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15/12/2020 | FRANCE | N°20MA00256

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 15 décembre 2020, 20MA00256


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, et d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer la carte de séjour temporaire dont il a sollicité la délivrance.



Par un jugement n° 1901430 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bastia...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, et d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer la carte de séjour temporaire dont il a sollicité la délivrance.

Par un jugement n° 1901430 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 1er octobre 2019.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2020, le préfet de la Haute-Corse, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 30 décembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. D....

3°) de condamner M. D... au paiement de 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les premiers juges ont fait une inexacte application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en statuant d'une part, que l'état de santé de l'intéressé qui est atteint de troubles psychotiques emporte des conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas de défaut d'une prise en charge médicale, et d'autre part, qu'il ne pouvait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine, alors que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que le défaut de prise en charge de l'état de santé de l'intéressé n'entraînerait pas pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et qu'il pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine. Par suite, en statuant ainsi, alors que le requérant ne démontre pas que cet avis est erroné, et en interprétant ses écritures comme n'ayant pas entendu opposer les termes dudit avis, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 novembre 2020, M. D..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros de frais de justice, ou à titre subsidiaire d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Corse, d'enjoindre à cette autorité de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou de réexaminer sa situation et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros de frais de justice.

Il soutient que les moyens du préfet de la Haute-Corse sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant marocain, né le 31 décembre 1961 à Tancherfi (Maroc), qui a bénéficié du droit au séjour en qualité d'étranger malade depuis le

1er décembre 2010, a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur ce fondement. Par un arrêté du 1er octobre 2019, le préfet de la Haute-Corse a rejeté cette demande, fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français et fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. Le préfet de la Haute-Corse fait appel du jugement n° 1901430 du 30 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé son arrêté du 1er octobre 2019.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ".

3. L'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ".

4. L'article R. 313-23 du même code dispose que : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins. / (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) / L'avis est transmis au préfet territorialement compétent, sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ".

5. Il ressort des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque ce défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

6. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

7. En premier lieu, pour contester le motif tenant à l'absence de conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas d'absence d'administration du traitement, M. D... produit deux certificats médicaux émanant de psychiatres et de nombreuses prescriptions. Toutefois, d'une part, même si les documents postérieurs à la date de l'arrêté attaqué qui décrivent une situation antérieure à celui-ci peuvent être pris en compte, l'ensemble des pièces médicales produites se bornent à mentionner et décrire les troubles du comportement et affections dont l'intéressé fait l'objet, troubles psychotiques qui ne sont pas contestés par le préfet de la

Haute-Corse. D'autre part, le requérant produit le certificat du docteur Casanova du

15 octobre 2019, postérieur à la date de l'arrêté attaqué, qui relève qu'il est suivi pour une décompensation psychotique avec isolement psychosocial, repli sur soi, troubles comportementaux dans un contexte de pauvreté de fond mental, hospitalisé de jour, doté d'un traitement neuroleptique et anti dépresseur qui ne peut être interrompu sans nuire gravement à son état de santé. Ce certificat est le seul document parmi tous ceux produits par M. D... qui indique qu'il suit de manière régulière, à raison de son affection, un traitement dont le défaut, selon ce praticien, pourrait entraîner pour l'intéressé des conséquences d'une extrême gravité. Dans ces conditions, ce certificat qui précise les pathologies de l'intéressé et mentionne la nécessité pour lui de continuer à bénéficier d'une prise en charge médicale ne permet pas d'établir que, contrairement à l'appréciation portée sur ce point par le collège de médecins de l'OFII, le défaut d'un traitement approprié à l'état de santé de M. D... serait de nature à entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité.

8. En deuxième lieu, M. D... soutient qu'il ne peut pas bénéficier d'un traitement approprié à son affection dans son pays d'origine. Cependant, il n'apporte aucun élément de nature à établir que son traitement constitué de Risperidone, Paroxetine, Zoplicone et Alimemazine ne serait pas disponible au Maroc. S'il affirme que la région de l'Orientale dont il est originaire serait connue pour être " très insuffisamment équipée en infrastructures psychiatriques " selon un rapport préliminaire du conseil national des droits de l'homme du Maroc auquel fait référence un article qu'il produit, et que l'unique hôpital est situé dans la ville d'Oujda distante de plus de 90 kilomètres de celle de Tancherfi, cette seule circonstance ne démontre pas l'impossibilité pour lui d'être pris en charge par un personnel médical compétent dans le cadre institutionnel de son pays. Par ailleurs, si M. D... soutient que son impossibilité de travailler en raison de son état de santé ne lui permet pas de bénéficier des assurances sociales réservées aux salariés et aux indépendants, il n'allègue ni même soutient que le Maroc ne dispose pas d'un système solidaire de santé dédié aux plus démunis.

9. En troisième lieu la seule circonstance que M. D... justifie de l'allocation aux adultes handicapés avec un taux d'incapacité évalué entre 50% et 79%, ne démontre pas qu'il ne pourrait pas voyager en raison de son état de santé.

10. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que le préfet de la Haute-Corse est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué.

11. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la requête présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Bastia.

Sur les conclusions d'annulation :

Sur le refus de séjour :

12. D'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 2, 3 et 4 que le préfet est fondé à soutenir qu'en refusant le renouvellement du titre de séjour demandé par M. D..., son arrêté n'a pas méconnu l'article L. 313-11° 11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait quant à l'absence de conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas d'absence d'administration du traitement, et celui de la violation de ces dispositions doivent être écartés.

13. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, que M. D... qui est entré en France le 17 septembre 2008 à l'âge de 47 ans est célibataire et sans enfants, et qu'il ne soutient pas être dépourvu d'attaches familiales au Maroc où il ne conteste pas qu'y réside au moins sa soeur.

Sur l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination :

14. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet (...) d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ".

15. D'une part, dans la mesure où M. D... invoque l'illégalité de l'arrêté en litige en tant qu'il porte refus de séjour, dès lors que cet arrêté est ainsi qu'il vient d'être dit légal, il n'est pas fondé à s'en prévaloir, par voie d'exception, à l'encontre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, lesquelles ne sont donc pas dépourvues de base légale.

16. D'autre part, eu égard à ce qui été dit plus haut, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues.

17. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais de justice de M. D... doivent être rejetées. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de l'Etat présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

18. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Bastia doit être rejetée.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1901430 du 30 décembre 2019 du tribunal administratif de Bastia est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Bastia est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.

2

N° 20MA00256


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00256
Date de la décision : 15/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : LELIEVRE-CASTELLORIZIOS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-12-15;20ma00256 ?
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