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09/04/2021 | FRANCE | N°20MA03038

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 09 avril 2021, 20MA03038


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 14 septembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle de Haute-Corse de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse a autorisé l'institution de gestion sociale des armées (IGESA) à la licencier pour inaptitude médicale.

Par un jugement n° 1801176 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décisi

on.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 14 septembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle de Haute-Corse de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse a autorisé l'institution de gestion sociale des armées (IGESA) à la licencier pour inaptitude médicale.

Par un jugement n° 1801176 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décision.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 21 août 2020, le 7 décembre 2020, le 8 janvier 2021 et le 25 janvier 2021, l'IGESA, représentée par Me B... de la SELARL Serfaty - Venutti - Camacho et B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 juin 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Bastia ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure de licenciement n'est pas entachée de défaut de contradictoire ;

- l'obligation de reclassement a été satisfaite.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 novembre 2020 et le 21 décembre 2020, Mme D..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'IGESA la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 24 novembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut à l'annulation du jugement du 23 juin 2020 et au rejet de la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Bastia, en renvoyant à ses écritures produites devant le tribunal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant l'IGESA.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... est salariée de l'institution de gestion sociale des armées (IGESA). Elle occupait un emploi de chef de bureau contrôleur de gestion au sein de la direction du budget à l'échelon central. Le 12 février 2018, le médecin du travail a constaté l'inaptitude de l'intéressée à son poste de travail dans les termes suivants : " inaptitude au poste de contrôleur de gestion. À revoir après visite de l'entreprise pour deuxième examen médical ". A l'issue de la seconde visite médicale, le 19 février 2018, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude de Mme D... dans les termes suivants : " inapte à la reprise de son poste de contrôleur de gestion. Pas de reclassement professionnel proposé de ma part au sein de l'entreprise ". S'estimant dispensée par le médecin du travail de son obligation de reclassement et Mme D... étant détentrice des mandats de déléguée du personnel titulaire, représentante syndicale au comité d'entreprise et conseillère prud'homale, l'IGESA a sollicité auprès de l'inspecteur du travail une demande d'autorisation de la licencier pour inaptitude. Par décision du 9 mai 2018, l'inspecteur a refusé d'autoriser ce licenciement au motif que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. L'IGESA a repris la procédure et a proposé à l'intéressée, par courrier en date du 4 juin 2018, un poste de chef de bureau à la direction comptable et financière au siège de l'institution à Bastia, offre à laquelle Mme D... n'a pas répondu. Sollicité de nouveau, l'inspecteur du travail a cette fois, par décision du 14 septembre 2018, autorisé le licenciement. L'IGESA relève appel du jugement du 23 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé cette décision.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (...) / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. ". Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 1226-2-1 du même code : " L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. ".

3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise.

4. Par ailleurs, le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail implique, en cas de licenciement d'un salarié protégé pour inaptitude, que ce dernier soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, ainsi que de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir au cours de l'enquête, dans des conditions et des délais lui permettant de les discuter utilement, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 1 ci-dessus, l'IGESA a proposé à l'intéressée, dans le cadre de son obligation de reclassement, un poste de chef de bureau à la direction comptable et financière au siège de l'institution à Bastia. Il ressort des pièces du dossier, et n'est pas sérieusement contesté par Mme D..., que cette proposition, qui a été soumise à l'avis du comité d'entreprise, prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail tenant à l'inaptitude de l'intéressée à la reprise de son poste de contrôleur de gestion et est comparable à l'emploi qu'elle occupait précédemment puisqu'elle le qualifie elle-même d'identique. Par la formulation de cette seule proposition, l'IGESA doit ainsi être regardée, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, comme ayant satisfait à son obligation de reclassement. Il ressort des énonciations de la décision contestée que l'inspecteur du travail, qui a fait mention de cet article L. 1226-2-1, a vérifié que l'emploi en question, parmi les douze postes que, dans le cadre de l'enquête contradictoire, Mme D... lui a signalés comme étant ouverts au recrutement par l'IGESA sans qu'ils lui aient été personnellement proposés, était le plus approprié. Les observations présentées par l'IGESA suite à la transmission, par l'inspecteur, des fichiers contenant les douze fiches de poste que Mme D... lui a fait parvenir, en substance les raisons pour lesquelles ces postes n'ont pas été proposés à l'intéressée, ne sauraient, dans ces conditions et en l'espèce, revêtir le caractère d'éléments déterminants au sens et pour l'application du principe mentionné au point 4 ci-dessus. En conséquence, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que, en ne communiquant à Mme D... que le 24 août 2018, soit deux jours seulement avant qu'il ne rende sa décision, lesdites observations de l'IGESA, la salariée " n'a pas été mise à même de prendre connaissance des éléments déterminants recueillis au cours de l'enquête avant que l'inspecteur du travail ne statue sur la demande de licenciement, et ainsi de présenter utilement ses observations " et ont accueilli pour annuler la décision du 14 septembre 2018 le moyen qu'elle a soulevé devant eux tiré de l'insuffisance du caractère contradictoire de la procédure.

6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif de Bastia et devant la Cour.

Sur les autres moyens invoqués par Mme D... :

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme E..., déléguée du personnel, a été convoquée à la séance du comité d'entreprise du 5 juillet 2018 par courriel adressé le 29 juin 2018, soit en temps utile, mais qu'elle n'a pu matériellement prendre connaissance du message pour des raisons propres. L'intéressée a cependant attesté de ce qu'elle avait été mise à même de consulter ce message et l'inspecteur du travail s'en est assuré auprès d'elle. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que l'avis rendu par le comité d'entreprise est irrégulier au motif de la convocation irrégulière de l'une de ses membres.

8. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que le comité d'entreprise n'aurait pas été consulté sur la proposition de reclassement manque en fait.

9. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'alors qu'il lui était loisible de le faire, Mme D... n'a pas contesté l'avis rendu par le médecin du travail, qui limitait l'inaptitude médicale de l'intéressée au seul poste de chef de bureau contrôleur de gestion au sein de la direction du budget qu'elle occupait. Elle s'est par ailleurs abstenue de formuler une quelconque observation en réponse à la proposition d'affectation sur le poste de chef de bureau à la direction comptable et financière formulée par son employeur le 4 juin 2018, qui apparaît, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier et tel qu'exigé par les dispositions précitées de l'article L. 1226-2 du code du travail, aussi comparable que possible à l'emploi qu'elle occupait précédemment, dans la mesure où ce poste, situé dans un autre service du même établissement, relevait du même niveau de responsabilité, nécessitait des qualifications analogues et était sans effet en termes de rémunération. Enfin, l'intéressée ne s'est pas présentée à l'entretien préalable au licenciement du 29 juin 2018 et n'a donc à aucun moment fait état auprès de son employeur d'une réserve tenant à son aptitude à occuper ce nouveau poste. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation que l'IGESA a proposé ce poste à Mme D.... Et ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, l'IGESA doit être regardée, eu égard aux dispositions de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, comme ayant satisfait à son obligation de reclassement.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'IGESA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du 14 septembre 2018 de l'inspecteur du travail.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de Mme D... la somme que demande l'IGESA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par Mme D... soient mises à la charge de l'IGESA, qui n'est pas la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 23 juin 2020 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Bastia et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de l'IGESA présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'institution de gestion sociale des armées (IGESA), à Mme C... D... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2021.

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N° 20MA03038

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA03038
Date de la décision : 09/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-035-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Motifs autres que la faute ou la situation économique. Inaptitude ; maladie.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SELARL SERFATY VENUTTI CAMACHO et CORDIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-04-09;20ma03038 ?
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