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04/11/2022 | FRANCE | N°20MA01359

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 04 novembre 2022, 20MA01359


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté interministériel du 27 juin 2018, portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, en tant que la commune de Céreste ne fait pas l'objet d'une constatation de l'état de catastrophe naturelle du fait de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2017.

Par un jugement n° 1807117 du 23 janvier 2020, le tribunal administra

tif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté interministériel du 27 juin 2018, portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, en tant que la commune de Céreste ne fait pas l'objet d'une constatation de l'état de catastrophe naturelle du fait de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2017.

Par un jugement n° 1807117 du 23 janvier 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars 2020, 14 juillet 2020 et 25 février 2022, M. A..., représenté par Me Boulisset, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler l'arrêté du 27 juin 2018 en tant qu'il ne reconnaît pas l'état de catastrophe naturelle pour la commune de Céreste ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il se fonde à tort uniquement sur les niveaux d'humidité des sols superficiels qui ne relèveraient pas de sécheresse anormale sur l'année 2017, que la présence d'argiles sensibles au retrait gonflement est avérée, que l'étude de la société Tenevia a conclu à un classement très probable en état de catastrophe naturelle et que les relevés pluviométriques d'une habitante de la commune démontrent que le rapport de la moyenne de l'indice d'humidité du sol sont inférieurs aux seuils minimaux requis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2020, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Fergon, conclut au rejet de la requête de M. A... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une sécheresse intervenue au cours de l'année 2017, la commune de Céreste (Alpes de Haute-Provence) a adressé au ministre de l'intérieur, sur le fondement des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances, une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2017. Par un arrêté interministériel du 27 juin 2018 paru au Journal officiel de la République française le 5 juillet 2018, notifié par le préfet des Alpes de Haute-Provence au maire de la commune de Céreste, portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, les ministres signataires ont refusé la reconnaissance de cet état à la commune de Céreste pour cette période. Le ministre de l'intérieur a rejeté, le 5 février 2019, le recours gracieux de la commune de Céreste. M. A..., propriétaire de deux maisons d'habitation sur le territoire de cette commune, lesquelles sont affectées de fissures qu'il attribue à un phénomène d'intense sécheresse, relève appel du jugement du 23 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 27 juin 2018.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, (...), ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles (...). / Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation. L'arrêté doit être publié au Journal officiel dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes à la préfecture. (...) ".

3. Il résulte des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance sur leur territoire de l'état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Ils peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'entourer, avant de prendre les décisions relevant de leurs attributions, des avis qu'ils estiment utiles de recueillir et s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Il incombe enfin aux ministres concernés de tenir compte de l'ensemble des éléments d'information ou d'analyse dont ils disposent, le cas échéant à l'initiative des communes concernées.

4. Pour instruire la demande de la commune de Céreste par l'arrêté contesté, les ministres compétents se sont appuyés sur des données fournies par Météo France ainsi que sur celles du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) pour l'évaluation d'un critère géologique, ainsi que sur l'avis de la commission interministérielle prévue par la circulaire interministérielle du 27 mars 1984, laquelle a pour mission d'éclairer les ministres sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, notamment ceux issus des travaux de Météo France et du BRGM, les avis qu'elle émet ne liant pas les autorités dont relève la décision.

5. Pour chaque commune et pour l'aléa relatif aux mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, la méthodologie retenue permet ainsi d'analyser des critères météorologiques et un critère géologique. S'agissant des critères météorologiques, les ministres se sont appuyés sur des données météorologiques de Météo France et, tenant compte de l'évolution des connaissances scientifiques, sur une méthodologie fondée sur le modèle Safran/Isba/Modcou (SIM) développé par Météo France, permettant d'évaluer le bilan hydrique des sols, et matérialisé par un découpage fin du territoire français en près de 9 000 mailles géographiques carrées de seulement huit kilomètres de côté auxquelles sont associées des valeurs déterminées à partir de critères permettant d'évaluer, pour chaque maille, le seuil à partir duquel le phénomène de retrait-réhydratation issu de la sécheresse est considéré comme intense et anormal. Ce modèle intègre un paramètre de teneur en eau des sols mesuré par l'index SWI (Soil Wetness Index), permettant de ne pas s'en tenir aux seuls critères météorologiques de pluviométrie et de mieux apprécier les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse puis à la réhydratation des sols. Les paramètres de température, d'humidité, de vent, de précipitations solides et liquides, de rayonnement solaire et d'infrarouge incident sont analysés par 300 mètres d'altitude et sont ensuite interpolés sur une grille de calcul régulière de huit kilomètres carrés. Ainsi, selon cette méthodologie, le phénomène de sécheresse dite hivernale est considéré comme revêtant une intensité anormale lorsque sur une période de quatre trimestres consécutifs la réserve en eau du sol superficiel est inférieure à la normale, dont une décade du trimestre de fin de recharge (de janvier à mars) inférieure à 80 % de la normale. Le phénomène de sécheresse printanière est avéré si la durée de retour de la moyenne des indices SWI des trois mois d'avril à juin est supérieure à vingt-cinq ans. Enfin, le phénomène de sécheresse dite estivale (de juillet à septembre) est considéré comme revêtant une intensité anormale par la prise en compte de deux critères alternatifs. Le premier de ces critères est rempli lorsque la teneur en eau des sols est inférieure à 70 % de son niveau habituel durant le troisième trimestre de l'année considérée et que le nombre de décades (10 jours) au cours desquelles le niveau d'humidité du sol SWI est inférieur à ce seuil se situe au premier, deuxième ou troisième rang sur la période 1989-2017. Le second de ces critères est rempli lorsqu'un indice d'humidité du sol SWI des neuf décades (90 jours) composant la période de juillet à septembre de l'année considérée est si faible que le temps de retour à la normale de la moyenne des SWI représente au moins vingt-cinq années. Dès lors que les critères relatifs à une période de sécheresse, portant, selon les périodes hivernales, printanière ou estivale, sur le pourcentage de réserve hydrique, la durée de retour du phénomène de sécheresse ou encore l'indice d'humidité du sol, sont réunis pour une maille de rattachement de la commune concernée, ils sont considérés comme réunis pour l'ensemble du territoire communal pour la période en cause. Les ministres se sont également appuyés sur un critère géologique, à partir des données issues du BRGM, déterminé en fonction du pourcentage de sols, sur le territoire de la commune concernée, sensibles au phénomène de retrait et de gonflement des argiles.

6. Il ressort d'un courrier du 5 février 2019 du ministre de l'intérieur et de l'avis de la commission interministérielle du 19 juin 2018 que l'arrêté contesté n'est pas fondé uniquement sur les niveaux d'humidité des sols superficiels, contrairement à ce que soutient le requérant, et que la nature du sol, plus particulièrement, l'analyse de la présence avérée d'argiles sensibles au retrait gonflement a bien été prise en compte pour la commune de Céreste, à hauteur de 81,7 % des sols comme le démontre les éléments de motivation de l'arrêté contesté issus de l'avis de la commission interministérielle du 19 juin 2018. D'ailleurs, le ministre de l'intérieur a reconnu, dans son courrier précité, la présence importante d'argiles sensibles au phénomène de sécheresse et de réhydratation des sols de la commune de Céreste.

7. Il ressort des pièces du dossier et plus particulièrement des éléments de motivation de l'arrêté contesté issus de l'avis de la commission interministérielle du 19 juin 2018 que, pour la commune de Céreste, dont chacune des mailles 8515, 8516, 8606 et 8607 a été analysée, s'agissant de la période de sécheresse hivernale, la réserve hydrique se situe à 85 %, deux fois 89 % et 90 %, soit au-dessus du seuil minimal requis d'un indice inférieur à 80 %. Il en va de même de la période de sécheresse estivale pour laquelle cette réserve a été estimée à 72 % pour la maille 8515 et à 71 % pour les autres, seuils ainsi supérieurs à celui de 70 %. En outre, les durées de retour concernant les sécheresses printanière et estivale sont de 5 et 6 années pour la maille 8515, de 3 années pour les mailles 8516 et 8606 et de 3 et 4 années pour la maille 8607, ne correspondant pas ainsi à la durée minimale de 25 ans. Dès lors, aucun des critères météorologiques de la méthodologie mentionnée au point 5 n'est rempli.

8. Si M. A... soutient que pour la maille 8515 où se situent ses parcelles, les critères de l'étude TENEVIA ont démontré que le rapport de la moyenne de l'indice d'humidité du sol est inférieur aux seuils minimaux requis pour reconnaître l'état de catastrophe naturelle, les données de cette étude, dont le mode de calcul n'est pas précisé par l'extrait du rapport produit au dossier, ne sont pas de nature à remettre en cause celles obtenues par la méthodologie précitée retenue par les ministres compétents. En particulier, cette étude qui conseille, au demeurant, de valider ses recommandations avec des observations de terrain indique pour cette maille que les périodes de retour des sécheresses printanière et estivale sont de 4 et 15 ans au lieu de la durée minimale de 25 ans requise. En outre, les relevés de pluviométrie d'une habitante de la commune qui aurait mis en évidence un pourcentage de 66 % de précipitations pour 2017 par rapport à la moyenne sur 10 ans, dont on ignore les conditions de réalisation, ne sauraient davantage permettre d'écarter les données mentionnées au point 7.

9. Les seules circonstances que le classement des parcelles appartenant à M. A... dans une zone où l'aléa " retrait-gonflement " des argiles est fort d'après le BRGM, que le plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) de la commune de Céreste aurait identifié un aléa de " retrait-gonflement " des sols argileux évalué entre moyen et fort et que des fissures auraient été constatées dans ses deux habitations ne sont pas suffisantes pour reconnaître à cette commune le classement de l'état de catastrophe naturelle. Enfin, si l'appelant se prévaut d'un effet Venturi compte tenu de l'étroitesse de la vallée qui prolonge la plaine où se situent ses maisons, il ressort des pièces du dossier que le paramètre du vent a bien été pris en compte par le modèle SIM visé au point 5.

10. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 à 9, les ministres compétents ont pu légalement estimer que la sécheresse n'avait pas eu un caractère d'intensité anormale sur le territoire de la commune de Céreste au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2017 et, par suite, refuser son classement d'état de catastrophe naturelle.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 juin 2018 en tant qu'il ne reconnaît pas l'état de catastrophe naturelle pour la commune de Céreste.

Sur les conclusions à fin d'expertise :

12. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ".

13. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise demandée par M. A..., qui ne présente pas d'utilité pour la solution du litige. Par suite, ses conclusions tendant à la désignation d'un expert doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du ministre de l'intérieur présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du ministre de l'intérieur présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 novembre 2022.

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N° 20MA01359

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01359
Date de la décision : 04/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

12-02 Assurance et prévoyance. - Contrats d'assurance.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : BOULISSET

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-11-04;20ma01359 ?
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