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24/12/2020 | FRANCE | N°20MA01808

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 24 décembre 2020, 20MA01808


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 28 septembre 2017 par laquelle la ministre du travail, saisie d'un recours hiérarchique, a annulé la décision du 23 décembre 2016 de l'inspectrice du travail de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône autorisant son licenciement pour motif disciplinaire, en tant que la ministre, par l'article 3 de sa décision, a elle-même autorisé ce licenciement.

Par un jugement n° 1708963 du 17 mars 2020, le tribunal ad

ministratif de Marseille a fait droit à cette demande en annulant dans cette mesu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 28 septembre 2017 par laquelle la ministre du travail, saisie d'un recours hiérarchique, a annulé la décision du 23 décembre 2016 de l'inspectrice du travail de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône autorisant son licenciement pour motif disciplinaire, en tant que la ministre, par l'article 3 de sa décision, a elle-même autorisé ce licenciement.

Par un jugement n° 1708963 du 17 mars 2020, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande en annulant dans cette mesure cette décision.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 14 mai 2020, la Société nouvelle de l'hôtel Jules César, représentée par Me E..., demande :

1°) d'annuler ce jugement du 17 mars 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Marseille ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande présentée par M. B... devant le tribunal était irrecevable en ce qu'elle tendait à l'annulation partielle d'une décision indivisible ;

- en tout état de cause, le retrait, par la ministre, de sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique contre la décision de l'inspectrice du travail autorisant le licenciement de M. B... était tardif ;

- le tribunal ne pouvait se limiter, pour apprécier la gravité des faits reprochés à M. B..., aux seuls éléments retenus par la ministre ;

- les faits fautifs retenus par la ministre sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2020, M. B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge solidaire de la Société nouvelle de l'hôtel Jules César et de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion renvoie à ses écritures produites devant le tribunal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de procédure civile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... exerçait ses fonctions comme réceptionniste de nuit au sein de l'hôtel Jules César depuis le 19 décembre 2001. Il était détenteur de mandats de délégué du personnel et de délégué syndical. Saisie par la Société nouvelle de l'hôtel Jules César, l'inspectrice du travail a, par décision du 23 décembre 2016, autorisé le licenciement de l'intéressé pour motif disciplinaire. M. B... a formé un recours hiérarchique contre cette décision auprès de la ministre chargée du travail. Aux termes de la décision du 28 septembre 2017, la ministre a, par son article 1er, retiré la décision implicite de rejet née du silence par elle gardé sur ce recours, par son article 2, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 23 décembre 2016, et, par son article 3, autorisé le licenciement de M. B.... Ce dernier a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'article 3 de cette décision. La Société nouvelle de l'hôtel Jules César relève appel du jugement du 17 mars 2020 par lequel le tribunal a fait droit à cette demande.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Pour annuler la décision du 28 septembre 2017 de la ministre du travail en tant qu'elle autorise le licenciement de M. B..., les premiers juges ont estimé qu'en l'absence d'antécédents disciplinaires, et sans que d'autres éléments d'inexécution du contrat de travail en pleine saison touristique ayant perturbé le bon fonctionnement de l'entreprise ne soient relevés, le seul grief retenu par la ministre constitué par le refus de l'intéressé de dresser les petits- déjeuners, limité à deux jours consécutifs et apparaissant donc comme isolé, n'était pas, même en prenant en compte son attitude d'insubordination et son comportement vindicatif à l'encontre de sa hiérarchie, d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

4. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, particulièrement de la copie des SMS qu'il a adressés au maître d'hôtel dans la soirée du 12 juillet 2016 après qu'il a pris connaissance de la nouvelle consigne formulée par ce dernier visant à ce qu'il assure la mise en place des petits-déjeuners à la fin de son service le lendemain matin, que M. B... a, une troisième fois sur une période d'une semaine, manifesté son opposition à l'exécution des directives prescrites par un cadre de l'hôtel, alors même que la réalisation de la tâche en cause n'exigeait pas une qualification supérieure à celle détenue par l'intéressé, qui s'en était antérieurement déjà acquitté. Il ressort également des pièces du dossier que la teneur de ces SMS, injurieux et insultants à l'égard du maître d'hôtel, ajoutée à la prise à partie provoquée par M. B... le 7 juillet 2016 au soir au vu de la première consigne relative au dressage des petits-déjeuners, ont eu pour effet de déstabiliser ce cadre, au point qu'il a estimé nécessaire de s'en ouvrir à la direction de l'établissement. A cet égard, le fait que le maître d'hôtel n'a informé sa hiérarchie de l'existence de ces SMS qu'à la fin du mois de juillet, soit, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, deux jours avant que M. B... ne reprenne son service après plus de quinze jours d'absence, n'est pas de nature à établir l'assertion de ce dernier selon laquelle celui-ci n'aurait pas été véritablement affecté par ces propos. Par ailleurs, il ressort encore des pièces du dossier qu'alors qu'une de ses collègues lui avait laissé, le soir du 11 juillet 2016, une note lui rappelant qu'il y avait lieu de dresser les petits-déjeuners le lendemain matin, M. B... l'a tancée en affirmant qu'il n'avait pas d'ordre à recevoir d'un " commis de salle ". Dans une attestation qu'elle a établie, l'intéressée indique, s'agissant de M. B..., " qu'il faut le prendre avec des pincettes ". Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le refus de l'intéressé de se conformer aux directives de l'employeur apparaît récurrent et persistant et son comportement vis-à-vis de ses collègues de travail a eu pour effet de nuire au bon fonctionnement de l'hôtel. Dans ces conditions, alors même que M. B... n'aurait pas fait l'objet précédemment de sanctions disciplinaires, c'est à tort que le tribunal a estimé que les faits fautifs reprochés à M. B... n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement et qu'il a en conséquence annulé la décision du 28 septembre 2017.

5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Marseille et devant la Cour.

Sur les autres moyens invoqués par M. B... :

6. En premier lieu, et d'une part, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe ne subordonnent la validité d'une attestation produite devant l'administration par l'employeur au soutien d'une demande d'autorisation de licenciement à la condition qu'elle satisfasse aux exigences de forme fixées par l'article 202 du code de procédure civile. Par suite, la circonstance, à la supposer même établie, selon laquelle l'attestation signée le 20 septembre 2016 par le maître d'hôtel de l'hôtel Jules César n'aurait pas été assortie de la copie de la pièce d'identité de son auteur et qu'elle aurait, en réalité, été dictée par l'employeur, ne saurait conduire à écarter cette pièce qui fait notamment état des refus de M. B... d'accomplir les consignes qui lui avaient été données et qui mentionnent les SMS que celui-ci lui a adressés.

7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, particulièrement du compte-rendu de l'entretien préalable au licenciement, qui s'est tenu le 21 septembre 2016 et qui a été signé par la déléguée du personnel suppléante qui accompagnait M. B..., que celui-ci a pleinement revendiqué le refus d'exécuter les consignes des 7 et 8 juillet 2016, soit la mise en place des petits-déjeuners à la fin de son service de nuit, justifiant ce refus par la façon dont le maître d'hôtel aurait formulé ces demandes, par le fait qu'il estime faire du " bénévolat " en acceptant d'exécuter ce travail supplémentaire et enfin par son souci d'éviter les abus et de se faire respecter. Il ressort également de la décision du 28 septembre 2017 de la ministre du travail que M. B... n'a pas contesté la matérialité des faits reprochés dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que les faits qui lui sont reprochés ne seraient pas matériellement établis.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 34 de la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 6 décembre 1997, librement accessible sur le site Légifrance : " (...) L'organisation du travail tient compte de la nécessité d'emplois utilisant la plurivalence et la pluriaptitude des salariés. / Chaque employé participe aux travaux communs et peut être amené à effectuer des travaux annexes tenant compte du caractère spécifique de chacun des établissements, l'activité de service ayant cette particularité de devoir, avant tout, s'adapter aux besoins du client. / (...) ".

9. Les stipulations de l'article 34 de la convention collective mettent ainsi l'accent sur la nécessaire polyvalence des salariés au sein des établissements auxquels elle s'applique. Contrairement à ce que soutient M. B..., la mise en place des petits-déjeuners peut être regardée comme des travaux annexes, au sens de ces stipulations, à la fonction de réceptionniste de nuit, dès lors qu'ainsi que l'a relevé la ministre dans la décision querellée, le contrat de travail de l'intéressé ne prévoyait aucune stipulation particulière sur ce point. La circonstance selon laquelle il a été demandé à M. B... d'assurer cette mise en place durant toute la période estivale, soit de juillet à septembre, ce qui, selon lui, ne permettait pas de faire regarder cette demande comme étant formulée à titre exceptionnel, est, à cet égard, sans incidence. Par suite, le refus de M. B... de procéder à cette mise en place, les 8 et 9 juillet au matin, est constitutif d'une faute.

10. En dernier lieu, si M. B... soutient que son refus d'exécuter les consignes tenant à la mise en place des petits-déjeuners s'inscrit dans le respect de la convention collective et dans le respect de son mandat de délégué du personnel, visant notamment à la conservation de l'emploi de chacun des salariés et au respect du rythme de travail de chacun, il ressort des pièces du dossier qu'il a, par le passé, accepté d'exécuter ces tâches, y compris jusqu'à la veille du premier incident relevé, soit le matin du 7 juillet. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait mené, au titre de ses attributions syndicales, des actions revendicatives auprès de la direction s'agissant de la polyvalence des salariés, ni même à propos d'autres questions intéressant l'organisation et le fonctionnement de l'hôtel. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que son licenciement serait en lien avec l'exercice de son mandat doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la Société nouvelle de l'hôtel Jules César est fondée à soutenir, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande de M. B... en première instance, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'article 3 de la décision du 28 septembre 2017 de la ministre du travail.

Sur les frais liés au litige :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de M. B... la somme que la Société nouvelle de l'hôtel Jules César demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font, par ailleurs, obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par M. B... soit mise à la charge solidaire de la Société nouvelle de l'hôtel Jules César et de l'Etat, qui ne sont pas les parties perdantes.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 mars 2020 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par la Société nouvelle de l'hôtel Jules César au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Société nouvelle de l'hôtel Jules César, à M. C... B... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme D..., présidente de la Cour,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 décembre 2020.

2

N° 20MA01808

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01808
Date de la décision : 24/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : ZIMMERMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-12-24;20ma01808 ?
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