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10/05/2022 | FRANCE | N°21MA03747

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 10 mai 2022, 21MA03747


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Chalet des Jumeaux a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 3 618 121 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de la procédure de passation pour l'attribution de trente sous-traités de concession pour l'exploitation de la plage de Pampelonne, avec intérêts au taux légal et capitalisés.

Par un jugement n° 1903616 du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la

requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire ampliatif, enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Chalet des Jumeaux a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 3 618 121 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de la procédure de passation pour l'attribution de trente sous-traités de concession pour l'exploitation de la plage de Pampelonne, avec intérêts au taux légal et capitalisés.

Par un jugement n° 1903616 du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 31 août et 4 octobre 2021, la société Le Chalet des Jumeaux, représentée par la SCP d'avocats aux conseils Lyon-Caen et Thiriez, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 3 618 121 euros hors taxes, assortie des intérêts de droit et de l'anatocisme ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

1°) sur la régularité du jugement :

- le principe du contradictoire n'a pas été respecté, faute de communication régulière de l'ensemble des pièces produites par la commune de Ramatuelle ;

- le tribunal, point 6 de son jugement, répond à un moyen qui n'est pas soulevé, en l'occurrence le droit du concédant, qui n'est pas contesté, de limiter le nombre de concessions qu'un même opérateur économique peut se voir attribuer, alors que le moyen ne porte pas sur cette restriction, mais sur celle du nombre de concessions auxquelles un opérateur économique peut se porter candidat ;

2°) sur le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la régularité de la procédure d'attribution des lots :

- c'est à tort que le tribunal a considéré que le pouvoir adjudicateur avait pu légalement limiter à deux le nombre des concessions pour lesquelles un candidat pouvait déposer une offre, dès lors qu'aucun texte ne l'interdisait et que cela était annoncé par le règlement de la consultation ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de ce que l'autorité concédante a insuffisamment défini ses besoins pour s'être abstenue de définir les caractéristiques et besoins propres à chacune des concessions mises en concurrence ;

- les documents de la consultation ne prévoyaient aucune spécificité propre à chacun des lots et ont été imprécis et ambigus ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de l'irrégularité du critère financier imprécis et incohérent, dans la mesure où il était exigé des soumissionnaires deux objectifs contradictoires : réaliser le plus gros chiffre d'affaires possible (lequel constitue l'assiette de calcul du montant de la redevance variable) tout en garantissant des prix modérés, permettant l'accueil d'une clientèle locale, ce denier objectif venant nécessairement impacter à la baisse le chiffre d'affaires escompté ;

- c'est à tort que le jugement attaqué a écarté le moyen tiré de ce que l'autorité délégante a méconnu ou a manifestement altéré les termes de son offre financière, pour ne pas l'avoir évaluée au regard de sa " cohérence ", au motif erroné que l'exposante n'aurait pas fourni son compte d'exploitation prévisionnel à l'appui de son offre financière optimisée ;

- la non-prise en compte de l'expérience de la société le Chalet des Jumeaux révèle une méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les candidats et une insuffisante définition préalable des besoins par l'autorité concédante, moyen écarté à tort par le tribunal au point 8 de son jugement, en méconnaissance des articles 27 et 45 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;

S'agissant du préjudice subi :

- disposant d'une chance sérieuse d'obtenir l'un des dix contrats dont l'attribution est contestée, en particulier celui correspondant au lot E3, et eu égard aux stipulations de l'article 4.3 du règlement de la consultation, elle peut légitimement prétendre à obtenir le manque à gagner qu'elle aurait retiré de l'exploitation de l'un des lots prévus par la consultation ;

- le manque à gagner correspond à ce qui aurait résulté de l'exploitation du contrat de sous-concession correspondant au lot n° E3, soit 3 618 121 euros, montant qui ne saurait être considéré comme surestimé, le rapport d'analyse des offres qualifiant, au contraire, le chiffre d'affaires escompté par la société appelante au titre du lot n° E3 de " beaucoup moins ambitieux " que celui de ses concurrents.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2022, la commune de Ramatuelle, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Le Chalet des Jumeaux d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

1°) sur la régularité du jugement, la société Le Chalet des Jumeaux n'assortit pas son moyen prétendument tiré du non-respect du contradictoire de suffisamment de précisions pour permettre à la Cour d'en apprécier le bien-fondé ;

2°) sur le bien-fondé du jugement :

- la société le Chalet des Jumeaux n'est pas recevable à contester l'attribution de lots pour lesquels elle n'a pas candidaté ;

- la procédure d'attribution des lots n'est entachée d'aucune irrégularité ; elle était en droit de limiter à deux le nombre de lots pour lesquels un candidat pouvait déposer une offre et elle a parfaitement défini ses besoins ; le critère financier ne présente aucune incohérence et elle n'a pas dénaturé l'offre financière de l'appelante ;

- la société Le Chalet des Jumeaux n'a subi aucun préjudice.

Par ordonnance du 15 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;

- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gilles Taormina, rapporteur,

- les conclusions de M. Renaud Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Thiriez pour la société Le Chalet des Jumeaux et de Me Callot pour la commune de Ramatuelle.

Une note en délibéré, enregistrée le 25 avril 2022, a été produite pour la société Le Chalet des Jumeaux.

Une note en délibéré, enregistrée le 27 avril 2022, a été produite pour la commune de Ramatuelle.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 7 avril 2017, le préfet du Var a accordé à la commune de Ramatuelle la concession de la plage naturelle de Pampelonne, pour une durée de douze ans à compter du 1er janvier 2019. La commune de Ramatuelle a engagé le 30 juin 2017 une procédure de mise en concurrence en vue de l'attribution d'une sous-concession de service public pour l'exploitation de la plage de Pampelonne, décomposée en trente lots, pour une durée de douze ans du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2030, étant précisé que les documents de la consultation faisaient obstacle à ce que les candidats déposent une offre de service à plus de deux concessions sur les trente mises en concurrence. Il était cependant prévu en outre, par le règlement de la consultation, que chaque opérateur économique ne pourrait être attributaire au maximum que de l'une des sous-concessions (lots) mises en concurrence. Par avis d'appel à la concurrence n° 17-91007 publié au BOAMP du 30 juin 2017, la commune de Ramatuelle a lancé les trente consultations. Par une délibération du 16 juillet 2018, le conseil municipal a procédé à l'attribution des lots et a attribué le lot E3, pour lequel la société Le Chalet des Jumeaux avait posé sa candidature, à la société Foncière PLM. Par un courrier du 19 juillet 2018, la société Le Chalet des Jumeaux, qui avait déposé sa candidature pour les lots T3d et E3, a été informée du rejet de ses offres. Le 19 octobre 2018, le maire de Ramatuelle a signé avec la société Foncière PLM la convention de délégation de service public litigieuse. Par une ordonnance n° 1802398 du 24 août 2018, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions de la société requérante tendant à l'annulation de la procédure de passation des lots T3d et E3. Cette ordonnance a fait l'objet d'un pourvoi, mais les contrats correspondants ayant été signés, le Conseil d'Etat a, par une ordonnance n° 423690-423691 du 28 mars 2019, constaté le non-lieu à statuer.

2. La société Le Chalet des Jumeaux relève appel du jugement n° 1903616 rendu le 1er juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête tendant à la condamnation de la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 3 618 121 euros correspondant à son manque à gagner dans l'exploitation du lot n° E3, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de la procédure de passation pour l'attribution de trente sous-traités de concession pour l'exploitation de la plage de Pampelonne, avec intérêts au taux légal et capitalisés.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Les tiers autres que le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, applicable aux faits de l'espèce : " I. - Les contrats de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ". Aux termes de l'article 36 de la même ordonnance : " Sans préjudice des dispositions du chapitre préliminaire et du chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la première partie du code général des collectivités territoriales, l'autorité concédante organise librement la procédure qui conduit au choix du concessionnaire, dans le respect des principes énoncés à l'article 1er de la présente ordonnance, des dispositions du présent chapitre et des règles de procédure fixées par voie réglementaire... ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité concédante peut restreindre la liberté d'accès des candidats à l'attribution de concessions en limitant le nombre de lots auxquels un candidat peut soumissionner, à la condition que cette restriction respecte les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures et qu'elle soit justifiée par un motif légitime et proportionnée à l'objectif poursuivi.

5. Il ressort du règlement de la consultation que : " 4.3 Conditions de participation. Les candidats sont informés de la possibilité de présenter une offre pour un ou deux lots au maximum en précisant expressément leur préférence. Afin d'assurer une réelle diversité sur le site de la plage de Pampelonne, chaque candidat ne pourra être attributaire que d'un seul lot ". La société Le Chalet des Jumeaux soutient qu'elle a été irrégulièrement empêchée de soumissionner à plus de deux lots, en méconnaissance du principe de liberté d'accès à la commande publique.

6. Le pouvoir adjudicateur qui recourt à l'allotissement peut décider, afin de mieux assurer la satisfaction de ses besoins en s'adressant à une pluralité suffisante de cocontractants potentiels ou de favoriser l'émergence d'une plus grande concurrence, de limiter le nombre de lots qui pourra être attribué à chaque candidat, dès lors que ce nombre est indiqué dans les documents de la consultation. Toutefois, dès lors qu'en l'espèce, chaque candidat ne pouvait se voir attribuer qu'un seul lot, la limitation, en outre, à deux du nombre de candidatures ne permettait pas à la commune d'assurer la satisfaction de ses besoins, en lui interdisant de s'adresser à une pluralité suffisante de cocontractants potentiels, cette limitation du nombre de candidatures limitant, en outre, la concurrence pour chaque lot.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : " Article 27. - La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. Article 28. - Les prestations à réaliser sont définies par référence à des spécifications techniques et fonctionnelles. Article 30. - Le contrat de concession ne peut contenir de clauses par lesquelles le concessionnaire prend à sa charge l'exécution de services, de travaux ou de paiements étrangers à l'objet de la concession. Article 47. - Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution. / Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'autorité concédante et garantissent une concurrence effective. ". Aux termes de l'article 27 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 : " I. - Pour attribuer le contrat de concession, l'autorité concédante se fonde, conformément aux dispositions de l'article 47 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 susvisée, sur une pluralité de critères non discriminatoires. Au nombre de ces critères, peuvent figurer notamment des critères environnementaux, sociaux, relatifs à l'innovation. Lorsque la gestion d'un service public est déléguée, l'autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. / Les critères et leur description sont indiqués dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. II. - Pour les contrats de concession qui relèvent du 1° de l'article 9, l'autorité concédante fixe les critères d'attribution par ordre décroissant d'importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation... ".

8. La société Le Chalet des Jumeaux soutient que la commune de Ramatuelle n'a pas spécifié la nature et l'étendue des besoins à satisfaire propres à chacune des sous-concessions mises en concurrence, alors qu'elle souhaitait l'installation sur la plage de Pampelonne d'établissements de standings différents, de sorte qu'elle aurait dû, à cette fin, préciser les lots destinés à être attribués aux établissements de très haut standing, les lots destinés à l'être à ceux de standing intermédiaire et les lots destinés à des établissements de type familial. Parvenir à ce résultat conforme aux besoins exprimés par la commune, qui tenait à une diversification effective de la gamme de services proposés à la clientèle, supposait une mise en concurrence des établissements de standing équivalent, une répartition des parcelles à attribuer entre les catégories d'établissements selon leur niveau de standing, et des critères de sélection des candidatures propres à chaque catégorie d'établissement. A défaut de telles précisions, des candidatures de niveau de standing très différent s'étant retrouvées en concurrence sur une même parcelle, la commune de Ramatuelle s'est arrogée un pouvoir discrétionnaire d'attribution des lots incompatible avec les principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence ci-dessus rappelés.

9. En troisième lieu, si la société Le Chalet des Jumeaux soutient que le critère financier d'appréciation des offres prévu par le point 8.3 du règlement de la consultation était imprécis et contradictoire, il ne résulte pas de l'instruction que ce critère visait l'offre proposant la redevance la plus importante et aurait impliqué la réalisation d'un chiffre d'affaires particulièrement important. Par ailleurs, les éléments relatifs à l'activité touristique raisonnée étaient prévus dans le premier critère relatif au " projet d'établissement en corrélation avec la politique touristique communale " et non pas parmi les éléments d'appréciation du critère 4, et ne traduisent aucune contradiction entre le chiffre d'affaires à atteindre et l'exigence d'une activité touristique balnéaire raisonnée. En outre, il résulte du rapport d'analyse des offres que la société requérante a été admise à négocier alors que son offre proposait la redevance la moins élevée, tandis que la société Euripar avait été écartée des négociations malgré une redevance plus importante, la commune estimant que sa proposition ne laissait que peu de marge de négociation. Dans ces conditions, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'elle ne pouvait arguer que seul le montant des redevances avait été pris en compte lors de l'appréciation de ce critère.

10. En quatrième lieu, si la société Le Chalet des Jumeaux soutient que la cohérence de son offre financière n'a pas été examinée, il ressort en effet du rapport d'analyse des offres que l'aspect financier de son offre a été appréciée au regard du montant de la redevance sans évoquer la question de la cohérence de l'offre, c'est-à-dire notamment de la pertinence du niveau de redevance compte tenu du standing de l'établissement, en méconnaissance du règlement de la consultation. Or les prix proposés par la société Foncière PLM, attributaire, étaient plus de deux fois supérieurs à ceux proposés par la société appelante, alors que l'article 4 du cahier des charges précise que la cohérence entre le compte prévisionnel d'exploitation, la tarification de service proposée et le niveau de redevance proposé " fera l'objet d'une attention toute particulière ".

11. En cinquième lieu, si la société appelante soutient que la commune de Ramatuelle a méconnu les termes de son offre en estimant qu'elle n'avait pas fourni son compte d'exploitation prévisionnel modifié à l'appui de son offre financière optimisée, le rapport d'analyse des offres précise en effet que " le candidat n'a pas fourni de CEP relatif à son offre optimisée " et qu'en conséquence, " la cohérence de sa proposition financière finale n'a pas pu être analysée ", le rapport reprenant en conséquence les données de l'offre initiale. Il résulte cependant d'un constat d'huissier établi à la demande de la société appelante que, le 5 juin 2018, le service chargé de l'analyse des offres a été rendu destinataire, par l'application WeTransfer, d'un ensemble de documents comprenant un compte d'exploitation prévisionnel modifié, faisant état de charges et de redevances différentes, ainsi que d'un résultat différent. Dans ces conditions, l'analyse de l'offre de la société Le Chalet des Jumeaux n'a pu qu'être entachée d'erreur de fait.

12. Dans ces conditions, la société Le Chalet des Jumeaux est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la commune de Ramatuelle n'avait pas, en limitant le nombre de lots auxquels un candidat pouvait soumissionner, restreint la liberté d'accès des candidats à l'attribution de concessions sans motif légitime et de manière disproportionnée à l'objectif poursuivi, ni insuffisamment défini ses besoins, ni défini de manière imprécise ou ambigüe et inadéquate à ceux-ci les critères d'évaluation, de classement et de sélection des offres, ni méconnu les principes d'égalité de traitement et de transparence, et ont jugé que la cohérence de son offre financière avait été examinée et que l'analyse de son offre n'était pas entachée d'erreur de fait.

13. En sixième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que la procédure de passation du contrat en cause est entachée d'un vice qui découle de manquements de la commune de Ramatuelle à son obligation de mise en concurrence et d'appréciation complète de la cohérence financière et du contenu de l'offre de la société Le Chalet des Jumeaux.

14. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 à 13, les irrégularités relevées dans l'attribution du lot n° E3 ont privé la société Le Chalet des Jumeaux d'une chance sérieuse de se voir attribuer ce lot. Elle est, dès lors, fondée à demander à être indemnisée par la commune de Ramatuelle de son manque à gagner résultant de son éviction irrégulière. En revanche, elle n'a pas droit à être indemnisée spécifiquement des frais de présentation qu'elle aurait dû exposer même si elle avait remporté l'un des lots. Il en résulte que la société appelante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon, par le jugement attaqué dont il y a lieu, par suite, de prononcer l'annulation sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa régularité, a rejeté sa requête tendant à l'indemnisation de son préjudice.

15. Il ressort du compte d'exploitation prévisionnel détaillé produit pour le lot n° E3, que la commune a considéré comme cohérent dans le rapport d'analyse des offres, que le résultat net attendu sur l'ensemble de la période s'élève à 2 725 795 euros et non à 3 618 121 euros qui correspond au montant du résultat d'exploitation. Par suite, la commune de Ramatuelle doit être condamnée à payer à la société Le Chalet des Jumeaux la somme de 2 725 795 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

16. Aux termes de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte... ". Aux termes de l'article 1231-7 du même code : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement. / En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa ". Aux termes de l'article 1343-2 du même code : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ".

17. En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal doivent courir, sur la somme de 2 725 795 euros retenue au point 15 ci-dessus, à compter du prononcé du présent arrêt, pour être eux-mêmes capitalisés pour produire intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code, un an après cette date, date à laquelle une année entière d'intérêts sera échue, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle, au profit de la société Le Chalet des Jumeaux, une somme de 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Le Chalet des Jumeaux qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la commune de Ramatuelle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1903616 rendu le 1er juillet 2021 par le tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : La commune de Ramatuelle est condamnée à payer à la société Le Chalet des Jumeaux une somme de 2 725 795 euros.

Article 3 : La somme mentionnée à l'article 2 ci-dessus portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Les intérêts échus un an après cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Il est mis à la charge de la commune de Ramatuelle, au profit de la société Le Chalet des Jumeaux, une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Chalet des Jumeaux et à la commune de Ramatuelle.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2022, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mai 2022.

N° 21MA03747 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA03747
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

39-02-02-01 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés. - Mode de passation des contrats. - Délégations de service public.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Gilles TAORMINA
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS PHILIPPE PETIT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-05-10;21ma03747 ?
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