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06/02/2024 | FRANCE | N°23MA00442

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 06 février 2024, 23MA00442


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... E... et Mme D... F... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les décisions du 1er juillet 2019 n° 20190701 DM 053 et n° 2019701 DM 054 par lesquelles le maire de la commune du Puy-Sainte-Réparade a exercé, par substitution, le droit de préemption du département des Bouches-du-Rhône au titre des espaces naturels sensibles, sur les parcelles cadastrées section BD n° 6 d'une superficie de 13 274 m² et section BD n° 90, 91 et 94 d'une superficie d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... et Mme D... F... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les décisions du 1er juillet 2019 n° 20190701 DM 053 et n° 2019701 DM 054 par lesquelles le maire de la commune du Puy-Sainte-Réparade a exercé, par substitution, le droit de préemption du département des Bouches-du-Rhône au titre des espaces naturels sensibles, sur les parcelles cadastrées section BD n° 6 d'une superficie de 13 274 m² et section BD n° 90, 91 et 94 d'une superficie de 22 912 m², situées lieu-dit Counie sur la commune de Puy-Sainte-Réparade, ensemble les décisions de rejet de leur recours gracieux.

Par un jugement n° 1909993 du 28 décembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces décisions et rejeté les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 23 février 2023, la commune du Puy-Sainte-Réparade, représentée par Me Woimant, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 décembre 2022 ;

2°) de mettre à la charge de M. E... et de Mme F..., in solidum, la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier pour avoir statué ultra petita en retenant un moyen de légalité interne lié à l'absence de justification du projet de la commune alors que les requérants ne soulevaient qu'un moyen de légalité externe, tiré de l'insuffisante motivation des mesures en litige ;

- subsidiairement, ces mesures sont suffisamment motivées en droit et en fait, les requérants ayant été informés à plusieurs reprises des considérations de droit qui les fondent et les mesures précisant suffisamment leurs motifs de fait ;

- ces décisions sont légalement justifiées par la nécessité d'assurer la protection des espaces naturels sensibles dont le périmètre a été délimité par l'acte portant création de la zone de préemption, alors que par ses délibérations du 24 mai 2019, la préemption a été motivée par l'extension du domaine, la facilitation de sa gestion, le renforcement du périmètre de protection et de lutte contre l'incendie, l'amélioration des conditions d'accueil du public, l'extension des travaux de débroussaillement, et la création d'un accès direct depuis le chemin rural situé en limite du domaine, ainsi que par l'ouverture ultérieure de ces espaces au public.

La requête de la commune du Puy-Sainte- Réparade a été communiquée à M. E... et à Mme F... qui n'ont pas produit d'observations en défense.

Par une ordonnance du 29 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 24 juillet 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Duplaa, substituant Me Woimant, représentant la commune du Puy-Sainte-Réparade.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux décisions du 1er juillet 2019, le maire de la commune du Puy-Sainte-Réparade a, par substitution, exercé le droit de préemption du département des Bouches-du-Rhône sur les parcelles non bâties cadastrées section BD n° 90, 91 et 94 et n° 6, situées lieu-dit Cucuréou. Par un jugement du 28 décembre 2022, dont la commune du Puy-Sainte-Réparade relève appel, le tribunal administratif de Marseille a, à la demande de M. E... et de Mme F..., présentée en leur qualité d'acquéreurs évincés, annulé ces décisions de préemption, ainsi que les décisions rejetant leur recours gracieux contre ces mesures.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Pour annuler les décisions de préemption en litige, le tribunal s'est fondé, en application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, sur les motifs tirés, d'une part, de leur insuffisante motivation et d'autre part, du non-respect des dispositions des articles L. 113-8 et L. 215-21 du même code. Ce faisant, contrairement à ce qu'affirme l'appelante, le tribunal, qui s'est borné à se prononcer sur les deux moyens développés par M. E... et Mme F... au soutien de leur demande d'annulation de ces décisions, n'a pas statué ultra petita ni, par conséquent, entaché son jugement d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe des décisions en litige :

3. Aux termes de l'article L. 215-1 du code de l'urbanisme : " Pour mettre en œuvre la politique prévue à l'article L. 113-8, le département peut créer des zones de préemption dans les conditions définies au présent article ". L'article L. 215-4 du même code dispose que :

" A l'intérieur des zones délimitées en application de l'article L. 215-1, le département dispose d'un droit de préemption. ". L'article L. 215-7 de ce code précise que la commune peut se substituer au département lorsque celui-ci n'exerce pas le droit de préemption prévu à l'article

L. 215-4.

4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 3°/ (...) imposent des sujétions ; ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

5. Les décisions de préemption prises en application des articles L. 215-4 et L. 215-7 du code de l'urbanisme, cités au point 3, sont des décisions individuelles imposant des sujétions. Elles entrent, par suite, dans le champ des dispositions citées au point 4 et doivent, dès lors, comporter l'énoncé des motifs de droit et de fait ayant conduit l'autorité administrative à préempter. Cette obligation de motivation implique, lorsque la décision de préemption est prise par la commune se substituant au département, que cette décision comporte une référence à l'acte portant création de la zone de préemption et indique les raisons pour lesquelles la préservation et la protection des parcelles en cause justifiaient la préemption. Elle n'impose en revanche pas à l'auteur de la décision de préciser la sensibilité du milieu naturel ou la qualité du site, dès lors que l'inclusion de parcelles dans une zone de préemption est nécessairement subordonnée à leur intérêt écologique, ou les modalités futures de protection et de mise en valeur des parcelles qu'elle envisage de préempter.

6. Si, en relevant la nécessité de protéger les parcelles préemptées en raison de la qualité du site et du paysage, compte tenu à la fois de leur rangement en zone N au plan local d'urbanisme communal, correspondant à des espaces naturels remarquables, et de leur continuité avec le domaine départemental de la Quille, les mesures litigieuses indiquent avec suffisamment de précision les raisons pour lesquelles la préservation et la protection de ces parcelles justifiaient leur préemption, elles ne mentionnent pas elles-mêmes l'acte de création de la zone de préemption. La circonstance que les décisions du 4 juin 2019 par lesquelles le département des Bouches-du-Rhône a renoncé à exercer son droit de préemption sur ces parcelles, et qui ont été notifiées au notaire instrumentaire de la vente de ces terrains, mentionnent quant à elles cet acte de création, n'est pas de nature à assurer la motivation en droit des mesures litigieuses, qui n'en étaient pas accompagnées et qui n'y renvoyaient pas. Il en va de même de celle que, par des décisions du 24 mai 2019 préemptant d'autres parcelles et notifiées aux intimés, le département ait mentionné cet acte de création. Les décisions en litige ont donc été prises en méconnaissance de l'exigence de motivation en droit qui découle des dispositions législatives citées au point 4.

En ce qui concerne la légalité interne des décisions en litige :

7. Aux termes de l'article L. 113-8 du code de l'urbanisme : " Le département est compétent pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non, destinée à préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 101-2. ". L'article L. 215-21 du même code ajoute que : " Les terrains acquis en application des dispositions du présent chapitre sont aménagés pour être ouverts au public, sauf exception justifiée par la fragilité du milieu naturel. Cet aménagement est compatible avec la sauvegarde des sites, des paysages et des milieux naturels. A l'exception des terrains relevant du régime forestier, tout ou partie d'un terrain acquis et conservé pour mettre en œuvre la politique prévue à l'article L. 113-8 peut être incorporé dans le domaine public de la personne publique propriétaire par décision de son organe délibérant. La personne publique propriétaire est responsable de la gestion des terrains acquis. Elle s'engage à les préserver, à les aménager et à les entretenir dans l'intérêt du public. Elle peut éventuellement confier la gestion des espaces aménagés à une personne publique ou privée y ayant vocation ".

8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les décisions de préemption qu'elles prévoient doivent être justifiées à la fois par la protection des espaces naturels sensibles et par l'ouverture ultérieure de ces espaces au public, sous réserve que la fragilité du milieu naturel ou des impératifs de sécurité n'y fassent pas obstacle. Toutefois, la collectivité titulaire du droit de préemption n'a pas à justifier de la réalité d'un projet d'aménagement à la date à laquelle elle exerce ce droit.

9. Pour considérer que les décisions de préemption litigieuses ont été prises en méconnaissance des dispositions législatives citées au point 7, le tribunal a relevé qu'elles se bornent à faire référence à la situation des parcelles en cause dans un espace naturel remarquable qu'il convient de préserver, sans justifier de la nécessité de protéger ces espaces ni prévoir, même à terme, une ouverture au public ou exposer les éventuelles réserves de fragilité du milieu naturel ou d'impératifs de sécurité qui y feraient obstacle. En se limitant à invoquer d'une part, la protection des espaces naturels sensibles dont le périmètre a été délimité par l'acte portant création de la zone de préemption, et à renvoyer d'autre part, aux motifs des décisions prises par le département des Bouches-du-Rhône le 24 mai 2019 pour préempter d'autres parcelles, la commune du Puy-Sainte-Réparade qui, bien que se substituant au département dans l'exercice du droit de préemption, n'est pas de ce fait dispensée de justifier ses décisions à la fois par la protection des espaces naturels sensibles et par l'ouverture ultérieure de ces espaces au public, ne conteste pas utilement le motif d'annulation retenu par les premiers juges.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune du Puy-Sainte-Réparade n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé ses décisions de préemption du 1er juillet 2019, ensemble la décision rejetant leur recours gracieux. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris ses conclusions relatives aux frais d'instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune du Puy-Sainte-Réparade est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Puy-Sainte-Réparade, à M. C... E... et à Mme D... F....

Copie en sera adressée à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.

N° 23MA004422


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00442
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-02-01-01-03-02 Urbanisme et aménagement du territoire. - Procédures d'intervention foncière. - Préemption et réserves foncières. - Droits de préemption. - Espaces naturels sensibles. - Régime issu de la loi du 18 juillet 1985.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : MCL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;23ma00442 ?
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