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17/04/2012 | FRANCE | N°10MA01616

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 17 avril 2012, 10MA01616


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 26 avril 2010 sous le n° 10MA01616, présentée par Me Berliner, avocat, pour M. Henri A, demeurant au ... ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702163 du 26 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation l'Etat à lui payer une indemnité de 15 000 euros en réparation des conséquences dommageables du harcèlement moral dont il estime être victime, ensemble à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au titre de l'arti

cle L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner l'Etat (mi...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 26 avril 2010 sous le n° 10MA01616, présentée par Me Berliner, avocat, pour M. Henri A, demeurant au ... ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702163 du 26 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation l'Etat à lui payer une indemnité de 15 000 euros en réparation des conséquences dommageables du harcèlement moral dont il estime être victime, ensemble à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner l'Etat (ministère de l'intérieur) à lui verser ladite indemnité de 15 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat (ministère de l'intérieur) la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 mars 2012 :

- le rapport de M. Brossier, rapporteur,

- et les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public ;

Sur la recevabilité des conclusions de M. A devant la Cour :

Considérant, d'une part, que le ministre intimé oppose l'irrecevabilité de la requête introductive d'appel au motif de son insuffisante motivation ; qu'il ressort toutefois de la lecture même de cette requête qu'elle critique de façon suffisamment motivée la réponse des premiers juges rejetant la demande de M. A tendant alors à la réparation, à hauteur de 15 000 euros, des conséquences dommageables du harcèlement moral dont il estime être victime ;

Considérant, d'autre part, que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ;

Considérant que M. A demande pour la première fois devant la Cour, par mémoire du 14 mars 2012, la somme de 32 599,16 euros en réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi ; qu'il résulte de l'instruction que cette demande nouvelle correspond au manque à gagner que l'intéressé estime subir du fait de la sanction d'abaissement de deux échelons, qui lui a été infligée pour ivresse publique peu de temps avant sa mise à la retraite, ce qui a diminué le montant de la liquidation de sa pension ; qu' à supposer que l'appelant invoque à cet égard l'illégalité de cet abaissement de deux échelons, motif pris de l'irrégularité de la procédure devant le conseil de discipline, cette demande ne se rattache pas au même fait générateur invoqué en première instance, le harcèlement moral, mais aux conséquences financières de la faute spécifique de l'avoir illégalement sanctionné d'un abaissement de deux échelons à l'issue d'une procédure irrégulière ; qu'il s'ensuit que les conclusions de

M. A tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 32 599,16 euros sont irrecevables en tant qu'elles se rattachent aux conséquences financières de l'illégalité alléguée de cet abaissement d'échelon ;

Sur le bien-fondé des conclusions de M. A tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les conséquences dommageables du harcèlement moral qu'il estime avoir subi :

Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, issu de l'article 178 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 : "Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel..." ; qu'indépendamment des dispositions précités issues de la loi du 17 janvier 2002 introduisant la qualification de harcèlement moral dans le statut de la fonction publique et prohibant un tel harcèlement, un comportement vexatoire de l'administration à l'encontre d'un agent sur une longue durée constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration ; qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que si dans le cadre de l'affaire de la consultation illégale du fichier confidentiel Cheops, M. A a été sanctionné le 15 février 2002 d'un blâme pour avoir prêté son concours à l'utilisation frauduleuse de ce fichier au profit d'anciens fonctionnaires de la police nationale dans leurs nouvelles activités d'enquêteurs privés, il n'apporte aucun commencement de preuve de nature à établir que cette sanction, désormais effacée de son dossier, aurait été entachée d'une quelconque illégalité, ou aurait été prise dans un but vexatoire, alors même que l'intéressé n'a pas été le seul fonctionnaire de la police nationale à avoir été sanctionné dans cette affaire ; que si M. A a été par ailleurs sanctionné le 26 novembre 2004 d'un abaissement de deux échelons pour le fait d'ivresse publique au caractère aggravé commis en décembre 2002, il n'apporte non plus aucun commencement de preuve de nature à établir que cette seconde sanction serait entachée d'une quelconque illégalité, notamment d'une erreur de fait, ou aurait été prise dans un but vexatoire ; que la durée de la procédure disciplinaire n'est pas à cet égard un commencement de preuve suffisant ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'aucun élément versé au dossier n'apporte un commencement de preuve établissant que l'affectation de M. A en septembre 2003 au sein du service de l'identité judiciaire n'aurait pas été prise dans l'intérêt du service, mais uniquement dans le but de lui nuire ou de l'écarter de son précédent service où il estime que sa présence était devenue "gênante" dans le contexte susmentionné de l'utilisation frauduleuse de données informatisées ; qu'à cet égard, et compte tenu de la nature même de ses fonctions de policier, la circonstance que cette mutation interne l'ait affecté dans un quartier dit sensible ne saurait être regardée comme un commencement de preuve suffisant de nature à établir qu'elle a été prise dans un but vexatoire ; que l'appelant n'apporte non plus aucun commencement de preuve de nature à établir son allégation selon laquelle cette nouvelle affectation aurait été en réalité une "mise au placard" ;

Considérant, en troisième lieu, et s'agissant de la demande de départ à la retraite anticipée de l'intéressé, qu'il résulte de l'instruction que l'intéressé, né en décembre 1951, après être revenu sur sa première demande en ce sens au cours de l'été 2003, s'est d'abord vu opposer le 18 novembre 2004 un refus à sa demande du 15 novembre 2004, avant d'être finalement admis à la retraite en janvier 2005 à l'âge de 53 ans ; qu'aucun élément versé au dossier n'apporte un commencement de preuve de nature à établir que le refus du bénéfice de la mise à la retraite anticipée en date du 18 novembre 2004 aurait été pris dans un but vexatoire, dès lors que dans le cadre de la procédure disciplinaire alors en cours, le conseil de discipline s'était prononcé le 4 novembre 2004 et que l'administration a pris la décision de reporter la date de la mise à la retraite anticipée afin de prendre entre temps la sanction d'abaissement de deux échelons du 26 novembre 2004 pour le fait d'ivresse publique commis le 2 décembre 2002 ; que cette chronologie a consisté à éviter que la mise à la retraite anticipée, demandée à la suite de l'avis rendu par le conseil de discipline, n'ôte en pratique toute conséquence au prononcé de la sanction, sans que cela révèle une volonté de nuire de l'administration ; qu'enfin, la circonstance que la décision de liquidation de pension ait été entachée d'une erreur de calcul, qui a justifié son annulation juridictionnelle et provoqué par suite une nouvelle liquidation, ne peut démontrer, par elle-même, une intention de son employeur de le harceler ou de continuer de le harceler après la cessation de ses fonctions, compte tenu notamment de l'absence de tout lien hiérarchique entre le service du ministère de l'intérieur qui a géré la carrière de l'appelant et le service distinct des pensions qui a commis l'erreur de calcul annulée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, dans la problématique de la charge de la preuve applicable aux allégations de harcèlement moral, les faits susmentionnés pris indépendamment ou dans leur ensemble, ne peuvent être regardés comme constitutifs d'agissements vexatoires répétés, ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de M. A, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que M. A n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal, par le jugement attaqué, a rejeté sa demande indemnitaire d'un montant de 15 000 euros tendant à la réparation du préjudice moral né du harcèlement moral invoqué ; qu'à supposer que M. A entende rattacher par ailleurs au même fait générateur de harcèlement moral sa demande nouvelle en appel de réparation d'un préjudice financier à hauteur de 32 599,16 euros, cette demande nouvelle doit être rejetée par voie de conséquence et pour le même motif, en l'absence d'harcèlement moral ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la partie intimée, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à l'appelant la somme qu'il demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'appelant la somme réclamée par le ministre intimé au titre de ses frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête n° 10MA01616 de M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la partie intimée tendant au remboursement de ses frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Henri A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

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N° 10MA016162


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA01616
Date de la décision : 17/04/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste BROSSIER
Rapporteur public ?: Mme VINCENT-DOMINGUEZ
Avocat(s) : SCP FRANCK BERLINER DUTERTRE LACROUTS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-04-17;10ma01616 ?
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