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01/02/2022 | FRANCE | N°21MA02695

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 01 février 2022, 21MA02695


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté en date du 6 novembre 2020 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 2100032 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de

Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté en date du 6 novembre 2020 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 2100032 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 9 juillet 2021, M. A..., représenté par

Me Summerfield, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 26 mars 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 6 novembre 2020 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat au bénéfice de Me Summerfield la somme de

1 500 euros TTC sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet s'est cru à tort lié par l'avis du collège des médecins et ne pouvait fonder son refus exclusivement sur cet avis qui contredit celui du médecin de l'agence régionale de santé (ARS) rendu sur sa précédente demande de titre de séjour en ce qui concerne la disponibilité en Arménie du traitement approprié à sa pathologie cardiaque, alors que le système de santé arménien s'est entre-temps dégradé ;

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur ces deux moyens ;

- l'arrêté en litige est entaché de détournement de procédure, faute pour le préfet d'avoir donné suite à sa précédente demande de titre de séjour qui avait pourtant recueilli l'avis favorable du médecin de l'ARS ;

- il n'existe pas en Arménie d'accès effectif aux soins appropriés à sa pathologie cardiaque ;

- en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en ne prenant pas en compte son exil en Europe depuis 2009 et son départ d'Arménie depuis 1993, le préfet a entaché son refus d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale par la voie de l'exception ;

- cette mesure d'éloignement méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision qui fixe l'Arménie comme pays de renvoi est illégale car elle traduit non seulement une rupture de l'unité de famille, ses enfants, de nationalité russe, résidant régulièrement en France, mais encore une fin brutale de son traitement médicamenteux susceptible d'engendrer pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2022, le préfet des Pyrénées-Orientales, représenté par Me Joubes, conclut au rejet de la requête et ce que soit mise à la charge de son auteur la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en soutenant que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du

28 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Revert.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité arménienne, né le 22 août 1974 et entré en France pour la dernière fois selon lui en 2017, a demandé le 23 septembre 2019 la délivrance d'un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale et de son état de santé. Par arrêté du 6 novembre 2020, pris après avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 17 février 2020, le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par jugement du 26 mars 2021, dont il relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutient l'appelant, les premiers juges ont expressément statué, au point 3 de leur jugement, sur son moyen tiré de l'erreur de droit prétendument commise par le préfet en se croyant lié par l'avis du collège des médecins de l'OFII. En affirmant, devant le tribunal, que le préfet n'aurait pas tenu compte de l'avis favorable rendu le 18 juin 2013 par le médecin de l'agence régionale de santé pour les besoins de sa précédente demande de titre de séjour, présentée le 18 janvier 2013, M. A... n'a pas développé un moyen distinct du précédent, mais a présenté une autre branche de ce moyen, sans incidence sur le respect par le préfet de l'étendue de sa compétence, et à laquelle les premiers juges n'étaient donc pas tenus de répondre. Par suite l'appelant n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'omissions à statuer de nature à justifier son annulation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité du refus de titre de séjour

3. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. / La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

4. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin mentionné à l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge médicale risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

5. D'une part, le collège des médecins de l'OFII consulté sur la demande de titre de séjour de M. A..., qui souffre à la date de l'arrêté en litige, d'une valvulopathie

mitro-aortique ainsi que d'une gastrite chronique, nécessitant la prise à vie de traitements médicamenteux, a considéré, dans son avis du 17 février 2020, dont le préfet s'est approprié les conclusions, que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins existant en Arménie, dont il a la nationalité, il pourrait effectivement y bénéficier d'un traitement approprié. Il ne ressort ni des énonciations de l'arrêté en litige ni d'aucune des autres pièces du dossier, que pour refuser de faire droit à la demande de titre de séjour de l'intéressé, le préfet des Pyrénées-Orientales se serait cru lié par cet avis, alors même que, sur sa précédente demande de titre de séjour formée le 19 janvier 2013, le médecin de l'agence régionale de santé avait considéré le 18 juin 2013 qu'il n'existait pas en Arménie de traitement approprié à ses affections.

6. D'autre part, il est constant que, ainsi que l'a considéré le collège des médecins dans l'avis précité, M. A... peut effectivement bénéficier en Arménie d'un traitement médicamenteux approprié à la gastrite chronique dont il souffre. Il résulte également des pièces du dossier, et notamment d'une note de l'ambassade de France en Arménie, relayant les éléments d'analyse de son médecin conseil, que le médicament anticoagulant dénommé " Préviscan ", prescrit à M. A... depuis le 7 février 2018 pour son affection cardiaque ayant justifié

en 2010 la pose de deux valves mitro-aortiques de type mécanique, n'est pas disponible

en Arménie. Toutefois, ce même document, utilement éclairé par les données de la bibliothèque d'informations de santé en Arménie produites par le requérant lui-même, et non sérieusement contesté par lui en se limitant à douter des compétences cardiologiques de son auteur, montre qu'il y existe d'autres médicaments anticoagulants, relevant d'autres molécules que

le " Préviscan ", susceptibles d'être prescrits pour le traitement de cette pathologie cardiaque, laquelle est soignée dans les grands centres de cardiologie de ce pays. Contrairement

à ce que prétend l'appelant, il ne résulte pas de la documentation médicale produite, qui se borne à démontrer que le " Préviscan " n'est plus prescrit en premier traitement anticoagulant,

que ce médicament ne pourrait pas être remplacé par un autre, dans le cas de l'intéressé,

sans risques hémorragiques ou thrombo-emboliques. D'ailleurs, aucun des certificats

médicaux versés au dossier d'instance ne proscrit une telle substitution de médicaments.

Il n'est pas non plus sérieusement contesté par M. A... que l'Arménie dispose de structures spécialisées pour le traitement des troubles dont il est atteint ou que, malgré son départ du pays en 1993, il ne pourrait y accéder dans des conditions financières acceptables.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; (...) ".

Les dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précisent que : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313 2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. (...)".

8. Si M. A... fait valoir avoir quitté son pays depuis 1993, être entré en France pour la première fois en 2010 et y avoir ses deux enfants nés en 1995 et 1997 en Russie, ainsi que leur mère, tous munis de titres de séjour, il est divorcé de son épouse et ne livre aucun élément propre à démonter la réalité et l'intensité des relations avec ses enfants devenus majeurs à la date de l'arrêté en litige. Dans ces conditions, alors qu'il a été l'objet d'une mesure d'éloignement le 30 janvier 2015 et a gagné le territoire français pour la dernière fois en 2017, et malgré la promesse d'embauche dont il bénéficie depuis novembre 2020, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le refus de titre de séjour en litige a porté à son droit à mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris. Ses moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés. Il doit en aller également ainsi, pour les mêmes motifs, du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, malgré le parcours migratoire de l'intéressé depuis 2009.

9. En dernier lieu, le détournement de procédure allégué pour la première fois en appel n'est pas établi.

En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français à destination de l'Arménie

10. Compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, l'appelant n'est pas fondé à exciper de l'illégalité du refus de titre de séjour pour soutenir que serait également illégale l'obligation de quitter le territoire français.

11. Pour les motifs énoncés au point 6, il y a lieu d'écarter le moyen, articulé contre l'obligation de quitter le territoire français et tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

12. Enfin, pour les motifs énoncés aux points 6 et 8, M. A... n'est en tout état de cause pas fondé à prétendre que la décision fixant l'Arménie comme pays de renvoi emporterait rupture de sa vie familiale et interruption brutale de son traitement médicamenteux, en méconnaissance, respectivement, des stipulations de l'article 8 et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et les conclusions de son conseil liées aux frais d'instance.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par le préfet des Pyrénées-Orientales sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du préfet des Pyrénées-Orientales présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Summerfield et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2021, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2022.

N° 21MA026952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02695
Date de la décision : 01/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP VIAL - PECH DE LACLAUSE - ESCALE - KNOEPFFLER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-02-01;21ma02695 ?
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