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08/02/2021 | FRANCE | N°20MA03856

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 08 février 2021, 20MA03856


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à la suppression de son signalement dans le fichier SIS.

Par un jugement n° 2

002977 du 14 septembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2020 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à la suppression de son signalement dans le fichier SIS.

Par un jugement n° 2002977 du 14 septembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 14 octobre 2020 et le 22 décembre 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice ;

3°) d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2020 du préfet des Alpes-Maritimes ;

4°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à la suppression de son signalement dans le fichier SIS sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 900 euros à Me A... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- le préfet a édicté cette décision sans tenir compte de sa situation personnelle et a donc commis une erreur de droit ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'erreur d'appréciation.

La requête de M. C... a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par ordonnance du 21 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la circulaire n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. E... D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Entré pour la première fois en France à une date indéterminée, M. C..., né le

1er novembre 1976 et de nationalité tunisienne a été obligé à quitter le territoire français sans délai par un arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 31 juillet 2020. Par une décision du même jour, cette autorité lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. C..., déjà représenté par un avocat, ne justifie pas du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille et n'a pas joint à son appel une telle demande, qu'il eût alors incombé à la Cour de transmettre à ce bureau d'aide juridictionnelle suivant les prévisions de l'article 43-1 du décret du 19 décembre 1991. Il n'invoque en outre aucune urgence au sens de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Sa demande d'aide juridictionnelle provisoire ne peut dans ces conditions qu'être rejetée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, l'article L. 211-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police

(...) ". L'article L. 211-5 du même code précise que " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

4. L'arrêté en litige mentionne les circonstances de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision d'éloignement prise à l'encontre de M. C.... Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet acte doit donc être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet des Alpes-Maritimes a examiné la situation personnelle de M. C... avant de l'obliger à quitter le territoire français. Le moyen d'erreur de droit qu'il soulève sur ce point doit dès lors être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

7. M. C... fait valoir qu'il réside en France avec son fils, dont il a la charge en vertu d'un jugement du tribunal de première instance de Sousse du 22 mai 2018, et dont il soutient qu'il lui aurait été enlevé de force par sa mère à une date indéterminée. Toutefois, alors que l'enfant, né à Valence en 2012, a vécu en France et y a été scolarisé à compter de septembre 2015, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait vécu de manière continue en France au cours de cette période avec l'enfant dès lors, notamment, que le passeport de M. C... mentionne son départ du territoire français en avril 2018 après un court séjour. Par ailleurs, les factures relatives aux activités périscolaires de l'enfant et à la cantine scolaire, de même que les certificats de scolarité, sont pour certains libellés au nom des deux parents et comportent des adresses qui ne correspondent pas systématiquement à l'adresse du requérant. Au demeurant, le jugement du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Grasse du 10 décembre 2020, s'il est postérieur à la décision attaquée, constate que, bien que l'enfant ait vécu avec son père pendant cinq ans puis avec sa mère à compter de février 2020, " la situation familiale n'est pas claire " et, notamment, qu'il n'est pas certain que l'enfant ait toujours vécu avec M. C... en France depuis 2015. Il en résulte que, si M. C... entretient un lien affectif avec son enfant, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait participé de manière stable et durable à l'entretien et à l'éducation de celui-ci. Par ailleurs, celui-ci n'est pas de nationalité française et il ne ressort pas des pièces du dossier que la mère de l'enfant se trouverait en situation régulière en France. Enfin, si le frère du requérant réside en France, M. C... n'apparaît pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, où il a résidé jusqu'à l'âge de trente-deux ans au moins et dont son fils et la mère de celui-ci ont la nationalité. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet des Alpes-Maritimes a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

9. Pour les motifs qui viennent d'être exposés au point 7 ci-dessus, et notamment au regard de l'incertitude quant à la situation familiale de l'intéressé et à la force et à la teneur du lien entre M. C... et son enfant, le requérant n'est pas fondé à arguer de la violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

10. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...). ".

11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... aurait causé un trouble à l'ordre public ou aurait déjà été l'objet d'une mesure d'éloignement. Par ailleurs, si la stabilité et l'intensité de la relation du requérant avec son fils sont incertaines, il ressort des pièces du dossier que le requérant cherche à maintenir une relation avec celui-ci, dont la charge lui a été confiée en vertu d'un jugement du tribunal de première instance de Sousse du 22 mai 2018, et qui est l'objet d'une instance judiciaire devant le tribunal judiciaire de Grasse en vue, notamment, de déterminer la résidence de l'enfant et les droits respectifs des parents. M. C... est par suite fondé à soutenir que le préfet des Alpes-Maritimes a commis une erreur d'appréciation en lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français prise à son encontre le 31 juillet 2020. Il est dès lors fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 5113 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour prise en application du III de l'article L. 5111 sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010569 du 28 mai 2010, aux cas d'extinction du motif d'inscription au fichier des personnes recherchées. ". L'article 7 du décret du 28 mai 2010 dispose : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas d'aboutissement de la recherche ou d'extinction du motif de l'inscription. / (...) La mise à jour des données enregistrées est réalisée (...) par les services ayant procédé à l'enregistrement des données en application des dispositions de l'article 4. Des vérifications périodiques sont mises en oeuvre afin de garantir la fiabilité des données ".

14. Il résulte de ces dispositions que le présent arrêt, qui annule uniquement l'interdiction de retour sur le territoire français, implique seulement mais nécessairement la suppression du signalement de M. C... dans le système d'information Schengen aux fins de nonadmission. Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 900 euros demandée par M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La demande d'aide juridictionnelle provisoire de M. C... est rejetée.

Article 2 : La décision portant interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de M. C... est annulée.

Article 3 : Le jugement n° 2002977 du 14 septembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de faire procéder à la suppression du signalement de M. C... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'État versera à M. C... la somme de 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Me A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme F... G..., présidente assesseure,

- M. E... D..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 février 2021.

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N° 20MA03856

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA03856
Date de la décision : 08/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CONCAS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-02-08;20ma03856 ?
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