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15/09/2017 | FRANCE | N°16MA02342

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 15 septembre 2017, 16MA02342


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ice Thé a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Aix-en-Provence à lui payer la somme totale de 432 712 euros, assortie des intérêts capitalisés, en réparation du préjudice commercial qu'elle estime avoir subi pendant les années 2011 à 2014 du fait du refus de lui délivrer une autorisation temporaire d'occupation du domaine public afin d'implanter une terrasse au droit de son commerce et de mettre à la charge de la commune la somme de 4 000 euros sur le fondemen

t de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugeme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ice Thé a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Aix-en-Provence à lui payer la somme totale de 432 712 euros, assortie des intérêts capitalisés, en réparation du préjudice commercial qu'elle estime avoir subi pendant les années 2011 à 2014 du fait du refus de lui délivrer une autorisation temporaire d'occupation du domaine public afin d'implanter une terrasse au droit de son commerce et de mettre à la charge de la commune la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1401201 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune à payer à la SARL Ice Thé la somme de 246 767 euros, assortie des intérêts capitalisés, et mis à la charge de cette dernière la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 juin 2016 et le 27 avril 2017, la commune d'Aix-en-Provence, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 mai 2016 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de la SARL Ice Thé ;

3°) de mettre à la charge de la SARL Ice Thé la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le rapporteur public ne s'est pas prononcé sur l'ensemble des arguments soulevés en défense ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la SARL Ice Thé a commis une faute en manquant de prudence dans son activité commerciale ;

- le lien de causalité direct et certain entre l'illégalité fautive du refus d'autorisation et le préjudice résultant d'une perte de chance sérieuse d'exercer pleinement l'activité commerciale n'est pas établi ;

- le montant du préjudice commercial n'est pas justifié ;

- la société a fréquemment exploité illégalement la terrasse.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 avril 2017 et le 15 mai 2017, la SARL Ice Thé, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune d'Aix-en-Provence sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la commune d'Aix-en-Provence ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que, dès lors qu'une personne publique ne peut être condamnée au versement d'une somme qu'elle ne doit pas, l'indemnité due par la commune d'Aix-en-Provence en réparation du préjudice économique subi par la SARL Ice Thé ne saurait être fondée sur la perte de marge brute, comprenant notamment les frais généraux, mais sur la perte du bénéfice net attendu de l'exploitation de la terrasse.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chanon, premier conseiller,

- les conclusions de M. Maury, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la commune d'Aix-en-Provence, et de Me C..., représentant la SARL Ice Thé.

1. Considérant que la SARL Ice Thé exploite depuis le mois d'avril 2011 un fonds de commerce de glacier installé cours Mirabeau à Aix-en-Provence ; que, par jugement du 10 juin 2013, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 21 novembre 2011 par laquelle le maire d'Aix-en-Provence a refusé de lui délivrer une autorisation temporaire d'occupation du domaine public afin d'implanter une terrasse au droit de son commerce ; que, par un arrêt du 7 avril 2015 devenu irrévocable, la Cour a rejeté l'appel formé par la commune d'Aix-en-Provence contre ce jugement ; que, par jugement du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune d'Aix-en-Provence à payer à la SARL Ice Thé la somme de 246 767 euros, assortie des intérêts capitalisés, en réparation du préjudice commercial résultant de l'illégalité de la décision du 21 novembre 2011, pour la période du 21 novembre 2011 au 12 octobre 2013, date d'une nouvelle décision de refus d'autorisation, et mis à la charge de la commune la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que la commune d'Aix-en-Provence relève appel de ce jugement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article L. 7 du code de justice administrative : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent " ;

3. Considérant qu'il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire, ni d'aucun principe que le rapporteur public serait tenu, à peine d'irrégularité de la décision juridictionnelle, de se prononcer, dans les conclusions qu'il expose à l'audience, sur l'ensemble des arguments invoqués en défense ;

4. Considérant en second lieu qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ;

5. Considérant que le tribunal a retenu que l'illégalité de la décision du 21 novembre 2011 constituait une faute de nature à engager, en l'absence de cause étrangère, la responsabilité de la commune et n'avait ainsi pas à revenir sur la marge d'appréciation du gestionnaire du domaine public pour délivrer une autorisation privative d'occuper temporairement ce domaine ; qu'il a expressément écarté, au point 6 du jugement, l'argumentation en défense tenant au caractère précaire et révocable d'une telle autorisation qui ferait obstacle à l'indemnisation du préjudice résultant d'un refus d'autorisation ; que, dès lors, et alors même qu'ils n'a pas développé les éléments constitutifs de la " perte de chance sérieuse " subie par la SARL Ice Thé " d'avoir pu exercer pleinement son activité ", le jugement est suffisamment motivé et ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'il suit de là que la commune d'Aix-en-Provence n'est pas fondée à soutenir que jugement serait entaché d'irrégularité ;

Sur les conclusions indemnitaires :

7. Considérant que la décision du 21 novembre 2011 a été annulée aux motifs, d'une part, qu'elle était entachée d'une inexactitude matérielle au regard de l'existence invoquée par le maire d'Aix-en-Provence d'un projet de réhabilitation d'un lieu historique situé à proximité du commerce en cause et, d'autre part, que la circonstance que la terrasse envisagée ferait grief aux autres commerçants du cours Mirabeau et celle tenant à l'absence d'autorisation antérieure ne pouvaient légalement justifier un refus d'autorisation d'occuper le domaine public ; que l'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune d'Aix-en-Provence ;

8. Considérant que si l'autorité chargée de la gestion du domaine public n'est pas tenue, dans le respect du principe d'égalité, d'autoriser une personne privée à occuper une dépendance de ce domaine en vue d'y exercer une activité économique, elle ne dispose pas à cet égard d'un pouvoir discrétionnaire et ne saurait fonder une décision de refus sur des motifs autres que ceux relevant de l'intérêt général ou de l'incompatibilité de l'occupation envisagée avec l'affectation et la conservation du domaine ; que, comme il a été dit au point précédent, les motifs de la décision, qui n'entrent pas dans ce cadre, sont illégaux ; que la commune ne sollicite aucune substitution de motif ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que la SARL Ice Thé aurait commis une faute d'imprudence en fondant son activité sur la nécessité d'une autorisation dont la délivrance est soumise à l'appréciation discrétionnaire du gestionnaire du domaine public ;

9. Considérant qu'en vertu des règles régissant la responsabilité des personnes publiques, celle-ci peut être engagée s'il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la faute de l'administration et le préjudice invoqué ; qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que, contrairement à ce qui est soutenu, la décision du 21 novembre 2011 n'a pas été annulée pour insuffisance de motivation mais pour des motifs de fond ; que la commune ne peut ainsi se prévaloir de ce que l'illégalité fautive de sa décision n'a pas privé la société d'une chance sérieuse d'exercer pleinement son activité ; que le caractère précaire et révocable d'une autorisation d'occupation privative ne fait pas obstacle à l'indemnisation des préjudices résultant d'un refus illégal d'autorisation ;

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le manque à gagner résultant de l'impossibilité d'exploiter une terrasse sur le domaine public invoqué par la SARL Ice Thé est en lien direct et certain avec le refus d'autorisation qui lui a été opposé ; que la commune ne peut utilement soutenir qu'une terrasse n'est pas intrinsèquement nécessaire à l'activité de " restauration de type rapide " exercée par la SARL Ice Thé ;

11. Considérant que le tribunal a évalué la part du chiffre d'affaires résultant de l'exploitation d'une terrasse par un commerce de détail de glaces à 40 % du chiffre d'affaire total de l'entreprise, sur le fondement d'une attestation de l'expert-comptable de la SARL Ice Thé ; que, s'il ressort des termes mêmes de ce document que le pourcentage avancé provient d'une estimation du dirigeant de la société, il résulte de l'instruction que le propriétaire de la marque de glaces exploitée par celle-ci évalue pour sa part l'impact économique d'une terrasse à 60 % du chiffre d'affaires ; que les éléments invoqués par la commune d'Aix-en-Provence, tenant au caractère saisonnier de la consommation de glaces et à la superficie de la terrasse dont l'utilisation a été illégalement refusée, ne sont pas de nature à remettre en cause le taux de 40 % retenu par le tribunal ;

12. Considérant que si la SARL Ice Thé a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner résultant pour elle de l'impossibilité d'exploiter une terrasse au droit de son commerce, ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité comme l'ont estimé à tort les premiers juges mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré l'autorisation d'occuper le domaine public ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste évaluation de ce bénéfice net pour la période d'indemnisation courant du 21 novembre 2011 au 12 octobre 2013 en le fixant, compte tenu des éléments non contestés relatifs au résultat attendu de la terrasse pour chacun des exercices comptables 2011 à 2013, selon l'attestation de l'expert-comptable de la société en date du 6 juillet 2017, à la somme de 146 332 euros ;

13. Considérant toutefois que la commune d'Aix-en-Provence soutient sans être contredite qu'il ressort d'un rapport du 18 juillet 2013, ainsi que de quatre procès-verbaux ultérieurs dressés en 2015 et 2016, que la société aurait exploité la terrasse sans autorisation ; que la commune ne justifie pas, par l'invocation d'un seul document relatif à la période d'indemnisation, que cette occupation irrégulière du domaine public aurait été habituelle entre 2011 et 2013 comme elle l'allègue ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste réparation du préjudice subi par la SARL Ice Thé, compte tenu du bénéfice net déterminé au point précédent et de l'utilisation ponctuelle de la terrasse sans autorisation, en lui allouant la somme de 120 000 euros ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Aix-en-Provence est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser à la SARL Ice Thé une somme excédant celle de 120 000 euros ; que, par suite, le jugement doit, dans cette mesure, être réformé ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

15. Considérant que la SARL Ice Thé a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 120 000 euros à compter du 13 février 2014, date d'enregistrement de la demande de première instance, en l'absence de preuve de la date de réception de la réclamation préalable adressée le 26 novembre 2013 à la commune d'Aix-en-Provence ;

16. Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 13 février 2104 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 13 février 2015, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune d'Aix-en-Provence, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par la SARL Ice Thé et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune sur le même fondement ;

D É C I D E :

Article 1er : La commune d'Aix-en-Provence est condamnée à verser à la SARL Ice Thé la somme de 120 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 février 2014. Les intérêts échus à la date du 13 février 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 mai 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Aix-en-Provence et à la SARL Ice Thé.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- M. Chanon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 septembre 2017.

2

N° 16MA02342

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA02342
Date de la décision : 15/09/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Domaine - Domaine public - Régime - Contentieux de la responsabilité.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère indemnisable du préjudice - Questions diverses.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. René CHANON
Rapporteur public ?: M. MAURY
Avocat(s) : IBANEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-09-15;16ma02342 ?
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