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27/09/2016 | FRANCE | N°15MA03772

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 27 septembre 2016, 15MA03772


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 1303245 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés

les 10 septembre 2015 et 10 février 2016, sous le n° 15MA03772, M. B...représenté par MeD.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence et la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 1303245 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 septembre 2015 et 10 février 2016, sous le n° 15MA03772, M. B...représenté par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Toulon du

10 juillet 2015 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi et de ses troubles dans les conditions d'existence ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- une faible période d'exposition à l'amiante est suffisante pour déclencher une maladie ;

- que le non bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité ne fait pas obstacle à la réparation de ses préjudices ;

- la carence fautive de l'Etat employeur est établie ;

- ses préjudices sont en lien avec cette carence fautive de l'Etat ;

- il a subi un préjudice d'anxiété et des troubles dans les conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2016, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens développés par l'appelant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Schaegis,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., substituant MeD..., représentant M.B....

1. Considérant que M.B..., ouvrier d'Etat au sein de la Direction des constructions navales (DCN) de Toulon, a été employé en qualité de mécanicien monteur du 14 avril 1980 au 31 décembre 2008 ; que par un courrier du 11 juin 2013, il a sollicité du ministre de la défense la réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence du fait de la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante ; qu'à la suite du silence gardé par l'administration, M. B...a saisi le tribunal administratif de Toulon d'une requête tendant à l'indemnisation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ; que M. B...interjette appel de l'ordonnance par laquelle le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande ;

Sur la responsabilité :

2. Considérant que, pour rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de M. B..., le tribunal administratif de Toulon, après avoir rappelé que la carence de l'Etat qui n'a pas pris de mesures de protection particulière de ses agents contre les poussières d'amiante était susceptible d'engager sa responsabilité, a considéré que la période au cours de laquelle l'intéressé avait été exposé à ces substances était en l'espèce limitée et, qu'alors qu'il n'avait développé aucune pathologie imputable auxdites poussières, il n'apportait aucune précision quant aux conditions et à l'ampleur de son exposition ;

3. Considérant, d'une part, que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante comporte des dispositions interdisant l'exposition des travailleurs à l'amiante au-delà d'un certain seuil et impose aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail, de nature à réduire le risque de maladie dans les établissements concernés ; que M. B...n'établit pas, ainsi qu'il lui appartient de le faire, que les préjudices dont il demande réparation trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat dans l'édiction de mesures législatives ou réglementaires destinées à imposer aux employeurs des mesures de prévention ;

4. Considérant, en revanche, que la carence de l'Etat, employeur de personnels exposés aux poussières d'amiante, dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à les soustraire à ce risque d'exposition, est de nature à engager sa responsabilité ; que cette carence a exposé ces personnels à un risque sanitaire grave dès lors qu'il ressort de l'ensemble des données scientifiques accessibles ou produites au dossier que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ; que le double dispositif de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité et de la surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax tous les deux ans prévu à l'annexe II de l'arrêté du 28 février 1995 a été mis en place après que le législateur a reconnu le lien établi de façon statistiquement significative entre une exposition aux poussières d'amiante et la baisse d'espérance de vie ; qu'en l'espèce, si le ministre soutient qu'une note-circulaire a été adressée à l'ensemble de ses services les invitant à informer leurs responsables sur les risques de l'amiante et à mettre en place des mesures de protection collective, toutefois, il n'apporte aucun élément permettant à la cour de savoir quelles mesures ont été effectivement choisies par DCN de Toulon et d'apprécier leur caractère adapté au risque ; qu'en tout état de cause cette note, antérieure au décret de 1977, ne permet pas d'établir que le ministre a veillé au respect de l'ensemble des mesures de protection imposées ; qu'enfin, si le ministre fait également état de notes circulaires postérieures au décret de 1977, des 14 aout 1979 et 8 avril 1980, celles-ci se bornent à engager un état des lieux de l'utilisation de l'amiante en vue d'amorcer une réflexion sur l'abandon de son utilisation et son remplacement par d'autres matériaux sans qu'aucune obligation formelle n'ait été imposée ; qu'il résulte donc de l'instruction que l'Etat n'a pris aucune disposition utile en matière d'hygiène et de sécurité se rapportant à l'amiante dans les établissements de la DCN ; qu'il en résulte que la responsabilité de l'Etat en sa qualité d'employeur est, en l'espèce, engagée envers M.B... ;

5. Considérant, d'autre part, que la décision d'ouverture du droit du travailleur au bénéfice de ce double dispositif de l'allocation et de la surveillance post-professionnelle vaut reconnaissance pour l'intéressé de l'existence d'un lien établi de façon statistiquement significative entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que cette circonstance suffit ainsi, par elle-même, à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade et par là-même d'une espérance de vie diminuée, et à être ainsi la source d'un préjudice indemnisable en tant que tel au titre du préjudice moral, en relation directe avec la carence fautive de l'Etat ; qu'en outre, pour évaluer le montant accordé en réparation de ce poste de préjudice, il appartient au juge de tenir compte, dans chaque espèce, de l'ampleur de l'exposition personnelle du travailleur aux poussières d'amiante ; que doivent ainsi notamment être prises en considération, tant les conditions d'exposition, lesquelles dépendent largement de la nature des fonctions de l'intéressé et des circonstances particulières de leur exercice, que la durée de cette exposition ;

Sur les préjudices :

6. Considérant que M. B...estimant que son espérance de vie a été diminuée notablement du fait de l'absorption par ses poumons de poussières d'amiante pendant ses années d'activité professionnelle, soutient vivre depuis dans un état d'anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive de son employeur ;

7. Considérant que le préjudice qualifié d'anxiété n'est pas constitutif devant le juge administratif d'un poste de préjudice spécifique, mais doit être regardé comme incorporé dans les postes constitués par les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral, susceptibles d'être indemnisés sans que soit nécessairement caractérisé un état pathologique d'anxio-dépression ;

En ce qui concerne le préjudice moral :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B... a travaillé dans des ateliers relevant de la DCN l'exposant aux poussières d'amiante pendant 28 ans, soit une suffisamment longue période pour pouvoir, d'une part, le faire bénéficier du régime de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, d'autre part, l'inclure dans le dispositif préventif prévu par l'arrêté susvisé du 28 février 1995, dont l'annexe II prévoit une surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax, tous les deux ans ; qu'au surplus, en qualité de mécanicien monteur, sur les porte-avions Foch et Clémenceau, il a été chargé de la remise en conformité des catapultes et freins d'appontage, dont les composants externes contenaient de l'amiante, l'exposant donc directement à un risque d'inhalation des poussières d'amiante ; que, dès lors, au regard de ces conditions d'exposition à l'amiante, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de l'intéressé, qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 10 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...verse au dossier de nombreuses attestations de collègues de travail témoignant de son inquiétude permanente et de son appréhension à consulter un médecin ; que ces seuls éléments qui ne démontrent pas qu'il a dû subir des examens médicaux à une fréquence telle qu'elle aurait généré des perturbations de son quotidien ni qu'il souffrirait d'une perte d'élan vital, ne permettent pas d'établir que la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents aux poussières d'amiante est à l'origine chez l'intéressé de troubles dans les conditions d'existence ;

Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance du tribunal administratif de Toulon du 10 juillet 2015 est annulée.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B...la somme de 10 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience du 13 septembre 2016, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Renouf, président assesseur,

- Mme Schaegis, première conseillère.

Lu en audience publique, le 27 septembre 2016.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA03772
Date de la décision : 27/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Chrystelle Schaegis
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-09-27;15ma03772 ?
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