La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/03/2014 | FRANCE | N°13MA03443

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 20 mars 2014, 13MA03443


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 12 août 2013 sous le n° 13MA03443, présentée par le ministre de la défense, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901008 rendu le 14 juin 2013 par le tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement l'a condamné à verser à M. A...B...une indemnité en principal de 8 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation, en réparation du préjudice moral subi par ce dernier, ensemble la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administr

ative ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance de M. A...B...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 12 août 2013 sous le n° 13MA03443, présentée par le ministre de la défense, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901008 rendu le 14 juin 2013 par le tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement l'a condamné à verser à M. A...B...une indemnité en principal de 8 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation, en réparation du préjudice moral subi par ce dernier, ensemble la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance de M. A...B... ;

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et notamment son article 41 ;

Vu la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et notamment son article 53 ;

Vu le décret du 26 février 1897 modifié relatif à la situation du personnel civil d'exploitation des établissements militaires ;

Vu le décret du 1er avril 1920 modifié relatif au statut du personnel ouvrier des arsenaux et établissements de la marine ;

Vu le décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ;

Vu le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 modifié relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat du ministère de la défense ;

Vu le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 ;

Vu l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 février 2014 :

- le rapport de M. Brossier, rapporteur,

- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., de la société d'avocats Teissonnière-Topaloff-C... -Andreu, pour M.B... ;

1. Considérant que M.B..., ouvrier de l'Etat relevant du ministère de la défense, ayant exercé ses fonctions dans des bâtiments affectés par des poussières d'amiante et bénéficié à ce titre du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante instauré par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et son décret d'application susvisé n° 2001-1269 du 21 décembre 2001, a demandé au tribunal administratif de Toulon de réparer les conséquences dommageables de son exposition aux poussières d'amiante ; que par le jugement attaqué, qui n'est pas contesté sur ce point par le ministre appelant, le tribunal a retenu la carence fautive de l'Etat dans la mise en oeuvre de mesures de protection particulières contre les poussières d'amiante dans les ateliers où a travaillé M.B... ; que s'agissant de la réparation, le tribunal a alloué à M. B...la somme en principal de 8 000 euros au titre du préjudice moral, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation, en rejetant le surplus de ses conclusions indemnitaires de première instance ; que par son appel principal, le ministre de la défense demande la réformation de ce jugement en soutenant, à titre principal, qu'un tel préjudice moral ne peut être indemnisé, à titre subsidiaire, que le montant en principal de 8 000 euros alloué est excessif ; que par son appel incident, M. B...demande à la Cour de porter au montant de 15 000 euros en principal la réparation de son préjudice moral, et de l'indemniser, en outre et au surplus, des troubles subis dans les conditions d'existence à hauteur de la somme en principal de 15 000 euros ;

2. Considérant, en premier lieu, que les premiers juges ont retenu la carence fautive de l'Etat (ministère de la défense) dans la mise en oeuvre de mesures de protection particulières contre les poussières d'amiante dans les ateliers où a travaillé M.B..., aux motifs qu'en sa qualité d'employeur, il ne pouvait ignorer les risques inhérents à l'inhalation de poussières d'amiante, compte tenu notamment de l'édiction dès 1977 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante et qu'il n'était pas contesté que depuis la parution de ce décret, aucune mesure de protection particulière contre ces poussières n'a été prise dans les ateliers où a travaillé M.B..., exposant ainsi ce dernier à des conditions de travail dangereuses pour son état de santé ; qu'il résulte de l'instruction que le ministre appelant ne conteste pas devant la Cour l'engagement de sa responsabilité ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. B...n'a pas développé de pathologies notamment pulmonaires en lien avec son exposition passée aux poussières d'amiante ; que le préjudice, qu'il a qualifié en première instance de préjudice "d'anxiété", n'est pas constitutif devant le juge administratif d'un poste de préjudice spécifique, mais doit être regardé comme incorporé dans les postes constitués par les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral, susceptibles d'être indemnisés sans que soit nécessairement caractérisé un état pathologique d'anxio-dépression ;

4. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que la reconnaissance de ce lien par le législateur, sur la base d'études statistiques générales, a été à l'origine de la mise en place de deux dispositifs d'indemnisation fondés sur la solidarité nationale, d'une part et s'agissant des travailleurs effectivement tombés malades, par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, d'autre part, et s'agissant de tous les travailleurs, par le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; que M.B..., qui n'a pas contracté de maladie, bénéficie de ce dernier dispositif lequel, compte tenu des termes de l'article 41 précité de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 éclairés par les débats parlementaires, ne l'indemnise pas intégralement des conséquences dommageables de sa période passée d'exposition aux poussières d'amiante ;

5. Considérant, en quatrième lieu, que ces études statistiques générales susmentionnées ne suffisent pas, à elles seules, à établir l'existence des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral invoqués par M. B...du seul fait d'une diminution probable de son espérance de vie, et qu'il appartient à ce dernier donc d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle ; qu'il résulte à cet égard de l'instruction que M.B..., né en 1954, a travaillé au sein de la direction des constructions navales de Toulon en qualité d'ajusteur-mécanicien du 2 décembre 1972 au 30 septembre 1974, puis en la même qualité du 2 octobre 1975 au 31 décembre 1988, puis en qualité de mécanicien-monteur du 1er janvier 1989 au 31 décembre 2005, dans des ateliers l'exposant aux poussières d'amiante pendant une suffisamment longue période pour permettre, d'une part, de le faire bénéficier du régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante à compter du 1er janvier 2006, d'autre part, de l'inclure dans le dispositif préventif prévu par l'arrêté susvisé du 28 février 1995, dont l'annexe II prévoit une surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax, tous les deux ans ; que les données techniques versées au dossier montrent que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ;

6. Considérant, en cinquième lieu et s'agissant du préjudice moral, qu'il résulte de l'instruction, eu égard notamment à la circonstance que certains de ses anciens collègues de travail sont décédés du fait de l'amiante et compte-tenu également des attestations qu'il produit, que M. B...vit dans la crainte de découvrir subitement une pathologie grave, nonobstant le fait que son état de santé ne s'accompagne pour l'instant d'aucun symptôme clinique ou manifestation physique, et qu'il subit à ce titre un préjudice moral ; que ce préjudice moral est en lien suffisamment direct et certain avec la carence fautive susmentionnée de l'Etat en sa qualité d'employeur ; que par le jugement attaqué, le tribunal a fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en évaluant la réparation de ce préjudice moral à la somme en principal de 8 000 euros ;

7. Considérant, en sixième lieu et s'agissant des troubles dans les conditions d'existence, qu'il résulte de l'instruction, compte-tenu de la fréquence des examens médicaux que M. B...a dû subir du fait de sa précédente exposition aux poussières d'amiante, établie par la fiche de suivi de la médecine du travail faisant état de nombreuses radiographies pulmonaires et de deux explorations fonctionnelles respiratoires, et par les comptes-rendus versés au dossier des examens tomodensitométriques du thorax réalisés les 6 février 2006 et 23 janvier 2012 et d'une exploration fonctionnelle respiratoire réalisée le 26 mars 2012, que M. B... établit de façon suffisamment sérieuse avoir été astreint à un suivi médical contraignant à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence en lien de causalité suffisamment direct et certain avec la carence fautive susmentionnée de l'Etat ; qu'en revanche, les attestations produites, compte tenu de leur caractère insuffisamment circonstancié à cet égard, ne démontrent pas une perte de l'élan vital accompagnée de perturbations dans ses projets de vie telles qu'elles justifieraient une réparation complémentaire ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en réparant les troubles dans les conditions d'existence invoqués à hauteur de 2 000 euros ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à demander, par son appel principal, la réformation du jugement attaqué, mais qu'en revanche, M. B...est fondé à demander à la Cour, par son appel incident, de réformer le jugement attaqué en portant à 10 000 euros en principal le montant de 8 000 euros alloué en principal par le jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (ministère de la défense) la somme de 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés devant la Cour par M. B...;

D E C I D E :

Article 1er : La requête n° 13MA03443 du ministre de la défense est rejetée.

Article 2 : Le montant en principal de 8 000 euros (huit mille euros) alloué à M. B...par le jugement attaqué n° 0901008 est porté à la somme en principal de 10 000 euros

(dix mille euros).

Article 3 : Le surplus des conclusions indemnitaires incidentes de M. B...est rejeté.

Article 4 : Le jugement n° 0901008 rendu le 14 juin 2013 par le tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat (ministère de la défense) versera à M. B...la somme de 500 euros

(cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et à M. A...B....

''

''

''

''

N° 13MA034432


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13MA03443
Date de la décision : 20/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Troubles dans les conditions d'existence.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice moral.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste BROSSIER
Rapporteur public ?: Mme HOGEDEZ
Avocat(s) : SCP TEISSONNIERE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2014-03-20;13ma03443 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award