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20/01/2023 | FRANCE | N°20MA04635

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 20 janvier 2023, 20MA04635


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2020, 8 mai 2021 et 27 octobre 2022, sous le n° 20MA04635, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), représentée par Me Victoria demande à la Cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 août 2020 du préfet de la Haute-Corse portant non-opposition à déclaration pour l'exploitation des installations du parc éolien de A... l'Azzone sur la commune de Calenzana et portant prescriptions relatives à l'évaluation des incidences Natura 2000.

2°) d

e mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la SAS Marseole la somme de 3 000 euros en ap...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2020, 8 mai 2021 et 27 octobre 2022, sous le n° 20MA04635, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), représentée par Me Victoria demande à la Cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 août 2020 du préfet de la Haute-Corse portant non-opposition à déclaration pour l'exploitation des installations du parc éolien de A... l'Azzone sur la commune de Calenzana et portant prescriptions relatives à l'évaluation des incidences Natura 2000.

2°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la SAS Marseole la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le projet aurait dû faire l'objet d'une enquête publique, conformément aux dispositions des articles L. 123-2 et R. 123-1 du code de l'environnement ;

- l'absence de consultation du public méconnaît l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement ;

- l'absence de rapport de l'inspection des installations classées pour l'environnement et de l'avis du CODERST viole les dispositions des articles L. 512-12 et R. 512-23 du code de l'environnement ;

- l'évaluation des incidences Natura 2000 est insuffisante s'agissant des incidences du projet sur le Gypaète barbu, l'Aigle royal, le Milan royal, le risque de collision et les effets cumulés du projet ;

- les mesures d'évitement des collisions prévues à l'article 2.2.5 de l'arrêté attaqué sont insuffisantes ;

- aucune mesure n'est prescrite pour éviter, réduire ou compenser la perte d'habitat pour les grands rapaces ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement dès lors qu'il existe un doute sur l'absence d'incidence significative sur les objectifs de conservation des ZPS alentours ;

- le projet aurait dû faire l'objet d'une évaluation environnementale au sens des articles L. 122-1 et suivants du code de l'environnement ;

- il aurait dû faire l'objet d'une autorisation environnementale au sens de l'article L. 181-1 du code de l'environnement ;

- en n'assortissant pas l'arrêté en litige d'une dérogation à la protection stricte des espèces, le préfet de la Haute-Corse a méconnu les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement et les intérêts protégés par l'article L. 181-3 du même code ;

- il ne permet pas d'assurer suffisamment la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 mars 2021, 17 juin 2021 et 24 novembre 2022, la société par action simplifiée (SAS) Marseole, représentée par Me Casanova, conclut au rejet de la requête de la Ligue pour la protection des oiseaux et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête de la LPO est irrecevable dès lors qu'elle n'établit pas l'existence d'effets dommageables pour l'environnement ;

- les moyens soulevés par la LPO ne sont pas fondés.

Par une lettre du 2 décembre 2022, les parties ont été informées de ce que la Cour était susceptible de sursoir à statuer en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement pour permettre la régularisation des vices entachant l'arrêté du 7 août 2020 du préfet de la Haute-Corse tirés de :

- l'absence d'évaluation environnementale en raison de l'inconventionnalité de l'article R. 122-2 du code de l'environnement au regard de la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 ;

- l'absence d'enquête publique ;

- l'insuffisance de l'évaluation des incidences Natura 2000 du fait de l'observation du Gypaète barbu dans la zone d'implantation du projet par le CEREMA, l'absence d'analyse de la perte d'habitat de l'Aigle royal et du Milan royal, la non prise en compte du parc éolien d'Olmi-Capella dans l'analyse des effets cumulés du projet et, le cas échéant, la méconnaissance du VII de l'article L. 414-4 du code de l'environnement ;

- l'absence de dérogations mentionnées au 4° par L. 411-2 du code de l'environnement concernant l'Aigle royal, le Milan Royal et le Gypaète barbu.

Par un mémoire, enregistré le 16 décembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a produit des observations à la lettre du 2 décembre 2022.

Par un mémoire, enregistré le 27 décembre 2022, la Ligue pour la protection des oiseaux représentée par Me Victoria a produit des observations à la lettre du 2 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la directive n° 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979 ;

- la directive n° 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- la directive n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009 ;

- la directive n° 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 modifiée par la directive n° 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 ;

- le décret n° 2017-81 du 26 janvier 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Victoria représentant la Ligue pour la protection des oiseaux et de Me Le Gall substituant Me Casanova pour la SAS Marséole.

Considérant ce qui suit :

1. La société Marseole a déposé, le 5 juillet 2018, une déclaration d'exploiter une installation classée et, le 9 juillet 2018, une demande de permis de construire pour l'édification et l'exploitation d'un parc éolien composé d'onze aérogénérateurs et d'un poste de livraison au lieu-dit A... l'Azzone sur le territoire de la commune de Calenzana. Par un arrêté du 5 septembre 2018, le préfet de la Haute-Corse a prescrit la production d'une évaluation des incidences Natura 2000 sur les espèces d'intérêt communautaire susceptibles d'être impactées par la construction et l'exploitation du parc éolien de A... l'Azzone et a suspendu le délai d'opposition à la déclaration de ces installations sur ce motif. Le 5 novembre 2018, la société Marseole a produit une évaluation des incidences Natura 2000 pour laquelle le préfet a demandé le 8 novembre 2018 un complément d'information. La société Marseole a déposé, le 13 février 2020, une nouvelle déclaration et, le 12 juin 2020, une évaluation pour ce même parc éolien. Par un arrêté du 7 août 2020, le préfet de la Haute-Corse ne s'est pas opposé à cette déclaration pour l'exploitation de ce parc éolien et a pris des prescriptions relatives à l'évaluation des incidences Natura 2000. La LPO demande à la Cour l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Marseole :

2. Aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 (...) justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ".

3. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a pour objet, aux termes de l'article 1er de ses statuts, " d'agir pour l'oiseau, la faune sauvage, la nature (...), pour cela elle travaille (...) à la défense des différentes espèces et (...) obtenir une stricte application des lois et règlements qui protègent les oiseaux et les écosystèmes dont ils dépendent. ", objet se rattachant à la protection de la nature et de l'environnement. En outre, elle bénéficiait lors de l'introduction de son recours contentieux d'un agrément de protection de l'environnement dans le cadre national, délivré en application des dispositions mentionnées au point 2 par un arrêté du 12 décembre 2018 du ministre de la transition écologique et solidaire. L'arrêté préfectoral contesté présente un rapport suffisamment direct avec l'objet statutaire de l'association dès lors qu'il autorise l'exploitation d'un parc éolien composé d'onze aérogénérateurs d'une hauteur de mât inférieure à 50 mètres à proximité de plusieurs zones Natura 2000 abritant notamment des espèces d'oiseaux protégés bénéficiant de protection nationale au titre de l'arrêté du 29 octobre 2009 et de la directive n° 79/409/CEE du conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Par suite, la LPO justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir en l'espèce. La fin de non-recevoir opposée par la société Marseole doit donc être écartée.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne le régime juridique applicable :

4. Aux termes de l'article L. 512-8 du code de l'environnement : " Sont soumises à déclaration les installations qui, ne présentant pas de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales édictées par le préfet en vue d'assurer dans le département la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1(...) ".

5. Aux termes de l'article L. 181-1 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale, dont le régime est organisé par les dispositions du présent livre ainsi que par les autres dispositions législatives dans les conditions fixées par le présent titre, est applicable aux activités, installations, ouvrages et travaux suivants, lorsqu'ils ne présentent pas un caractère temporaire : (...) / 2° Installations classées pour la protection de l'environnement mentionnées à l'article L. 512-1. (...) ". Selon l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". L'article L. 181-2 du code précité dispose que : " I. - L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : / (...) 5° Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° du I de l'article L. 411-2 ; (...) / 7° Récépissé de déclaration ou enregistrement d'installations mentionnées aux articles L. 512-7 ou L. 512-8, à l'exception des déclarations que le pétitionnaire indique vouloir effectuer de façon distincte de la procédure d'autorisation environnementale, ou arrêté de prescriptions applicable aux installations objet de la déclaration ou de l'enregistrement ; ".

6. En application de ces dispositions, l'arrêté contesté portant non-opposition à la déclaration préalable d'exploitation du parc éolien de A... l'Azzone et prescriptions complémentaires est considéré comme une autorisation environnementale.

7. Par ailleurs, en vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de la même ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l'autorisation environnementale est soumise à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et à la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation. Les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une installation classée relèvent des règles de procédure.

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation des articles L. 512-12 et R. 512-23 du code de l'environnement :

8. Aux termes de l'article L. 512-12 du code de l'environnement : " Si les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 ne sont pas garantis par l'exécution des prescriptions générales contre les inconvénients inhérents à l'exploitation d'une installation soumise à déclaration, le préfet, éventuellement à la demande des tiers intéressés, peut imposer par arrêté toutes prescriptions spéciales nécessaires. / Dans le cas prévu au second alinéa de l'article L. 512-8, ces prescriptions spéciales fixent le cas échéant les règles nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, notamment en ce qui concerne les rejets et prélèvements ". L'article R. 512-23 du même code dispose que : " Pour les établissements pétroliers dont la nature et l'importance sont définies par arrêté conjoint du ministre chargé des hydrocarbures et du ministre chargé des installations classées, l'autorisation prévue au titre de la législation des installations classées ne peut être délivrée qu'après avis du ministre chargé des hydrocarbures en ce qui concerne la sécurité de l'approvisionnement pétrolier. / A cet effet, le préfet transmet au ministère chargé des hydrocarbures, dès l'ouverture de l'enquête, les pièces du dossier lui permettant d'arrêter sa position. Le ministre chargé des hydrocarbures dispose d'un délai de trois mois pour exprimer son avis. ".

9. Conformément à l'article 148 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, les dispositions de l'article L. 512-12 du code de l'environnement sont applicables aux procédures engagées après la publication de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique. Cependant, cette loi a été publiée au Journal officiel de la République française du 8 décembre 2020, donc postérieurement à la déclaration d'exploitation contestée effectuée le 6 février 2020. Par ailleurs, les dispositions de l'article R. 512-23 du code de l'environnement qui concernent les établissements pétroliers ont été abrogées, à compter du 1er mars 2017, par décret n° 2017-81 du 26 janvier 2017 ne sont en tout état de cause pas applicables aux parcs éoliens. Dès lors, la LPO ne peut utilement se prévaloir de l'absence de rapport de l'inspection des installations classées pour l'environnement et de l'avis du conseil départemental de l'environnement, des risques sanitaires et technologiques (CODERST) en violation de ces dispositions.

En ce qui concerne l'absence d'évaluation environnementale :

10. La transposition en droit interne des directives communautaires, qui est une obligation résultant du Traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle. Pour chacun de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit commun de l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques. Tout justiciable peut en conséquence demander l'annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. En outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

11. Aux termes du 1. de l'article 2 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, dont le délai de transposition a expiré le 16 mai 2017 : " Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l'octroi de l'autorisation, les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d'autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leur incidence sur l'environnement. Ces projets sont définis à l'article 4. ". Le 2. de l'article 4 de la directive dispose que : " (...) pour les projets énumérés à l'annexe II, les Etats membres déterminent si le projet doit être soumis à une évaluation (...). Les Etats membres procèdent à cette détermination : / a) sur la base d'un examen cas par cas ; / ou / b) sur la base des seuils ou critères fixés par l'Etat membre. Les Etats membres peuvent décider d'appliquer les deux procédures visées aux points a) et b) ". Aux termes du 3. du même article : " Pour l'examen au cas par cas ou la fixation des seuils ou critères en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l'annexe III. (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 122-1 du code de l'environnement : " Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas. / Pour la fixation de ces critères et seuils et pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive 2011/92/UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. ". L'annexe III de la directive définit les " critères visant à déterminer si les projets figurant à l'annexe II devraient faire l'objet d'une évaluation des incidences sur l'environnement ", à savoir " 1. Caractéristique des projets (...) considérées notamment par rapport : a) à la dimension (...) ; b) au cumul avec d'autres projets existants et/ou approuvés ; c) à l'utilisation des ressources naturelles (...) ; (...) / 2. Localisation des projets / La sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d'être affectées par le projet doit être considérée en prenant notamment en compte : (...) b) la richesse relative, la disponibilité (...) des ressources naturelles de la zone (...) ; c) la capacité de charge de l'environnement naturel (...) / 3. Types et caractéristiques de l'impact potentiel / Les incidences notables probables qu'un projet pourrait avoir sur l'environnement doivent être considérées (...) en tenant compte de : a) l'ampleur et l'entendue spatiale de l'impact (...) ; b) la nature de l'impact ; (...) e) la probabilité de l'impact ; (...) ". L'article R. 122-2 du code précité dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté prévoit que : " I. - Les projets relevant d'une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l'objet d'une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l'article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau. (...) ".

12. Il résulte des termes de la directive, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'instauration, par les dispositions nationales, d'un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d'évaluation environnementale n'est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d'une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d'autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu'ils sont susceptibles d'affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels, ne sont pas susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

13. Les dispositions de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement assujettissent au régime de la déclaration les installations terrestres de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent et regroupant un ou plusieurs aérogénérateurs dont la hauteur du mât et de la nacelle au-dessus du sol est inférieure à 50 m et au moins un aérogénérateur dont la hauteur du mât et de la nacelle au-dessus du sol est supérieure ou égale à 12 m, lorsque la puissance totale installée est inférieure à 20 MW. De telles installations sont exemptées d'évaluation environnementale, sans que soit prise en compte la localisation de cette installation. Le critère de la localisation du projet s'apprécie notamment au regard de la qualité et de la capacité de régénération des ressources naturelles de la zone concernée.

14. En l'espèce, le projet de parc éolien en litige étant composé d'onze aérogénérateurs d'une hauteur de 47,14 m chacun et représentant une puissance totale de 9,9 MW, il relève ainsi du régime de la déclaration prévue par l'article L. 512-8 du code de l'environnement. Toutefois, il ressort de l'évaluation des incidences Natura 2000 du projet que ce projet se situe dans une zone de forte sensibilité environnementale, plus particulièrement dans le périmètre du parc naturel régional de Corse à proximité de 4 sites Natura 2000, la ZSC - Rivière et vallée du Fango (FR9400577), située à 100 m au Sud-Est du projet et traversée par la piste d'accès, la ZPS - Cirque de Bonifatu (FR9412003), située à 13 km au Sud-Est, la ZPS - Golfe de Porto et presqu'île de Scandola (FR9410023), située à 4,5 km à l'ouest et la ZPS - Forêts territoriales de Corse (FR9410113), située à 7,7 km au Sud-Est. Ces ZPS abritent, par ailleurs, des espèces protégées vulnérables comme le Gypaète barbu sensible à l'éolien sur laquelle le projet risque d'avoir des incidences importantes en raison du faible nombre de population de l'espèce. En outre, le rapport du centre d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) inclut le site d'implantation du projet parmi les secteurs où le développement des parcs éoliens est à éviter en raison du risque d'impact sur les espèces de rapaces nicheuses en Corse telles que le Gypaète barbu, l'Aigle royal, le Milan royal et l'Autour des Palombes. Par suite, eu égard à sa localisation et à son importance, le projet porté par la société Marseole devait faire l'objet d'une évaluation environnementale par application de la directive du 31 décembre 2011. Les dispositions de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, qui, en tant qu'elles se fondent exclusivement sur la nature et la dimension du projet sans prendre en compte sa localisation pour exclure toute évaluation environnementale, sont contraires aux dispositions précises et inconditionnelles de cette directive et doivent être en l'espèce écartées.

En ce qui concerne l'absence d'enquête publique et de consultation du public en violation des articles L. 123-2 et L. 123-19-2 du code de l'environnement :

15. Aux termes de l'article L. 123-1 du code de l'environnement : " L'enquête publique a pour objet d'assurer l'information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l'élaboration des décisions susceptibles d'affecter l'environnement mentionnées à l'article L. 123-2. (...) ". Selon l'article L. 123-2 du même code : " I. - Font l'objet d'une enquête publique soumise aux prescriptions du présent chapitre préalablement à leur autorisation, leur approbation ou leur adoption : / 1° Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements exécutés par des personnes publiques ou privées devant comporter une évaluation environnementale en application de l'article L. 122-1 à l'exception : (...) / des projets de caractère temporaire ou de faible importance dont la liste est établie par décret en Conseil d'Etat ; / des demandes de permis de construire et de permis d'aménager portant sur des projets de travaux, de construction ou d'aménagement donnant lieu à la réalisation d'une évaluation environnementale après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale. Les dossiers de demande pour ces permis font l'objet d'une procédure de participation du public par voie électronique selon les modalités prévues à l'article L. 123-19 ; (...) ". L'article L. 123-19-2 du code précité dispose que : " I. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. Les décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent une décision appartenant à une telle catégorie ne sont pas non plus soumises aux dispositions du présent article. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif. (...) ".

16. En premier lieu, le projet de parc éolien en litige devant faire l'objet d'une évaluation environnementale, ainsi qu'il vient d'être dit au point 14, il devait dès lors faire l'objet d'une enquête publique en application de l'article L. 123-2 du code de l'environnement.

17. En second lieu, si la LPO soutient que le projet de parc éolien de A... l'Azzone doit faire l'objet d'une consultation du public, l'enquête publique mentionnée au point 16 a pour objet d'assurer l'information et la participation du public.

En ce qui concerne l'absence d'autorisation environnementale :

18. Aux termes de l'article L. 181-1 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale, dont le régime est organisé par les dispositions du présent livre ainsi que par les autres dispositions législatives dans les conditions fixées par le présent titre, est applicable aux activités, installations, ouvrages et travaux suivants, lorsqu'ils ne présentent pas un caractère temporaire : (...) / 2° Installations classées pour la protection de l'environnement mentionnées à l'article L. 512-1. / Elle est également applicable aux projets mentionnés au deuxième alinéa du II de l'article L. 122-1-1 lorsque l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation est le préfet, ainsi qu'aux projets mentionnés au troisième alinéa de ce II. (...) ". L'article L. 122-1-1 du code précité dispose que : " I.- L'autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l'étude d'impact, l'avis des autorités mentionnées au V de l'article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public et, le cas échéant, des consultations transfrontières. (...) / II. (...) / Lorsqu'un projet soumis à évaluation environnementale relève d'un régime déclaratif, il est autorisé par une décision de l'autorité compétente pour délivrer le récépissé de déclaration, qui contient les éléments mentionnés au I. (...) ".

19. Le projet en litige étant soumis à évaluation environnementale ainsi qu'il a été dit au point 14, il devait faire l'objet d'une autorisation environnementale en vertu de l'article L. 181-1 du code de l'environnement.

En ce qui concerne le caractère insuffisant de l'évaluation des incidences Natura 2000 et du moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 414-4 du code de l'environnement :

20. Aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après "Évaluation des incidences Natura 2000" : / (...) 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; / (...) VI. - L'autorité chargée d'autoriser, d'approuver ou de recevoir la déclaration s'oppose à tout (...) projet (...) si l'évaluation des incidences requise en application des III, IV et IV bis n'a pas été réalisée, si elle se révèle insuffisante ou s'il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation d'un site Natura 2000. / (...) VII. - Lorsqu'une évaluation conclut à une atteinte aux objectifs de conservation d'un site Natura 2000 et en l'absence de solutions alternatives, l'autorité compétente peut donner son accord pour des raisons impératives d'intérêt public majeur. Dans ce cas, elle s'assure que des mesures compensatoires sont prises pour maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000. Ces mesures compensatoires sont à la charge (...) du bénéficiaire du (...) projet d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, (...). La Commission européenne en est tenue informée. / VIII. - Lorsque le site abrite un type d'habitat naturel ou une espèce prioritaires qui figurent, au titre de la protection renforcée dont ils bénéficient, sur des listes arrêtées dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, l'accord mentionné au VII ne peut être donné que pour des motifs liés à la santé ou à la sécurité publique ou tirés des avantages importants procurés à l'environnement ou, après avis de la Commission européenne, pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur. ".

21. Ces dispositions transposent en droit français celles de l'article 6 de la directive n° 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvage (directive " Habitats ") et de son article 7, qui en étend l'application aux sites désignés par l'article 4 de la directive n° 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, remplacée par la directive n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (directive " Oiseaux ").

22. Il résulte des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, éclairées par l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne aux dispositions de la directive européenne qu'elles transposent, que l'autorisation d'un projet entrant dans leur champ d'application ne peut être accordée qu'à la condition que les autorités compétentes, une fois identifiés tous les aspects dudit projet pouvant, par eux-mêmes ou en combinaison avec d'autres plans ou projets, affecter les objectifs de conservation du site Natura 2000 concerné, et compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, aient acquis la certitude qu'il est dépourvu d'effets préjudiciables sur les objectifs de conservation du site. Il en est ainsi lorsqu'il ne subsiste aucun doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à l'absence de tels effets.

23. Aux termes de l'article R. 414-23 du même code : " Le dossier d'évaluation des incidences Natura 2000 est établi, (...) s'il s'agit (...) d'un projet (...), par le maître d'ouvrage ou le pétitionnaire (...). / Cette évaluation est proportionnée à l'importance du document ou de l'opération et aux enjeux de conservation des habitats et des espèces en présence. / (...) II. - Dans l'hypothèse où un ou plusieurs sites Natura 2000 sont susceptibles d'être affectés, le dossier comprend également une analyse des effets temporaires ou permanents, directs ou indirects, que (...) le projet (...) peut avoir, individuellement ou en raison de ses effets cumulés avec d'autres documents de planification, ou d'autres programmes, projets, manifestations ou interventions dont est responsable l'autorité chargée d'approuver le document de planification, le maître d'ouvrage, le pétitionnaire ou l'organisateur, sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites. / III. - S'il résulte de l'analyse mentionnée au II que le (...) projet (...) peut avoir des effets significatifs dommageables, pendant ou après sa réalisation (...), sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites, le dossier comprend un exposé des mesures qui seront prises pour supprimer ou réduire ces effets dommageables. / IV. - Lorsque, malgré les mesures prévues au III, des effets significatifs dommageables subsistent sur l'état de conservation des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la désignation du ou des sites, le dossier d'évaluation expose, en outre : / 1° La description des solutions alternatives envisageables, les raisons pour lesquelles il n'existe pas d'autre solution que celle retenue et les éléments qui permettent de justifier (...) la réalisation (...) du projet (...), dans les conditions prévues aux VII et VIII de l'article L. 414-4 ; / 2° La description des mesures envisagées pour compenser les effets dommageables que les mesures prévues au III ci-dessus ne peuvent supprimer. Les mesures compensatoires permettent une compensation efficace et proportionnée au regard de l'atteinte portée aux objectifs de conservation du ou des sites Natura 2000 concernés et du maintien de la cohérence globale du réseau Natura 2000. (...) ; / 3° L'estimation des dépenses correspondantes et les modalités de prise en charge des mesures compensatoires (...). ".

S'agissant de l'absence d'observation du Gypaète barbu :

24. En premier lieu, selon l'annexe de l'arrêté du 4 juillet 2018 modifiant la liste des espèces d'oiseaux justifiant la désignation de sites Natura 2000 situés en région Corse, le Gypaète barbu est répertorié au titre de la ZPS FR9410107 " Haute vallée d'Asco, forêt de Tartagine et aiguilles de Popolasca ", ainsi que dans la ZPS FR 9410113 " Forêts territoriales de Corse ". En l'espèce, il ressort de l'évaluation Natura 2000 du projet que le pétitionnaire a mis en place un dispositif vidéo d'observation de l'avifaune dénommé " Bird Sentinel " permettant de déterminer les situations potentielles de risque de collision de l'avifaune sur les aérogénérateurs, pour la période du 24 août 2018 au 23 août 2019, 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. Cette étude relève que sur les 295 jours de suivi, il n'a été constaté aucune intrusion du Gypaète barbu. Elle reconnaît toutefois que selon les observations et suivis GPS du PNRC, le Gypaète barbu ne fréquente pas ou éventuellement en passage le site, lequel s'inscrit en limite de sa zone géographique d'activité. Elle conclut ainsi à un niveau de risque sur cette espèce lié au projet faible du fait de l'absence d'observation. Cependant, la LPO remet en cause valablement ce constat en produisant l'analyse de cette étude d'observation, qui a été effectuée par le centre d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), lequel a croisé ces résultats avec les données GPS de six Gypaètes barbus juvéniles et a pu constater que les trajets effectués par ces individus dans la zone intersectent le tracé du futur projet en litige. Par ailleurs, le rapport du CEREMA produit par la LPO indique que cette espèce est en danger critique d'extinction en Corse (liste rouge UICN - 5 couples connus), classé " en danger " au niveau national et faisant l'objet d'un plan national d'action (PNA). En outre, il mentionne que les Gypaètes ont une hauteur de vol qui les met régulièrement en risque de collision et que les juvéniles et immatures volent en grande majorité à une altitude inférieure à 200 m au-dessus du sol, les plaçant ainsi régulièrement dans la zone de danger de rotation de pales d'éoliennes. Le risque de collision en cas de développement de projets éoliens dans leur domaine vital est donc largement confirmé. Ce rapport indique également que le projet de parc éolien en litige se situe dans le domaine vital du Gypaète barbu ou` l'espèce passe 95 % de son temps. Par suite, l'évaluation des incidences Natura 2000 du projet de parc éolien de A... l'Azzone est erronée en ce qu'elle conclut à l'absence d'intrusion du Gypaète barbu dans la zone d'implantation du projet et à un niveau faible d'incidence en phase d'exploitation du fait de l'absence d'observation de l'espèce. Cette évaluation est dès lors entachée d'insuffisance au sens des dispositions précitées du VI de l'article L. 414-4 du code de l'environnement laquelle a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise.

25. En second lieu, si l'étude d'incidence Natura 2000 prévoit une mesure MR-AV-3 consistant à équiper les éoliennes d'un dispositif Safewind repris par les prescriptions de l'arrêté contesté, une étude du CNRS réalisée en juin 2021 estime que malgré leur mise en place sur certains parcs, des mortalités par collision sont toujours constatées et que ces systèmes de détection-réaction sont considérés comme un moyen de réduction de la mortalité et non d'évitement. Ils ne permettent ainsi pas d'exclure le risque de collision avec des éoliennes. Par suite, une telle mesure n'est pas susceptible de réduire à un niveau acceptable les risques élevés d'atteinte à cette espèce eu égard à la gravité de la menace d'extinction qui pèse sur elle. Dans ces conditions, il subsiste un doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à la possibilité que le parc projeté, en cas de surmortalité annuelle de plusieurs individus de Gypaètes barbus provoquée par des collisions avec les éoliennes, ait des effets significatifs dommageables sur la bonne conservation de cette espèce présente dans la zone du projet. Il en résulte également que le préfet de la Haute-Corse ne pouvait autoriser le projet litigieux, à titre dérogatoire, qu'après avoir vérifié qu'étaient remplies les conditions prévues par le VII de l'article L. 414-4 du code de l'environnement. Par suite, l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.

S'agissant de l'insuffisante évaluation des incidences du projet sur l'habitat de l'Aigle royal et du Milan Royal :

26. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le secteur d'implantation du projet se trouve à proximité de plusieurs zones de protection spéciales, FR94120007 Vallée du Regino, FR9410113 Forêts territoriales de Corse et FR9410107 Haute vallée d'Asco, forêt de Tartagine et aiguilles de Popolasca, désignées notamment pour la conservation de l'Aigle royal et du Milan royal. Par ailleurs, l'évaluation des incidences Natura 2000 et plus particulièrement l'étude " Bird Sentinel " réalisée par le pétitionnaire montre des intrusions de ces deux espèces, 58,61 % pour le Milan royal qui comptabilise le plus d'intrusions au cours de la période étudiée et 2,8 % pour l'Aigle royal. Toutefois, cette évaluation qui se borne à conclure que l'activité du parc ne remettra pas en cause leur périmètre de protection ni leurs objectifs de conservation, tant en termes d'habitats que d'espèces ne procède pas à l'analyse des incidences du projet sur l'habitat de ces deux espèces. Une telle insuffisance est de nature à avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise par l'autorité administrative.

27. En deuxième lieu, l'évaluation des incidences Natura 2000 procède bien à l'analyse des risques de collisions pour l'Aigle royal et le Milan royal laquelle est estimée comme étant faible après application des mesures de réduction. Dès lors, cette évaluation n'est pas entachée d'insuffisance sur ce point.

28. En troisième lieu, l'évaluation des incidences Natura 2000 indique que la sensibilité à l'éolien de l'Aigle royal et du Milan royal est forte et que le niveau de risque est fort pour le premier et moyen pour le second après la mise en place de la mesure d'équipement du système Bird sentinelle. Le rapport du CEREMA précise que le Milan royal est plus vulnérable que la moyenne de l'avifaune face aux parcs éoliens dès lors qu'ils peuvent se diriger vers les éoliennes pour chercher de la nourriture au pied des mâts ou sur les chemins. Cette recherche de nourriture les place inévitablement à proximité des pales d'éoliennes en mouvement. En outre, d'après une étude dont se prévaut la LPO, 28,6 % des vols de Milan royal se font à une hauteur se trouvant dans la zone de danger, dans la couche de rotation des éoliennes soit entre 50 et 150 m, la quasi-totalité du reste des vols passant sous les cinquante mètres, ce qui correspond à la hauteur des éoliennes du parc en litige. En outre, le CEREMA conclut à la nécessité d'exclure le développement d'éoliennes dans un rayon de 2 à 4 km autour des nids d'Aigles royaux connus et établit une zone tampon de 6 kms autour de ces nids. Or, selon les données du parc naturel régional de Corse (PNRC), deux nids d'Aigles royaux se trouvent à proximité du site d'implantation du projet, l'un à 4 kilomètres au nord et l'autre à 6 kilomètres au sud-est. Selon le CEREMA, le projet de parc éolien en litige se situe dans ces zones tampons ainsi que dans une zone où l'éolien est à éviter pour ces deux espèces. Enfin, comme dit au point 25, les systèmes de détection-réaction sont considérés comme un moyen de réduction de la mortalité et non de d'évitement. Ils ne permettent ainsi pas d'exclure le risque de collision avec des éoliennes. Par suite, il subsiste un doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à la possibilité que le parc projeté, en cas de surmortalité annuelle de plusieurs individus provoquée par des collisions avec les éoliennes, ait des effets significatifs dommageables sur la bonne conservation des populations de ces espèces. Il en résulte également que le préfet de la Haute-Corse ne pouvait autoriser le projet litigieux, à titre dérogatoire, qu'après avoir vérifié qu'étaient remplies les conditions prévues par le VII de l'article L. 414-4 du code de l'environnement. Par suite, l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.

S'agissant de l'absence d'analyse des effets cumulés du projet avec les autres parcs éoliens de Corse :

29. L'évaluation des incidences Natura 2000 procède à l'analyse des effets cumulés du projet de parc éolien de A... l'Azzone avec le parc éolien de Punta d'Aja situé à 2,9 kilomètres au Nord-Ouest, la sablière de Calenzana et l'aménagement de la route RD 81 sur les communes de Calenzana et de Galeria. Si la LPO soutient que cette évaluation aurait dû étudier ces effets avec le projet de parc éolien d'Olmi-Capella, il ressort d'une carte du rapport du CEREMA recensant les projets éoliens que ce parc était seulement à l'étude. Ainsi, l'évaluation précitée n'est pas insuffisante sur ce point.

En ce qui concerne l'atteinte aux paysages :

30. En se bornant à se prévaloir de l'avis défavorable du 7 avril 2022 du conseil scientifique du PNRC concernant le projet d'un photomontage, la LPO ne démontre pas que le parc éolien de A... l'Azzone porterait une atteinte aux paysages emblématiques et identitaires de la Corse. Il s'en suit que ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement :

31. D'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I.- Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...). ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens. / (...) ".

32. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

33. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 6, l'arrêté attaqué portant non-opposition à la déclaration préalable d'exploitation du parc éolien de A... l'Azzone et prescriptions complémentaires est considéré comme une autorisation environnementale. Ainsi, la LPO peut utilement se prévaloir de la violation des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement.

34. En second lieu, comme indiqué aux points 24, 25 et 28, l'exploitation du parc éolien en litige est susceptible d'entraîner la destruction, interdite par les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, de spécimens appartenant à des espèces animales protégées présentes dans la zone du projet, en particulier, le Gypaète barbu, l'Aigle royal et le Milan royal. Or, il est constant que la société Marseole n'a sollicité aucune dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats, prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement. En outre, ainsi qu'il a été dit aux points 25 et 28, les mesures d'évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire ne présentent pas de garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour ces espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé. Par suite, la LPO est fondée à soutenir que l'arrêté en litige est illégal, en ce qu'il ne comportait pas la dérogation " espèces protégées ", prévue aux articles L. 411-1 et L. 411-2 du code l'environnement.

35. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté attaqué est illégal dès lors, d'une part, qu'il n'a pas été procédé à une évaluation environnementale, à une enquête publique et à une autorisation environnementale, que l'évaluation des incidences Natura 2000 est insuffisante concernant le Gypaète Barbu, l'habitat de l'Aigle royal et du Milan Royal, qu'il porte atteinte aux objectifs de conservation de sites Natura 2000 en méconnaissance des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, et, d'autre part, en tant qu'il n'a pas été sollicité de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats, prévue à l'article L. 411-2 du code l'environnement.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :

36. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II. - En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées. ".

37. Les vices, rappelés aux points 35 du présent arrêt, qui entachent l'ensemble de l'arrêté du 7 août 2020 du préfet de la Haute-Corse sont, en l'état de l'instruction, susceptibles d'être régularisés sous réserve que l'évaluation des incidences Natura 2000 soit complétée concernant les effets du projet sur le Gypaète Barbu et l'habitat de l'Aigle royal et du Milan royal, une évaluation environnementale et une enquête publique soient réalisées, une autorisation environnementale soit accordée sous réserve du respect des conditions fixées au VII de l'article L. 414-4 du code de l'environnement permettant à l'autorité compétente de donner son accord au projet, en l'absence de solutions alternatives, pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, assorti de mesures compensatoires afin de maintenir la cohérence globale du réseau Natura 2000 et enfin que le pétitionnaire sollicite les dérogations à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats, prévue à l'article L. 411-2 du code l'environnement pour le Gypaète barbu, l'Aigle royal et le Milan royal.

38. Eu égard aux modalités de régularisation ainsi fixées, l'éventuelle autorisation modificative devra être communiquée à la Cour dans un délai d'un an à compter du présent arrêt. Il y a lieu, par suite, de surseoir à statuer sur la requête de la LPO jusqu'à l'expiration de ce délai afin de permettre cette régularisation.

39. Enfin, compte tenu des lacunes de l'évaluation des incidences Natura 2000 et de l'absence d'évaluation environnementale qui entachent le dossier de demande d'insuffisance, la Cour n'est pas en mesure d'apprécier la conformité du projet à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il y a dès lors lieu pour la Cour de réserver la réponse au moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions, lequel demeure susceptible d'être écarté ou accueilli après la régularisation du dossier de demande d'autorisation environnementale.

D É C I D E :

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la LPO jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an, courant à compter de la notification du présent arrêt, imparti au préfet de la Haute-Corse pour notifier à la Cour une autorisation environnementale modificative.

Article 2 : Le préfet de Haute-Corse fournira à la Cour (greffe de la 7ème chambre), au fur et à mesure de leur accomplissement, les actes entrepris en vue de la régularisation prévue à l'article précédent.

Article 3 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Ligue pour la protection des oiseaux, à la SAS Marseole et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 6 janvier 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- M. Prieto, premier conseiller,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 janvier 2023.

2

N° 20MA04635

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA04635
Date de la décision : 20/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Energie.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Régime juridique - Actes affectant le régime juridique des installations - Première mise en service.

Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme CIREFICE
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CASANOVA

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-01-20;20ma04635 ?
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