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10/05/2023 | FRANCE | N°21MA01310

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 10 mai 2023, 21MA01310


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Société Réseaux Voirie a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'établissement public local pour personnes âgées dépendantes Résidence L'Olivier à lui payer la somme de 542 250,68 euros en réparation du préjudice résultant de la résiliation d'un marché public.

Par un jugement n° 1701095 du 25 janvier 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande et, faisant partiellement droit à une demande reconventionnelle de l'ét

ablissement public, a condamné la Société Réseaux Voirie à payer à ce dernier une somme de 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Société Réseaux Voirie a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'établissement public local pour personnes âgées dépendantes Résidence L'Olivier à lui payer la somme de 542 250,68 euros en réparation du préjudice résultant de la résiliation d'un marché public.

Par un jugement n° 1701095 du 25 janvier 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande et, faisant partiellement droit à une demande reconventionnelle de l'établissement public, a condamné la Société Réseaux Voirie à payer à ce dernier une somme de 113 420,60 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 avril 2021, et un mémoire en réplique enregistré le 14 septembre 2022, la Société Réseaux Voirie, représentée par la SELARL Gaia, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter l'appel incident de l'établissement public Résidence de l'Olivier ;

3°) de condamner l'établissement Résidence de L'Olivier à lui payer la somme de 376 506 euros en réparation des préjudices résultant de la résiliation du marché et des travaux supplémentaires ;

4°) de mettre à la charge de cet établissement la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son mémoire de réclamation a lié le contentieux pour l'ensemble de ses demandes ;

- il n'est pas établi que le manquement contractuel ayant justifié la résiliation a fait l'objet d'une constatation contradictoire et d'un avis du maître d'œuvre, comme le prévoit l'article 46.3.1 du cahier des clauses administratives générales ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à justifier la résiliation du marché à ses torts et risques ;

- le retard du chantier ne lui est pas imputable ou, en tout cas, ne pouvait être décompté qu'à compter du 5 février 2016 ;

- les jours d'intempérie doivent être décomptés des jours de retard ;

- les pénalités pour retard dans la remise des documents sont injustifiées ;

- ces pénalités, manifestement excessives, doivent être modérées ;

- en déduisant l'option, le surcoût du marché de substitution se limite à 38 120 euros ;

- la somme de 7 071,39 euros hors taxes liée à des suppléments de travaux ne résulte pas du marché de substitution mais d'un avenant, et n'est pas justifiée ;

- les moyens présentés par l'établissement public à l'appui de son appel incident sont infondés.

Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 6 août 2021, et un mémoire récapitulatif enregistré le 30 septembre 2022, l'établissement public local d'hébergement pour personnes âgées Résidence L'Olivier, représenté par Me Willm, demande à la Cour :

1°) de confirmer le jugement en tant qu'il rejette certaines demandes de la Société Réseaux Voirie et fait droit à ses demandes reconventionnelles ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en tant qu'il rejette le surplus de ses demandes reconventionnelles et de condamner la Société Réseaux Voirie à lui payer une indemnité de 1 528 002 euros au titre de ses pertes d'exploitation, majorée de 76 400 euros au titre de ses frais de gestion, ou subsidiairement deux indemnités de 457 394,70 et 22 869,74 euros sur la base d'un retard de cent soixante-treize jours ;

3°) de mettre à la charge de la Société Réseaux Voirie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requête d'appel sont infondés ;

- par la voie de l'appel incident, il y a lieu de l'indemniser à hauteur des frais d'huissier et de géomètre, ainsi que de ses pertes d'exploitation et frais de gestion.

Par une lettre en date du 24 août 2022 la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2022, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 15 septembre 2022.

Par ordonnance du 20 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Par une lettre du 31 mars 2023, la Cour a informé les parties de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible de se fonder sur le moyen, d'ordre public, tiré du caractère inopérant de la fin de non-recevoir contractuelle retenue par le tribunal administratif de Nice.

Par un mémoire, enregistré le 5 avril 2023, l'établissement Résidence l'Olivier a répondu à ce moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, président assesseur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Karbowiak pour l'EHPAD Résidence L'Olivier.

Considérant ce qui suit :

1. Par contrat du 7 juillet 2014, l'établissement public local d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Résidence L'Olivier, situé à L'Escarène (Alpes-Maritimes), a attribué à la Société Réseaux Voirie le lot n° 2, relatif aux travaux de gros-œuvre, d'un marché public de travaux ayant pour objet l'extension de cette résidence. Par décision du 26 mai 2016, l'établissement public a résilié ce marché aux frais et risques de cette société. La Société Réseaux Voirie a alors saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la condamnation de l'établissement public à lui payer la somme de 542 250,68 euros. Par le jugement attaqué, dont la Société Réseaux Voirie relève appel, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande et, faisant droit aux demandes présentées à titre reconventionnel par l'établissement public, a condamné la société à payer à celui-ci une somme de 113 420,60 euros hors taxes. Par la voie de l'appel incident, l'établissement public local conteste le jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions reconventionnelles.

1. Sur l'appel principal de la Société Réseaux Voirie :

1.1. En ce qui concerne la somme de 195 614,28 euros hors taxes demandée au titre des travaux supplémentaires :

1.1.1. S'agissant de la fin de non-recevoir contractuelle retenue par le tribunal administratif :

2. Lorsque le tribunal administratif a fait droit à une demande en se fondant sur un moyen inopérant, notamment en faisant application d'une règle de droit inapplicable, et que, pour contester le jugement de ce tribunal, l'appelant n'a pas invoqué le caractère inopérant du moyen retenu par les premiers juges, il appartient au juge d'appel de relever d'office cette inopérance pour censurer le motif retenu par le tribunal après en avoir préalablement informé les parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

3. Pour rejeter la demande de la Société Réseaux Voirie à ce titre, les premiers juges ont retenu, dans le point 10 de leur jugement, que cette réclamation n'était pas assortie des justifications nécessaires, en méconnaissance de l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans son édition de 2009.

4. Il résulte de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières du marché que " les documents applicables sont ceux en vigueur au premier jour du mois d'établissement des prix, tel que ce mois est défini au 3.4.2 : (...) cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG) approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 et l'ensemble des textes qui l'ont modifié ". Un nouveau cahier des clauses administratives générales ayant été approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009, cette stipulation comporte une ambiguïté. Il y a donc lieu de rechercher la commune intention des parties. En l'espèce, les articles 3.5, 4.1.2 et 8.4.5 du cahier des clauses administratives particulières se réfèrent, respectivement, aux articles 2.43, 46.6 et 49 du cahier des clauses administratives générales qui ne peuvent être que ceux de l'édition de 1976, le cahier approuvé en 2009 ne comportant ni d'article 2.43 ni d'article 46.6, et comportant un article 49 ayant un autre objet que celui cité par le cahier des clauses administratives particulières (ajournement et non résiliation). Dès lors, il y a lieu de considérer que le cahier des clauses administratives générales figurant au nombre des pièces contractuelles est bien le cahier approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976, et non le cahier approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009. Le moyen de défense retenu par le tribunal administratif était donc inopérant.

5. Il y a lieu, pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner cette demande en répondant aux autres moyens de défense présentés par l'établissement public en première instance comme en appel.

1.1.2. S'agissant des autres fins de non-recevoir contractuelles :

6. En premier lieu, comme l'a à bon droit jugé le tribunal administratif, le fait que le mémoire de réclamation présenté pour la société ne soit ni daté ni signé est sans incidence sur sa régularité, dès lors que, d'une part, ce mémoire était accompagné d'un courrier, qui était, lui, signé, et que, d'autre part, il portait l'en-tête du cabinet du conseil de la société, ce qui suffisait, en l'espèce, à l'authentifier.

7. En deuxième lieu, comme l'a également jugé à bon droit le tribunal administratif, la Société Réseaux Voirie justifie, par la production d'un accusé de réception attestant d'une distribution du pli le 28 août 2016, avoir régulièrement notifié ce mémoire de réclamation au maître de l'ouvrage.

8. En troisième lieu, aux termes du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans son édition de 1976 modifiée, qui est au nombre des pièces contractuelles en application de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " 13.44. (...) Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires (...) Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50. (...) 50.22. Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage. (...) 50.31. Si, dans le délai de trois mois à partir de la date de réception, par la personne responsable du marché, de la lettre ou du mémoire de l'entrepreneur mentionné aux 21 et 22 du présent article aucune décision n'a été notifiée à l'entrepreneur, ou si celui-ci n'accepte pas la décision qui lui a été notifiée, l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif compétent (...) ".

9. Il résulte de la combinaison des articles 13.44, 50.22 et 50.31 de ce cahier que, si tous les mémoires de réclamation doivent, en application des articles 50.22 et 50.31, préciser les sommes demandées et les motifs de la demande, l'exigence de la justification des sommes demandées n'est imposée, en vertu de l'article 13.44, que dans le cas du mémoire de réclamation présenté pour contester le décompte général du marché. Or, le mémoire de réclamation présenté par la société n'est pas un mémoire de contestation du décompte général du marché, présenté dans le cadre de l'article 13.44. Il n'avait donc pas à comporter, à peine d'irrégularité, les justifications des sommes demandées, mais seulement le montant des demandes et leurs motifs.

10. Dès lors, la circonstance que la demande de 195 614,28 euros hors taxes mentionnée dans le mémoire de réclamation n'était pas assortie de la justification de ces montants, mais seulement des motifs de la demande qui correspond, à hauteur de 153 943,08 euros, au coût du matériel immobilisé et à la perte financière supportés par elle du fait du retard dans le démarrage des travaux, et, d'autre part, à hauteur de 41 671,20 euros hors taxes, à des travaux supplémentaires rendus nécessaires par le coulage de béton, n'est pas de nature à rendre la réclamation contentieuse contractuellement irrecevable.

1.1.3. S'agissant du droit à rémunération des travaux supplémentaires :

11. Dans le cas où le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire réalise des études, démolitions, terrassements ou constructions qui excèdent, par leurs caractéristiques, les prestations contractuellement convenues, ces travaux supplémentaires doivent être rémunérés sur la base des prix du marché, à la condition que la réalisation de ces prestations supplémentaires ait été prescrite par un ordre de service régulier, ou, à défaut, qu'il soit établi que ces prestations supplémentaires étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

12. D'une part, la société demande à être rémunérée, à hauteur de 153 943,08 euros, du coût du matériel immobilisé et de la perte financière occasionnée par le retard dans le démarrage des travaux entre le 27 octobre 2015 et le 22 février 2016. Toutefois, ces frais, s'ils sont susceptibles d'être regardés comme des surcoûts indemnisables en cas de bouleversement de l'économie du contrat ou de faute du maître de l'ouvrage, ne constituent pas des travaux susceptibles de donner lieu à une rémunération supplémentaire.

13. D'autre part, la société demande à être rémunérée, à hauteur de 41 671,20 euros, des travaux supplémentaires rendus nécessaires par le coulage du gros béton.

14. Il n'est pas contesté que la modification des fondations, exigée par l'état d'instabilité des sols, a rendu nécessaire la réalisation de travaux supplémentaires.

15. Il ressort, d'autre part, de la décomposition du prix global et forfaitaire, à laquelle l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières du marché confère une portée contractuelle, que les caractéristiques des fondations telles qu'elles étaient initialement prévues étaient contractualisées.

16. Pour justifier de cette demande, la Société Réseaux Voirie produit une facture et des documents attestant de la livraison de béton.

17. La facture produite, établie le 25 mars 2016 et alors adressée à l'EHPAD, faisait état d'une somme de 34 726 euros, soit 41 671,20 euros toutes taxes comprises, ayant pour objet de rémunérer des prestations supplémentaires de terrassement à la pelle mécanique d'un volume de terre de 204 mètres cubes au prix unitaire de 24 euros par mètre cube (204 x 24 = 4 896 euros hors taxes), ainsi que la mise en œuvre de 157 mètres cubes de gros béton au prix unitaire de 190 euros (157 x 190 = 29 830 euros hors taxes).

18. Toutefois, la Société Réseaux Voirie, si elle produit certains bons de livraison de béton, ne justifie pas de ce que la quantité totale de béton mis en œuvre excéderait le montant contractualisé dans la décomposition du prix global et forfaitaire. Elle ne justifie pas plus d'un terrassement supérieur aux volumes prévus. La demande présentée à ce titre ne peut donc être accueillie.

1.2. En ce qui concerne la somme de 341 780 euros hors taxes demandée au titre du préjudice subi du fait de la résiliation du marché :

1.2.1. S'agissant de la fin de non-recevoir retenue par le tribunal administratif :

19. Ainsi qu'il a été dit aux points 2 à 4, le moyen tiré de ce que le mémoire de réclamation ne comportait pas les justifications des sommes demandées était inopérant. Les premiers juges ne pouvaient donc, pour ce motif, rejeter la demande présentée au titre des conséquences de la résiliation du marché.

20. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur cette demande après avoir examiné les autres moyens de défense opposés en première instance ou en appel.

1.2.2. S'agissant des fins de non-recevoir contractuelles opposées à la demande :

21. Ainsi qu'il a été dit aux points 6 à 10, les fins de non-recevoir contractuelles tirées du caractère non signé et non daté du mémoire de réclamation, de l'absence de justification de sa notification à l'établissement public, et de l'absence de justification des sommes demandées au titre de la résiliation du marché, ne peuvent être accueillies.

22. Au demeurant, sur ce dernier point, il ressort du mémoire de réclamation que la somme de 341 780 euros hors taxes qui était demandée était étayée par une attestation de l'agence d'expertise comptable " In Extenso ".

1.2.3. S'agissant du droit à indemnisation du préjudice résultant de la résiliation :

1.2.3.1. Quant à la régularité de la résiliation :

23. L'irrégularité de la décision de résiliation n'ouvre pas à elle seule droit à indemnité du cocontractant, si la résiliation était justifiée au fond. Les moyens tirés de l'irrégularité de la résiliation ne sont dès lors pas de nature à fonder les prétentions indemnitaires de la société.

1.2.3.2. Quant au bien-fondé de la résiliation :

24. Aux termes de l'article 46 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans son édition de 1976 : " 49.1. (...) lorsque l'entrepreneur ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, la personne responsable du marché le met en demeure d'y satisfaire dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit. / Ce délai, sauf pour les marchés intéressant la défense ou en cas d'urgence, n'est pas inférieur à quinze jours à compter de la date de notification de la mise en demeure. 49.2. Si l'entrepreneur n'a pas déféré à la mise en demeure, (...) la résiliation du marché peut être décidée. (...) 49.4. La résiliation du marché (...) peut être, soit simple, soit aux frais et risques de l'entrepreneur. (...) En cas de résiliation aux frais et risques de l'entrepreneur, il est passé un marché avec un autre entrepreneur pour l'achèvement des travaux (...). ".

25. Par une lettre du 21 avril 2016, l'établissement public local Résidence L'Olivier a mis la Société Réseaux Voirie en demeure de fournir, dans un délai de quinze jours et à peine de résiliation, des éléments qui avaient déjà été sollicités le 24 mars 2016, à savoir, en premier lieu, le dossier relatif aux descentes de charges, sollicité par le bureau d'études Otéis, en deuxième lieu, le calcul des tassements attendus et de leur admissibilité par la structure, conformément aux hypothèses de l'étude G5 établie par le CEBTP en janvier 2016, en troisième lieu, le plan des fondations mis à jour afin d'être validé par le bureau de contrôle et, en quatrième et dernier lieu, les plans de synthèse de tous les niveaux, comprenant la totalité des réservations des corps d'état.

26. Par courrier du 27 avril 2016, la société a, par la voie de son conseil, répondu à la commune qu'il n'y avait pas de réservations à prévoir dans les fondations, que le dossier relatif aux descentes de charges avait été diffusé aux intéressés les 7 et 16 mars 2016 et qu'il n'appartenait pas à l'entreprise de se livrer à un travail confié " à votre architecte et au CEBTP ".

27. Par une décision du 26 mai 2016, l'établissement public a prononcé la résiliation du marché aux frais et risques de la Société Réseaux Voirie, au motif que les documents demandés n'avaient pas été produits.

28. Pour contester le bien-fondé de cette mesure, la Société Réseaux Voirie soutient que " le retard de 115 jours évoqué par l'EHPAD résulte de son propre fait " et que les suspensions du chantier ne lui sont donc pas imputables. Toutefois, il résulte de ce qui précède que la mesure de résiliation n'est pas fondée sur de tels motifs.

29. La Société Réseaux Voirie soutient ensuite que les documents sollicités avaient été produits. Toutefois, si, en premier lieu, elle soutient avoir communiqué le dossier relatif aux descentes de charges le 7 mars 2016, elle ne fournit aucun élément de nature à en justifier. Si, en deuxième lieu, elle soutient avoir produit le plan de fondations le 16 mars 2016, elle produit seulement, à ce titre, une lettre datée du 14 mars 2016, émanant d'un prestataire, la société FB Ingénierie, qui indique avoir refait les plans de fondations, sans justifier pour autant avoir transmis les plans de fondations mis à jour. Enfin, dans son avis du 23 mai 2016, le maître d'œuvre a confirmé au maître de l'ouvrage que ces documents n'avaient pas été reçus. Dans ces conditions, et même à supposer que le calcul des tassements relève non de la Société Réseaux Voirie mais de la société CEBTP, les autres manquements retenus, tenant à l'absence de production du dossier relatif aux descentes de charges et au plan des fondations, doivent être tenus pour établis.

30. La communication de ces documents, qui conditionnaient les caractéristiques de l'ouvrage, était un préalable à la poursuite des travaux. La société ne peut soutenir que ces documents manquants " ne relèvent pas de la responsabilité de la Société Réseaux Voirie qui est une entreprise de gros-œuvre et non un bureau d'études géologiques ", dès lors que la réalisation d'un plan des fondations ou d'un dossier des descentes de charges relève non pas des missions d'un bureau d'études géologiques mais bien de celles de l'entreprise de travaux. Dans ces conditions, l'établissement public local a à bon droit considéré que ces manquements justifiaient la résiliation du marché aux torts et risques de l'entrepreneur. La circonstance que l'EHPAD aurait tardé à démarrer le chantier initial après l'attribution du marché initial ou du marché de substitution n'est pas de nature à modifier cette analyse.

31. Il résulte de ce qui précède que la Société Réseaux Voirie n'est pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'octroi d'une indemnité de 341 780 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation du marché.

1.3. En ce qui concerne les pénalités :

1.3.1. S'agissant des pénalités de retard dans l'exécution des travaux :

32. Aux termes de l'article 4.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché : " 4.3.1 Pénalités pour retard. / Les dispositions suivantes sont appliquées lot par lot en cas de retard dans l'exécution des travaux, comparativement au calendrier détaillé d'exécution élaboré et éventuellement modifié (...). / A. Retard sur le délai d'exécution propre au lot concerné. Il est fait application de la pénalité journalière indiquée au C ci-après. (...) / C. Montant des pénalités et retenues journalières prévues au 4.3.1 A et B : Si les travaux ne sont pas terminés dans les délais prévus, l'entrepreneur responsable subira, à titre de pénalité applicable ipso facto sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure préalable, une retenue sur les sommes qui sont dues, le montant de cette pénalité sera égal, par jour de retard, dimanches et jours fériés compris à : 300 euros HT pour le lot Gros Œuvre/Maçonnerie (...). Ces pénalités provisionnelles, dont le montant est fixé par l'Architecte après en avoir prévenu l'Entrepreneur responsable, lors du dernier compte-rendu de chantier, pourront être restituées à la fin des travaux, si ces derniers sont achevés à la date prévue, et que les retards n'ont pas perturbé les autres corps d'état ou le déroulement normal de la commercialisation / Dans le cas contraire, elles seront acquises au Maître d'ouvrage et cumulées avec celles encourues par la suite du retard final de l'achèvement des travaux (...) ".

33. Il résulte de l'article 3 de l'acte d'engagement du marché que le délai d'exécution de l'ensemble des travaux était de quatorze mois à partir de la date fixée par l'ordre de service prescrivant leur commencement. En application de l'ordre de service n° 1, le démarrage des travaux a été fixé à la date du 7 octobre 2015. Il en résulte que la date contractuelle d'achèvement des travaux était le 7 décembre 2016.

34. Les pénalités dont l'établissement public sollicite l'application sont donc des pénalités provisionnelles, qui ne peuvent être établies que par le maître d'œuvre et en cas de retard du titulaire du lot par rapport au calendrier détaillé d'exécution élaboré par celui-ci.

35. La Société Réseaux Voirie ne conteste pas le fait qu'en vertu du calendrier détaillé d'exécution, ses travaux devaient être achevés à la date du 5 décembre 2015, soit cent soixante-treize jours calendaires avant la résiliation, elle-même intervenue le 26 mai 2016. Elle soutient en revanche qu'à cette date, les modalités de réalisation des fondations n'avaient pas encore été arrêtées.

36. Il résulte en effet de l'instruction que l'étude géotechnique G12 réalisée le 9 février 2010 sur la base de trois sondages préconisait la réalisation de fondations superficielles descendues au minimum à une profondeur de 1,6 mètre sous le niveau du terrain naturel. Toutefois, le 10 novembre 2015, la société CEBTP a, à la demande de la Société Réseaux Voirie, vérifié le fond de fouille. Dans son rapport, cette société a proposé de nouvelles modalités de réalisation des fondations pour le bloc Ouest. La Société Réseaux Voirie, estimant que ce rapport remettait en cause le principe de réalisation des fondations tel qu'il ressortait de son contrat a retiré du chantier son équipe et sa pelle mécanique à partir du 18 novembre 2015. Lors d'une réunion qui a eu lieu le 2 décembre 2015, les représentants du maître d'ouvrage, de l'assistant au maître d'ouvrage, du maître d'œuvre et de la société appelante ont évoqué les différentes options envisageables pour la réalisation des fondations, notamment une solution recourant à des pieux, sans qu'aucune solution soit retenue par le maître de l'ouvrage, qui a demandé " qu'une estimation des volumes et quantités des pieux, soit réalisée par le maître d'œuvre et complétée par l'entreprise pour le coût ". Finalement, ce n'est que le 4 février 2016 que le maître d'ouvrage, au vu de l'étude géotechnique G3 établie le 26 janvier 2016, a décidé des nouvelles modalités des fondations à réaliser. Il s'ensuit que l'arrêt du chantier entre le 10 novembre 2015 et le 4 février 2016, c'est-à-dire pendant une durée de quatre-vingt-six jours calendaires, n'est pas imputable à la Société Réseaux Voirie. Seul lui est donc imputable le reliquat de quatre-vingt-sept jours (173 - 86), correspondant à un montant total de pénalités de 26 100 euros (87 x 300 euros). La Société Réseaux Voirie ne fournit aucun élément permettant d'établir que ce quantum devrait être réduit, notamment du fait d'intempéries.

1.3.2. S'agissant des pénalités de retard dans la production de documents :

1.3.2.1. Quant au bien-fondé de ces pénalités :

37. Aux termes de l'article 4.6 du cahier des clauses administratives particulières : " Pour tout document demandé et remis avec retard ou non diffusé aux destinataires concernés, en nombre suffisant et à la date convenue, il sera appliqué une pénalité entre 50 euros et 350 euros / jour selon la gravité et l'incidence sur le bon déroulement du chantier, à la seule appréciation du maitre d'œuvre. (...) ".

38. Il résulte de ce qui a été dit au point 29 que la société n'a pas remis les documents qui lui avait été demandés. Compte tenu du blocage du chantier que ce retard a causé, le montant de 165 euros de pénalité par jour était justifié. Il y a donc lieu de confirmer les pénalités, d'un montant de 12 210 euros (74 jours x 165 euros), infligées à la société.

1.3.2.2. Quant à la demande de modération :

39. Il est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d'augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s'inspire l'article 1231-5 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché.

40. En l'espèce, la Société Réseaux Voirie ne fournit aucun élément, relatif notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir que ces pénalités présenteraient un caractère manifestement excessif.

1.4. En ce qui concerne le surcoût lié à la passation du marché de substitution :

1.4.1. S'agissant de la régularité de la résiliation :

41. Ainsi qu'il a été dit, le cahier des clauses administratives générales, dans son édition de 2009, n'est pas au nombre des pièces contractuelles. La Société Réseaux Voirie ne peut donc utilement invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 46.3.1 de ce cahier qui subordonnent la régularité de la résiliation à la constatation contradictoire préalable du manquement et à l'avis du maître d'œuvre. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que la société avait été préalablement informée, à deux reprises, de la nature des documents dont la communication lui avait été demandée. Compte tenu de la nature de ce manquement, ces informations tenaient lieu de constat contradictoire. En outre, le maître d'œuvre a bien rendu un avis sur ces manquements. La société n'est donc pas fondée à soutenir que la mesure de résiliation serait irrégulière.

1.4.2. S'agissant du montant du surcoût :

42. Comme le soutient la Société Réseaux Voirie, le montant du marché de substitution, soit 47 096 euros hors taxes, intègre une option portant sur la pose d'un revêtement en pierres sèches, dont l'établissement public ne conteste pas sérieusement qu'il n'était pas prévu dans le marché initial de la société appelante. Il y a donc lieu de retenir, au titre des conséquences onéreuses du marché de substitution, le montant de 38 120 euros correspondant au prix du marché sans cette option.

43. En revanche, il est justifié que la somme de 7 071,39 euros hors taxes demandée par l'établissement public et retenue par le tribunal administratif correspond à des travaux supplémentaires de remise en état du site qui ont dû être réalisés au moment de l'arrivée sur les lieux de la société titulaire du marché de substitution. Ces frais accessoires constituent donc bien un élément du préjudice subi par l'établissement public.

2. Sur l'appel incident de l'établissement public Résidence L'Olivier :

2.1. En ce qui concerne les frais de géomètre et d'huissier :

44. Il ne résulte pas de l'instruction que le constat d'huissier du 8 mars 2016, d'un coût de 700 euros, se serait révélé d'une quelconque utilité dans le cadre de la procédure. Le lien entre les frais de géomètre, d'un montant de 1 296 euros, et les manquements imputés à la société, n'est pas plus établi.

2.2. En ce qui concerne les pertes d'exploitation :

45. Si l'établissement public est fondé à solliciter l'indemnisation du manque à gagner résultant du retard dans l'exploitation du bâtiment, il se borne à faire état des recettes manquées, sans établir l'existence d'un bénéfice manqué.

46. Quant aux " frais de gestion " dont l'indemnisation est demandée, le lien entre ce préjudice et le retard imputé à la Société Réseaux Voirie n'est pas établi.

3. Sur le solde des comptes :

47. Il résulte de tout ce qui précède que la Société Réseaux Voirie a droit au paiement d'une somme de 4 047 euros hors taxes, soit 4 856,40 euros toutes taxes comprises, au titre du solde de la situation n° 3. De cette somme doivent être déduites les pénalités de retard, d'un montant total de 26 100 euros, les pénalités pour retard dans la production des documents, d'un montant de 12 210 euros, et les surcoûts liés au marché de substitution, pour des montants de 38 120 et 7 071,39 euros. Les comptes des parties doivent donc être arrêtés à un solde, débiteur pour la Société Réseaux Voirie, de 78 644,99 euros toutes taxes comprises (4 856,40 euros - 12 210 euros - 26 100 euros - 38 120 euros - 7 071,39 euros).

4. Sur les frais liés au litige :

48. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge de la Société Réseaux Voirie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de l'établissement public local à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Le montant de la condamnation prononcée par l'article 2 du jugement n° 1701095 du 25 janvier 2021 du tribunal administratif de Nice est ramené de 113 420,60 euros à 78 644,99 euros toutes taxes comprises.

Article 2 : L'article 2 du jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Réseaux Voirie et à l'établissement public local d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Résidence L'Olivier.

Délibéré après l'audience du 17 avril 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mai 2023.

N° 21MA01310 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01310
Date de la décision : 10/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-02 Marchés et contrats administratifs. - Fin des contrats. - Résiliation.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SELARL GAIA

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-05-10;21ma01310 ?
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