentions ne précise qu'ils ont été exposés pour remédier à la dégradation du bâtiment pendant l'interruption des travaux ; que, par suite, la

société appelante n'établit pas que les frais ainsi exposés résultent directement du comportement fautif de l'administration ; que ces chefs de préjudices doivent, dès lors, être écartés ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il n'est pas établi que la baisse du chiffre d'affaires constatée en 1992 du commerce de bijouterie, exploitée par M. Chouraqui au rez-de-chaussée du bâtiment existant, résulterait directement de l'interruption du chantier relatif à la surélévation dudit bâtiment ; qu'en tout état de cause, le préjudice allégué n'a pas été subi par la SCI SUZANNE GIL, dont l'objet ne consistait pas dans l'exploitation de ce commerce, mais par M. Chouraqui à titre personnel ; que, par suite, ce chef de préjudice doit être écarté ;

Considérant, en quatrième lieu, alors qu'il résulte de l'instruction que le bâtiment existant comporte trois niveaux à usage d'habitation et que le niveau, devant faire l'objet de la surélévation comportait une seule chambre et une salle de bains, qu'il n'est pas établi que M. et Mme Chouraqui auraient été contraints de supporter des frais de locations qui seraient directement liés à l'interruption des travaux ; qu'en tout état de cause, le préjudice allégué a été subi par M. et Mme Chouraqui, à titre personnel, et non par la SCI SUZANNE GIL ; que, dès lors, ce chef de préjudice doit être écarté ;

Considérant, en cinquième lieu, que la SCI SUZANNE GIL, qui a contracté un emprunt en vue de la réalisation des travaux de surélévation, aurait dû s'acquitter des intérêts liés aux mensualités d'emprunt même dans l'hypothèse où elle aurait pu mener à bien son opération de construction ; que la société appelante n'établit pas ni même n'allègue qu'elle aurait été contrainte de recourir, pendant la durée de l'interruption des travaux, à des financements dont les conditions auraient été moins favorables que celles qui lui avaient été primitivement consenties ; que, par suite, la société appelante n'est pas fondée à demander le remboursement des intérêts qu'elle a acquittés en exécution du contrat de prêt ; qu'elle n'établit pas avoir subi une préjudice du fait de l'immobilisation d'un capital ;

Considérant, en sixième lieu, que la SCI SUZANNE GIL n'est pas recevable à solliciter, dans le cadre de la présente instance, le remboursement des honoraires d'avocat et des frais de déplacement qu'elle a supportés dans les procédures contentieuses antérieures engagées contre le retrait illégal du permis de construire dès lors que les procédures en cause à l'occasion desquelles elle aurait pu présenter des conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ont pris fin ; que, dès lors, ce chef de préjudice doit être écarté ;

Considérant, enfin, que la SCI SUZANNE GIL, en sa qualité de personne morale, ne peut réclamer une indemnité au titre de prétendus troubles dans les conditions d'existence ; que la SCI appelante ne démontre pas qu'elle aurait subi à raison du retrait illégal un préjudice moral, et notamment une atteinte à sa réputation ; que, par suite, ces chefs de préjudices doivent être écartés ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SCI SUZANNE GIL est seulement fondée à demander que la Ville de Cannes soit condamnée au versement d'une indemnité de 2 929, 24 euros ;

Sur les intérêts :

Considérant que la SCI SUZANNE GIL a droit aux intérêts au taux légal sur la somme précitée de 2 929,24 euros, à compter de la date d'enregistrement de sa demande de première instance, comme elle le réclame, soit le 20 mai 1998 ;

Sur la capitalisation des intérêts :

Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : «Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière» ; que pour l'application des dispositions précitées la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; qu'il résulte de l'instruction que la capitalisation des intérêts a été demandé pour la première fois par la SCI SUZANNE GIL, dans sa requête d'appel, enregistrée le 23 décembre 2002 ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SCI SUZANNE GIL, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer à la Ville de Cannes une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner la Ville de Cannes à verser à la SCI SUZANNE GIL la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Nice du 22 novembre 2002 est annulé.

Article 2 : La Ville de Cannes est condamnée à payer à la SCI SUZANNE GIL une indemnité de 2 929, 24 euros (deux mille neuf cent vingt-neuf euros et vingt-quatre centimes). Ladite somme portera intérêt au taux légal à compter du 20 mai 1998. Les intérêts échus à la date du 23 décembre 2002 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La Ville de Cannes versera à la SCI SUZANNE GIL une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et de la demande présentée devant le Tribunal administratif de Nice par la SCI SUZANNE GIL est rejeté.

Article 5 : Les conclusions formulées par la Ville de Cannes sur le fondement de l'article L.761 ;1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI SUZANNE GIL, à la Ville de Cannes et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.

2

N° 02MA02145


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 02MA02145
Date de la décision : 23/11/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROUSTAN
Rapporteur ?: Mme Isabelle BUCCAFURRI
Rapporteur public ?: M. CHERRIER
Avocat(s) : LINOTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2006-11-23;02ma02145 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award