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05/11/2012 | FRANCE | N°10MA01772

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 05 novembre 2012, 10MA01772


Vu la requête, enregistrée le 7 mai 2010, présentée pour Mme Monique B demeurant ..., par Me Beyrand ; Mme B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801279 en date du 25 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité son préjudice à la somme de 37 835,11 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Ajaccio à réparer son entier préjudice et à lui verser la somme de 156 035,11euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ajaccio, outre les dépens, la somme de 2 500 euros au titre des frais d'instance ;


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Vu la requête, enregistrée le 7 mai 2010, présentée pour Mme Monique B demeurant ..., par Me Beyrand ; Mme B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801279 en date du 25 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité son préjudice à la somme de 37 835,11 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Ajaccio à réparer son entier préjudice et à lui verser la somme de 156 035,11euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ajaccio, outre les dépens, la somme de 2 500 euros au titre des frais d'instance ;

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Vu le jugement attaqué ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 octobre 2012,

- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteure ;

- les conclusions de Mme Fedi, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Beyrand pour Mme B ;

1. Considérant que Mme B relève appel du jugement du 25 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 37 835,11 euros l'indemnisation de son préjudice imputable à une erreur de diagnostic commise le 29 août 2005 par le centre hospitalier d'Ajaccio ; que Mme B demande à la cour de condamner le centre hospitalier d'Ajaccio à lui verser la somme de 156 035,11 euros en réparation de son entier préjudice ; que le centre hospitalier d'Ajaccio demande à la cour de confirmer le jugement qui a estimé que le comportement du compagnon de Mme B et du directeur du centre de plongée avait concouru au retard dans la prise en charge de cette dernière et était de nature à exonérer pour moitié sa responsabilité ; que la caisse primaire d'assurance maladie demande à la cour de porter la somme de 74 449,27 euros que le centre hospitalier a été condamnée à lui payer à 154 733,65 euros ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B, après une plongée en bouteille dans la matinée du 29 août 2005 au large de Bonifacio, a présenté aux environs d'onze heures à la sortie de l'eau une douleur thoracique, des difficultés à la marche ainsi que des fourmillements dans les membres inférieurs ; que le directeur du centre de plongée a contacté par téléphone, vers 11 heures 15, un médecin hyperbariste du centre hospitalier d'Ajaccio qui a diagnostiqué, selon les symptômes décrits, une tétanie et a conseillé de le recontacter en cas d'aggravation de l'état de l'intéressée ; qu'une heure après, de retour au port, Mme B, souffrant de vives céphalées, n'a pu déjeuner et son compagnon, après l'avoir transportée jusqu'à leur camping-car, l'y a laissée à 14 heures pour s'y reposer avant de rejoindre l'équipe de plongée ; qu'aux environs de 16 heures, l'état de santé de Mme B s'aggravant, l'intéressée s'est rendue par ses propres moyens au club de plongée qui a fait appel aux pompiers qui l'ont transportée au centre hospitalier de Bonifacio où a été diagnostiqué un accident de décompression ; que la victime a été évacuée au centre hospitalier d'Ajaccio où elle a été prise en charge au service hyperbare vers 19 heures et où elle a été placée dans un caisson de décompression ; que Mme B, malgré les soins apportés, reste atteinte d'une paraplégie ;

3. Considérant, d'une part, qu'il résulte du rapport de l'expertise diligentée devant le tribunal de grande instance de Paris rédigé par un praticien expert en anesthésiologie réanimation, qui s'est adjoint un sapiteur neurologue, que les accidents de décompression neurologiques médullaires pouvant être brutaux ou insidieux, toute évocation d'un tel d'accident, compte-tenu de l'urgence de la mise en oeuvre d'un traitement spécifique, impose une évacuation sanitaire, un examen par un médecin spécialiste en hyperbarie ou, au minimum, par un neurologue ; qu'en l'espèce, le praticien du centre hospitalier d'Ajaccio, spécialiste en hyperbarie, aurait dû, à la suite de l'appel du directeur du centre de plongée s'assurer, en envoyant une équipe du SAMU, des symptômes de la victime pour s'assurer s'il ne s'agissait pas d'une décompression, accident récurent en matière de plongée sous-marine et ordonner, si nécessaire, son évacuation sanitaire ; qu'il résulte, en outre, des éléments de l'expertise que la distinction entre accident mineur ou accident grave ne doit pas modifier la conduite à tenir qui doit rester univoque et que la recompression thérapeutique doit toujours être commencée le plus rapidement possible ; que cette erreur de diagnostic, ainsi que l'ont estimé les premiers juges et que le soutient Mme B, est de nature à entraîner la responsabilité du centre hospitalier d'Ajaccio ;

4. Considérant, d'autre part, que le centre hospitalier d'Ajaccio soutient, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, que le comportement du compagnon de Mme B et du directeur du centre de plongée, qui ont laissé l'intéressée seule sans surveillance à 14 heures afin de poursuivre leur activité de plongée l'après-midi, a contribué à la réalisation du dommage de la victime et est de nature à exonérer de moitié sa propre responsabilité ; que, toutefois, cette attitude, certes pour le moins insouciante de l'entourage de Mme B, à la supposer fautive, n'est pas de nature à exonérer de sa responsabilité l'établissement public, qui est, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, engagée à raison de l'erreur diagnostique et thérapeutique commise lors du contact téléphonique d'onze heures quinze, soit avant que le compagnon de Mme B et le directeur du centre de plongée ne laissent seule et sans surveillance cette dernière avant de repartir plonger en mer ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne l'étendue de la réparation :

5. Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'en l'espèce, le tribunal administratif de Bastia ne s'étant prononcé ni sur cette perte de chance, ni par voie de conséquence sur la fraction des préjudices invoqués par Mme B susceptibles de faire l'objet d'une indemnisation, il y a lieu pour la cour de procéder à cette détermination ;

6. Considérant qu'il résulte des éléments documentés de l'expertise judiciaire et non contestés par les parties, qu'en cas d'accident de plongée de loisir, la récupération complète des victimes est d'autant plus fréquente que le traitement par oxygénothérapie hyperbare est appliqué précocement après la survenue de l'accident et que l'évacuation en direction du caisson OHB (oxygénothérapie hyperbare) le plus proche doit se faire, dans l'idéal, en moins de une à quatre heures ; que, nonobstant la circonstance que l'homme de l'art n'a pas précisé le pourcentage de séquelles lié au délai supplémentaire consécutif à l'absence de déclenchement de l'intervention du SAMU ou de sapeurs pompiers ou d'un médecin neurologue dès l'appel téléphonique en fin de matinée au spécialiste hyperbariste du centre hospitalier de Bastia qui aurait permis de poser le diagnostic précis, compte-tenu des éléments de l'expertise et des éléments qui précèdent, la faute commise par le centre hospitalier de Bastia a fait perdre à Mme B une chance d'échapper aux séquelles dont elle a été victime qui doit, dans les circonstances de l'espèce, être estimée aux deux-tiers des dommages ; qu'il y a lieu de réformer le jugement attaqué sur ce point ;

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

S'agissant des préjudices à caractère patrimonial :

Quant aux dépenses de santé :

7. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Paris justifie avoir pris en charge des dépenses de santé pour le compte de son assurée Mme B d'un montant de 132 960,90 euros, que le centre hospitalier ne conteste pas leur imputation aux dommages qu'il est tenu de réparer ; que, compte tenu de la fraction de deux-tiers retenue ci-dessus, il y a lieu de lui accorder le remboursement de la somme de 88 640,60 euros ; que les frais médicaux, de pharmacie et de kinésithérapie futurs dont il résulte de l'instruction et notamment d'une attestation du praticien conseil de l'organisme social datée du 1er décembre 2009 non contestée par le centre hospitalier de Bastia et corroborée par les éléments de l'expertise, qu'ils sont nécessités par l'état de Mme B alors même qu'ils ne seront dus qu'au fur et à mesure des débours, devront être remboursés par ledit centre hospitalier à concurrence des sommes effectivement versées par la caisse dans la limite d'un capital qui compte tenu de la fraction de perte de chance retenue doit être fixé à la somme de 23 760 euros ;

Quant aux pertes de revenus :

8. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la caisse primaire d'assurance maladie de Paris a versé à Mme B la somme de 21 772,75 euros d'indemnités journalières pour la période du 1er septembre 2005 au 30 juin 2007 ; que, compte tenu de la fraction de deux-tiers retenue ci-dessus, il y a lieu de lui accorder le remboursement de la somme de 14 515,17 euros ;

9. Considérant, d'autre part, que Mme B, âgée de 61 ans et demi à la date des faits litigieux, exerçant la profession de secrétaire médicale et dont l'état s'est consolidé le 12 novembre 2007, est aujourd'hui atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 35 % ; qu'au vu des avis d'impositions versés à l'instance, durant l'année 2004, précédant son accident de décompression, Mme B justifie de revenus annuels de 19 891 euros, durant l'année 2005, elle justifie de revenus annuels de 19 665 euros et durant l'année 2006, elle justifie de revenus annuels de son employeur de 1 556 euros ; qu'ainsi, au vu de ces éléments fiscaux et en tenant compte, sur la période du déficit fonctionnel total temporaire du 29 août 2005 au 1er juillet 2007 des versements par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris des indemnités journalières pour des montants en 2005 à hauteur de 3 899,12 euros, en 2006 de 11 877,10 euros et en 2007 de 5 996,53 euros, les pertes correspondantes de revenus de Mme B s'élèvent à 10 636 euros ; que, compte tenu de la fraction de deux-tiers retenue ci-dessus, il y a lieu de lui accorder, au titre de la perte de revenus antérieure à la date de la consolidation de son état de santé, la somme de 7 100 euros ; que, par ailleurs, il résulte de l'instruction que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a accordé à Mme B une carte d'invalidité en lui reconnaissant un taux d'incapacité de 80 % par une décision du 6 février 2007 et qu'elle a été admise à la retraite à compter du 1er juillet 2007 pour inaptitude au travail ; qu'elle soutient que sans cet accident de décompression, elle aurait exercé son activité professionnelle jusqu'à l'âge de 65 ans ; que le centre hospitalier ne conteste pas sérieusement cette allégation ; qu'elle estime cette perte de revenus à la somme forfaitaire de 25 000 euros au vu du montant de sa pension et de la déclaration de ses revenus pour l'année 2008 ; que compte-tenu des éléments au dossier, il y a lieu de fixer la perte de revenus subie par Mme B du fait de sa mise à la retraite anticipée sur une période de trois années, au montant demandé et, compte-tenu de la fraction de deux-tiers retenue ci-dessus, il y a lieu d'accorder à l'intéressée, au titre de cette perte de revenus, une somme de 16 667 euros ;

S'agissant des préjudices à caractère personnel :

10. Considérant, d'une part, qu'eu égard à son âge à la date des faits, 61 ans, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence qu'a subis Mme B liés à la période de dix mois de déficit fonctionnel temporaire total et à la période de seize mois de déficit fonctionnel temporaire de 50 % ainsi qu'à son déficit fonctionnel permanent de 35 %, en les évaluant à la somme totale de 60 000 euros ; que, compte tenu de la fraction de deux-tiers retenue ci-dessus, il y a lieu d'accorder à Mme B une somme de 40 000 euros ;

11. Considérant, d'autre part, qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques endurées par Mme B et chiffrées par l'expert judiciaire à 4,5 sur une échelle de 1 à 7 et de son préjudice esthétique évalué à 3 sur la même échelle par le même expert en fixant ces deux postes de préjudices, y compris le préjudice sexuel, à la somme de 10 000 euros ; qu'enfin, le préjudice d'agrément de Mme B, qui reste atteinte notamment de troubles sphinctériens et de difficultés à la marche l'empêchant de poursuivre les activités sportives et de loisirs auxquelles elle s'adonnait avant les faits litigieux, sera justement indemnisé par une somme de 5 000 euros ; qu'il y a lieu, par suite, compte-tenu de la fraction de deux-tiers retenue ci-dessus, d'accorder à Mme B une somme de 10 000 euros en réparation de son pretium doloris et de ses préjudices esthétique, sexuel et d'agrément ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Ajaccio le versement à Mme B de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens et le même versement de 750 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris au titre des mêmes frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 37 835,11 euros, fixée à l'article 1er du jugement n° 0801279 du 25 février 2010 du tribunal administratif de Bastia, que le centre hospitalier d'Ajaccio est condamné à verser à Mme B est portée à 73 767 euros.

Article 2 : La somme de 74 449,27 euros, fixée à l'article 2 du jugement n° 0801279 du 25 février 2010 du tribunal administratif de Bastia, que le centre hospitalier d'Ajaccio est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris est portée à 103 155,77 euros. Le centre hospitalier d'Ajaccio remboursera à la caisse primaire d'assurance maladie au fur et à mesure de ses débours et dans la limite de la somme totale de 23 760 euros les sommes relatives aux frais futurs médicaux, de pharmacie et de kinésithérapie de Mme B.

Article 3 : Le jugement n° 0801279 du 25 février 2010 du tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier d'Ajaccio versera à Mme B la somme de 1 500 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris la somme de 750 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B et des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Monique B, au centre hospitalier d'Ajaccio et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.

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