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05/07/2021 | FRANCE | N°20MA04608

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 05 juillet 2021, 20MA04608


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser, à titre de provision, la somme de 40 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'absence de prise en charge de son état de santé en temps utile, alors qu'il était en détention, et de prescrire une expertise afin d'évaluer plus largement ses préjudices.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verse

r la somme en principal de 6 360 euros au titre des prestations servies à M. C.......

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser, à titre de provision, la somme de 40 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'absence de prise en charge de son état de santé en temps utile, alors qu'il était en détention, et de prescrire une expertise afin d'évaluer plus largement ses préjudices.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme en principal de 6 360 euros au titre des prestations servies à M. C....

Par un jugement n°2000385 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 1er décembre 2020 ;

2°) de prescrire une expertise afin d'évaluer ses préjudices et de lui allouer, dans l'attente, à titre de provision, la somme de 50 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'unité de soins du service pénitentiaire n'a pas pris en charge son état de santé conformément aux règles de la médecine ;

- la faute simple dans l'organisation et le fonctionnement du service pénitentiaire, qui ne l'a pas extrait en temps utile, engage également la responsabilité de l'Etat ;

- on ne saurait lui reprocher de ne pas apporter la preuve de ces défaillances ;

- le retard de prise en charge est à l'origine de la perte de l'oeil ;

- l'Etat ne saurait s'exonérer de sa responsabilité en se prévalant de fautes commises par l'unité de soins ;

- ses préjudices, qui ne sont pas tous consolidés, sont constitués d'un déficit fonctionnel temporaire, d'un déficit fonctionnel permanent, de souffrances, d'un préjudice esthétique, d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice économique et matériel.

Les parties ont été informées, par une lettre du 1er mars 2021, qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative il était envisagé d'appeler l'affaire au cours du premier semestre 2021 et que l'instruction pourrait être close à partir du 30 mars 2021 sans information préalable.

Par une ordonnance du 30 avril 2021, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté pour M. C..., a été enregistré le 26 mai 2021.

Un mémoire en défense, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, a été enregistré le 1er juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... relève appel du jugement du 1er décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser des préjudices subis du fait de l'absence de prise en charge de son état de santé en temps utile, alors qu'il était en détention, et à ce que, avant-dire droit, soit prescrite une expertise afin d'évaluer ses préjudices et lui soit allouée une provision de 40 000 euros.

2. Le requérant, souffrant de diabète, soutient qu'en raison d'une carence dans sa prise en charge médicale au sein de l'établissement pénitentiaire de Villeneuve-lès-Maguelone où il était incarcéré du 10 novembre 2011 au 22 février 2013, notamment en raison d'un défaut de suivi par le service médical de l'établissement et de l'absence de réalisation des examens requis par son état de santé pourtant prescrits par ledit service, il a perdu la vue de l'oeil gauche et a dû subir une éviscération. La fiche médicale afférente à son suivi au sein de la maison d'arrêt mentionne, en son feuillet n°3, à la suite d'une consultation du 12 mai 2012, une acuité visuelle de l'oeil gauche qui semble satisfaisante mais la nécessité d'effectuer une " angio " et un " laser ". Un autre feuillet mentionne, au regard d'une consultation effectuée le 5 septembre 2012, que l'intéressé se plaint d'une vision trouble de l'oeil gauche depuis environ un mois et constate notamment une acuité visuelle nulle de cet oeil, concluant également à la réalisation d'une " angio ". Il ne résulte pas de l'instruction que ces examens aient été pratiqués dans les suites de ces consultations. S'il résulte des documents produits par M. C... qu'il a finalement été pris en charge au sein du service d'ophtalmologie du centre hospitalier de Montpellier, les interventions qui y ont été effectuées au mois d'octobre 2012 n'ont porté que sur son oeil droit, l'oeil gauche ne faisant l'objet d'une intervention qu'au mois de décembre 2012. M. C... soutient que cet oeil était en réalité déjà perdu en octobre 2012.

3. Ces éléments sont de nature à créer un doute sur la qualité de la prise en charge de l'état de santé de M. C... sans que l'état du dossier ne permette à la Cour de déterminer si celle-ci a effectivement été défaillante ni si les conditions de cette prise en charge ont contribué à la perte de son oeil gauche. Dans ces circonstances, et alors que l'Etat ne saurait, le cas échéant, s'exonérer de sa responsabilité vis-à-vis de l'intéressé au motif que les fautes en cause seraient imputables au suivi assuré par le centre médical de l'établissement, lequel dépend du centre hospitalier de Montpellier, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée. Il y a lieu, avant de statuer plus amplement sur la requête de M. C..., d'ordonner une expertise sur ces points ainsi que sur les préjudices subis par l'intéressé.

4. En revanche, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que ses conclusions tendant à ce qu'une provision lui soit allouée ont été rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de M. C... tendant à la condamnation de l'Etat, procédé, par un expert désigné par la présidente de la cour administrative d'appel, à une expertise médicale contradictoire en présence du requérant, du garde des sceaux, ministre de la justice, du centre hospitalier de Montpellier et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

L'expert aura pour mission, après avoir convoqué, interrogé, examiné M. C..., pris connaissance, avec son autorisation, de son entier dossier médical, consulté tout document, même détenu par un tiers, et recueilli tout renseignement utile à l'expertise :

1) de décrire l'état de santé passé et actuel de M. C..., s'agissant particulièrement de son oeil gauche ;

2) de donner des indications précises sur le suivi médical dont il a bénéficié à cet égard durant sa période d'incarcération au sein de l'établissement pénitentiaire de Villeneuve-lès-Maguelone ;

3) d'indiquer si ce suivi a été attentif, consciencieux et conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science ou s'il a été, en raison d'une carence du service médical du centre pénitentiaire ou de l'administration pénitentiaire elle-même, défaillant ;

4) de déterminer, en cas de défaillance(s), dans quelles proportions celle(s)-ci est(sont) à l'origine de la dégradation de l'état de son oeil gauche, de sa cécité et de l'éviscération dont il a dû bénéficier ou d'une perte de chance d'éviter ces évolutions ; de fixer, le cas échéant, le taux de cette(ces) perte(s) de chance ;

5) de fixer une date de consolidation de l'état de son oeil ;

6) de déterminer, en les chiffrant précisément, les préjudices subis par M. C... en raison de l'état de son oeil gauche qui présentent un lien avec les conditions de sa prise en charge, notamment et le cas échéant :

- les préjudices patrimoniaux, temporaires et permanents, soit les dépenses de santé et frais futurs restés à sa charge ou pris en charge par un tiers, notamment la caisse primaire d'assurance maladie, l'assistance par une tierce personne, les répercussions sur l'activité professionnelle ;

- les préjudices extrapatrimoniaux, temporaires et permanents, soit le déficit fonctionnel, total ou / et partiel, la durée de la période d'incapacité temporaire totale ou partielle, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément ;

- tous autres préjudices pouvant être constatés.

7) de distinguer, parmi ces préjudices, ceux imputables de manière directe, certaine et exclusive aux conditions de sa prise en charge médicale durant sa période de détention, et ceux imputables le cas échéant, dans les mêmes conditions, à d'autres causes ; dans le cas où les préjudices auraient plusieurs causes ou/et où M. C... aurait perdu une chance de les éviter, indiquer la part de ces préjudices ou/et le taux de perte de chance de les éviter imputable à chacune des circonstances en présence.

L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision le désignant.

Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 2 : Les conclusions de M. C... tendant à l'allocation d'une provision sont rejetées.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au garde des sceaux, ministre de la justice, au centre hospitalier de Montpellier et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2021, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- Mme B..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2021.

N°20MA04608 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA04608
Date de la décision : 05/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Juridictions administratives et judiciaires - Exécution des jugements - Exécution des peines - Service public pénitentiaire.

60 Responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : LAPORTE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-07-05;20ma04608 ?
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